Par Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste en droit de l'environnement.
Bon nombre de centres commerciaux supérettes, ou magasins exercent leur activité en rez de chaussée d’une copropriété qui par ailleurs a essentiellement une destination d’habitation.
Le règlement de copropriété devra prévoir cette possibilité, sinon le bailleur pourra être contraint de résilier le bail commercial qui a été consenti à l’exploitant. Ainsi une activité commerciale sera impossible dans un immeuble à usage exclusif d’habitation.
Dans les autres cas, bien souvent l’affectation des lots est prévue dans le règlement de copropriété qui indique clairement que tel ou tel numéro est affecté à l’usage d’un (futur) commerce.
Pour autant si l’installation d’un magasin ne peut être empêchée si le règlement prévoir des lots affectés au commerce, l’exploitant doit préserver une certaine qualité de vie de l’immeuble et ne doit pas rendre «la vie impossible» en multipliant les nuisances.
Une importante jurisprudence civile apporte des gardes fous dans le but de protéger les copropriétaires qui peuvent agir même s'ils ont acheté leur lot après que le commerce ait ouvert ses portes.
I - LA LUTTE CONTRE LES TROUBLES ANORMAUX DU VOISINAGE
Quand bien même, l’installation du magasin serait légale dans la copropriété, un supermarché qui provoquerait des troubles anormaux pour le voisinage pourra être poursuivi en justice, soit à la demande de la copropriété elle-même soit à la demande de copropriétaires agissant seuls.
A - L’ACTION DE LA COPROPRIÉTÉ
La lutte contre les troubles anormaux du voisinage incombe en premier lieu aux organes représentant la copropriété, à savoir, le syndicat assisté du syndic et l’assemblée générale.
En règle générale, pour déclencher une action juridique, il sera nécessaire de soumettre une résolution à l’assemblée générale annuelle, laquelle donnera mandat au syndicat représenté par le syndic d’ester en justice.
Il convient d’être vigilant sur la rédaction de cette résolution qui limite les pouvoirs du mandant.
Pour les procédures d’urgence il existe une certaine tolérance, puisqu’on admet la possibilité sous certaines conditions de faire valider le référé par l’assemblée suivante.
Encore faut-il justifier d’une impérieuse urgence qui dispense le syndicat de convoquer immédiatement une assemblée.
L’action de la copropriété est donc plus lente et complexe à mettre en oeuvre que l’action individuelle ce qui peut expliquer que des copropriétaires préfèrent agir seul contre l’auteur du trouble, quitte à prendre à leur charge les frais de procédure.
B - L’ACTION DES COPROPRIÉTAIRES
Ces derniers ne sont pas démunis et peuvent agir pour défendre leurs intérêts.
En effet, il est désormais reconnu qu’ils peuvent agir en réparation de leur préjudice personnel, pour le trouble de jouissance particulier qu’ils ont subi dans leur partie privative, lequel n’est pas compris dans le préjudice collectif.
Ainsi, même si la copropriété a obtenu réparation de son préjudice collectif, les copropriétaires peuvent à titre individuel demander pour eux une réparation personnelle.
Ils peuvent également agir même s'ils ont acquis leur lot après l'ouverture du centre commercial. le bénéfice de pré-installation ne peut-être invoqué comme moyen de défense dans une copropriété.
II - LES TROUBLES DU VOISINAGE SANCTIONNÉS
1° Des troubles apparus même avant l'achat du lot de copropriété
"Les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales ou commerciales, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé postérieurement à l'existence des activités les occasionnant" (Art. L 112-16 du code de la construction et de l'habitation).
Cependant, cette règle ne s'applique pas si l'activité commerciale ou industrielle à l'origine du trouble ne respecte pas les dispositions législatives et réglementaires telles que le règlement de copropriété, la réglementation locale, les règles d'émergence et si l'activité ne s'est pas poursuivie dans les mêmes conditions.
De plus elle n'est pas opposable à celui qui acquiert un lot de copropriété après l'ouverture dudit commerce.
2° Des troubles anormaux divers retenus par la jurisprudence
Les copropriétaires peuvent se plaindre de nuisances phoniques provenant d’un centre commercial : bruit provenant des clients, de transpalettes pour transporter les marchandises, des véhicules qui se garent, des condensateurs ou appareils en fonctionnement etc.
Il existe des précédents dans ce domaine, et il n’est pas rare que les copropriétaires obtiennent gain de cause, s’ils ont pris la précaution de faire désigner au préalable un expert judiciaire pour prouver et quantifier les troubles. Il sera possible d'en faire désigner un, avant tout procès, sur le fondement de l'article 145 du CPC, devant le juge des référés. Bien souvent l'issue du procès dépendra de la qualité de ce rapport et de son caractère exhaustif.
Il a été jugé en ce sens par la cour d’appel de Paris en 2013 :
«C'est à bon droit que les premiers juges ont retenu la responsabilité de la SCI propriétaire et la société locataire exploitante du supermarché au titre du trouble anormal de voisinage et les a condamné in solidum en raison des bruits des compresseurs et de roulement des tire-palettes sur le carrelage et le passage des transpalettes de déchargement des marchandises. Les responsables des troubles de voisinage ne peuvent pas valablement se prévaloir de la théorie de l'acceptation des risques, au motif que les copropriétaires victimes auraient acheté leur appartement en pleine connaissance de cause de l'existence d'un supermarché avec ses conséquences et inconvénients normaux de voisinage alors qu'il appert du rapport d'expertise que les nuisances constatées constituent, de par leur importance, non des inconvénients normaux mais un trouble anormal de voisinage auquel ne peut s'appliquer la théorie invoquée. Elles ne peuvent pas valablement soutenir qu'elles ne seraient pas responsables et que la véritable cause des préjudices allégués consisterait dans une faute de conception des promoteurs lors de la construction de l'immeuble dans les années 1960 au motif qu'ils auraient prévu que le lot abritant le supermarché serait affecté à un commerce d'alimentation et qu'ils auraient dû faire en sorte que cette activité puisse être exercée sans créer de gêne pour les autres résidents.
Dès lors qu'il appert du rapport d'expertise que les groupes négatifs situés sous la cour intérieure des immeubles, à proximité d'un mur contre lequel est placé l'escalier de sortie de secours du magasin, occasionnait un bruit très important dans la cour intérieure des immeubles, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que le préjudice éprouvé de ce chef, dans les parties communes, uniformément par tous les occupants, justifiait la demande en réparation formée par le syndicat des copropriétaires.» (C.A. Paris, pôle 4, 2e ch., 11 sept. 2013, RG n° 11/08935, SCI Temple c/ Synd. Le Parisien et a.).
De même, l'aménagement d'un parc de stationnement pour un centre commercial dans un quartier résidentiel calme a été considéré comme étant un trouble anormal du voisinage car la propriété était dépréciée de plus de 25 % à la suite de ces travaux (CA Bordeaux, 5 juin 1986).
Le transport et la manutention de marchandises créent des nuisances dans les quartiers résidentiels, et notamment du bruit à une heure durant laquelle certains dorment encore !
Dès lors que les nuisances excèdent la “normalité”, l’action en responsabilité pour trouble anormal est bien fondée.
Ainsi, tel est le cas d’un grossiste en fruits et légumes, dont l'activité occasionne des départs matinaux de camions, même les samedis et dimanches, car l'exercice légitime de son droit de faire le commerce devient générateur de responsabilité lorsque le trouble qui en résulte pour autrui dépasse la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage, compte tenu des circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ce trouble intervient (Versailles, 27 janv. 1987: D. 1988. Somm. 15).
Il a même été jugé que l'extension d'une surface commercial, avec aménagement de quai de déchargement de l'autre côté de la rue, caractérisait un trouble anormal du voisinage, dès lors que cela apportait de nouvelles nuisances au propriétaire voisin (CA Angers; 24 avril 2007).
Les ventes promotionnelles bruyantes dans la magasin peuvent également être sanctionnées lorsqu'elles perturbent la quiétude des voisins ou des copropriétaires (Cassation chambre civile, 1er mars 1989).
Il en va de même de la sonorisation du magasin qui entraîne un trouble pour le cabinet d'orthophonie situé au dessus (CA Dijon, 30 juin 2005).
Une fois les troubles constatés, les copropriétaires pourront alors demander au tribunal de grande instance l'interdiction des nuisances et/ou une compensation financière, un dédommagement pour la parte de valeur de leur lot etc.
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement.