Urbanisme et environnement

Question prioritaire de constitutionnalité et droit de l’environnement...


Par Me Laurent Gimalac, avocat spécialiste en droit de l'environnement

Barreau de Grasse et bureau secondaire à Paris


La loi organique du 10 décembre 2009 a défini les modalités de la question prioritaire de constitutionnalité. Elle pose notamment les trois conditions fondamentales pour permettre sa recevabilité : une disposition législative qui porte atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution,  une instance en cours devant une juridiction, et une demande écrite par l’une des parties sous forme d’un mémoire distinct et motivé.


La question est alors examinée par la juridiction «ordinaire» puis éventuellement par le Conseil constitutionnel après un tri «sélectif» qui passe par un examen de la plus haute juridiction de l’ordre concerné (Conseil d’Etat ou Cour de cassation).


Cette innovation considérable modifie en profondeur notre système juridique, en mettant réellement la constitution en tête de notre pyramide des normes et à la portée des simples citoyens, alors qu’avant cette réforme, beaucoup de textes pouvaient être adoptés sans contrôle de constitutionnalité.


Elle se combine avec une extension corrélative et récente de la «sphère de constitutionnalité» puisque la charte de l’environnement qui a été adoptée par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, fait désormais partie des droits et libertés garantis par la constitution.


Le conseil constitutionnel a confirmé, dans une décision importante du 19 juin 2008 publiée le 26 juin 2008, à l’occasion de la loi sur les «OGM» et le risque de leur dissémination, la pleine valeur constitutionnelle de la charte constitutionnelle de l’environnement. De «jure», il évince toute tentative future d’en faire une simple déclaration de «principe» sans réelle efficacité juridique.


Avec la mise en oeuvre procédurale de la «QPC», les perpectives sont immenses (I), mais les contraintes procédurales risquent d’en limiter les effets (II). On peut parier que le développement de la jurisprudence du conseil constitutionnel à l’occasion de ces «QPC» s'appuiera sur des fondements déjà latents dans les décisions passées  (III).


I - DES PERSPECTIVES PROMETTEUSES


Sur l’énorme stock de loi en vigueur, on estime que seulement 7 % aurait fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité. Autant dire, que la combinaison de ce facteur statistique avec la «nouveauté» de la charte de l’environnement est l’assurance d’un avenir prometteur...


1° la nouveauté des questions posées, gage de recevabilité de la «QPC» dans le domaine de la protection de l’environnement


La charte de l’environnement étant récente, elle va susciter des questions d’application par essence nouvelles et le contrôle de constitutionnalité «a posteriori» se trouve être un moyen idéal pour y répondre. En effet, les «QPC» sont irrecevables si elles ne posent pas des questions nouvelles qui ont déjà trouvé leur réponse dans une décision du conseil constitutionnel... 


2° un principe «fleuve»qui reste à définir : le droit à une environnement sain...


Il convient de garder à l’esprit que la charte de l’environnement prévoit notamment dans son article 1er le droit de chacun «de vivre dans un environnement sain équilibré et respectueux de la santé». Un tel principe aura des conséquences manifestes s’il est appliqué à la lettre. En effet, d’ores et déjà des administrés ont engagé des actions judiciaires dans l’Union européenne à l’encontre de leur Etat ou de leur collectivité territoriale pour le non respect des seuils de qualité de l’air. Cela pourrait également donner des idées similaires à des citoyens français qui pourraient attaquer certaines dispositions législatives devant le conseil constitutionnel au motif qu’elles ne permettent pas de garantir ce droit à un environnement sain... Autant dire une bonne partie des dispositions qui autorisent l’émission de polluants si l’on considère que les seuils sont encore trop élevés. Cela risque de faire ressurgir la peur du gouvernement des juges...


3° des principes immédiatement «opérationnels»: 


Il ne fait guère de doute que les principes de précaution et d'information posés par les articles 5 et 7 de la Charte de l'environnement seront invoqués à l’appui de «QPC», car il s’agit de principes «opérationnels» moins généraux que le principe général du droit à un environnement sain.


D’ailleurs le principe de précaution est déjà transposé par la loi dans l’article L. 110-1 : du Code de l’environnement et il est défini comme étant « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ».


Au regard de cette double consécration, constitutionnelle et législative, son adoption par les rédacteurs de «QPC» ne fait guère de doute...


De même, il y a encore beaucoup de progrès à faire dans les procédures d’information du public pour tous les projets ayant un impact sur l’environnement : ouverture d’une décharge, construction d’une centrale nucléaire, établissements classés, infrastructures... Or la charte prévoit dans son article 7, que «toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement». 


Enfin, il faudra compter sur le principe du pollueur payeur qui est également consacré par la Charte de l’environnement et qui peut avoir un impact certain sur toute la législation fiscale : comment justifier des mesures d’aide qui par exemple ont un effet incitatif sur des activités polluantes ou des mesures qui exonèrent parfois certaines catégories professionnelles (élevage intensif et pollution des nappes d’eau douce) ? On le voit, les perspectives sont là encore immenses. La responsabilité de l’Etat pouvait déjà être engagée pour l’absence de mise en oeuvre d’une police efficace de l’environnement, ici il s’agira d’attaquer à la source les textes «parasites» qui contrarient la défense de l’environnement.


II - DES CONTRAINTES PROCEDURALES MODÉRATRICES 


Sans entrer dans le détail de la procédure de la «QPC», qui fait l’objet d’autres articles, nous pouvons nous arrêter sur des contraintes procédurales qui nécessairement obstacle au développement de ses virtualités.


1° pas deux fois la même question ?


Les juges saisis d’une «QPC» doivent vérifier que la loi querellée « n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel»...


Si l’on peut comprendre aisément qu’une même question puisse ne pas être posée deux fois au conseil constitutionnel afin d’éviter un encombrement inutile, il convient de de s’interroger sur la nature de cette irrecevabilité, car par essence, les contours et le contenu réel des principes environnementaux évoluent très vite. Avec les progrès de la technologie, il est probable qu’une option impossible devienne envisageable quelques années plus tard et que le degré d’exigence augmente.


A cette fin, il y a tout de même une «ouverture» prévue par les textes qui prévoient la possibilité de ressaisir le conseil constitutionnel en cas de «changement des circonstances». On peut d’ores et déjà parier que cette précision sibylline risque d’avoir un certain succès et nécessitera d’être explicitée...


Le Conseil a énoncé, dans sa décision du 3 décembre 2009, qu'un tel changement doit affecter la portée de la disposition législative critiquée et son interprétation de cette notion est plutôt «restrictive». Il précise qu’il s’agit de changements « de portée générale » et « non pas les circonstances propres au cas d'espèce qui a donné lieu à l'instance »


2° le caractère «sérieux» de la question posée et le risque d’un double filtre trop contraignant...


Devant l’avalanche de «QPC» environnementales, on risque clairement de voir d’ériger en «censeurs» les tribunaux qui peuvent rejeter la question au motif qu’elle ne leur paraît pas «sérieuse». ll n’est pas exclu que les hautes juridictions développement également leur propre interprétation des droits et libertés fondamentales pour exercer leur rôle de filtre et aussi pour conserver leur emprise et leur pouvoir dans le système judiciaire français. 


A cela s’ajoute le fait que «la culture de l’environnement» reste encore largement méconnu par les juridictions de droit commun, faute de juridiction spécialisée dans ce domaine ce qui rend la tâche encore plus difficile, les questions par essence nouvelles et complexes nécessitant une formation spécifique.



III - L’ESQUISSE DES FONDEMENTS D’UNE JURISPRUDENCE A VENIR...



D’ores et déjà, il existe une jurisprudence qui peut poser les fondements des décisions à venir. Le Conseil constitutionnel a démontré à plusieurs reprises qu’il n’appliquait pas la constitution sans sous peser des principes qui peuvent être contradictoires. 


Ainsi dans sa désormais célèbre décision du 29 décembre 2009 relative à la contribution climat (taxe carbone), le conseil n’a pas manqué de vérifier si celle-ci portait atteinte au principe d’égalité devant la charge publique. Il a pu constater que «si certaines des entreprises exemptées du paiement de la contribution carbone sont soumises au système d'échange de quotas [...], il est constant que ces quotas sont actuellement attribués à titre gratuit et que le régime des quotas payants n'entrera en vigueur qu'en 2013 et ce, progressivement jusqu'en 2027 ». Dès lors la censure s’imposait compte tenu de cette «rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ».


Cette décision, loin de limiter la portée de la charte de l’environnement, permet de mieux la comprendre en la restituant dans l’ensemble du corpus de règles constitutionnelles : ce n’est pas le principe même d’une taxe environnementale qui a été remis en question, mais les diverses exonérations permises par la loi pour divers secteurs de l’industrie... 


D’ailleurs force est de rappeler qu’une décision similaire avait été rendue dans le secteur de l’électricité : l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes à l'électricité avait été censurée au motif que les différences de traitement qui en auraient résulté n'auraient pas été « en rapport avec l'objectif que s'est assigné le législateur », (décis. n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000).


Ce sont finalement les exemptions qui ont déclenché l’ire du conseil constitutionnel et non pas la vocation environnementale des textes...


En conclusion, s’il ne faut pas négliger le potentiel offert par cette nouvelle procédure qui remet la constitution au centre de notre système juridique, elle ne doit pas détourner le praticien d’une autre «révolution» qui est celle de la consécration de l’applicabilité directe des directives européennes devant la juridiction administrative française par l’affaire «Perreux» qui revient sur l’ancienne jurisprudence «Cohn Bendit» et qui marque une nouvelle étape vers «l’Europe des juges». C’est tout un nouveau corps de règles abondantes et précises qui peut désormais servir de référence dans la rédaction des recours et qui va bien au delà de la simple référence aux principes fondamentaux ! Ainsi, il serait dommage que la fascination pour la nouvelle «QPC» limite - de fait - l’espace contentieux offert par le droit communautaire de l’environnement en distrayant le praticien de moyens de droit efficaces par l’effet d’annonce d’une réforme prestigieuse qui ne pourra jamais concerner à tous les cas de figure soumis l’avocat...


Enfin, le caractère prioritaire de la «QPC» qui semble imposer un traitement prévalent avant même la vérification de la «conventionnalité» d’un texte de droit interne impose une nouvelle vision stratégique pour le praticien : faudra-t-il soulever tout de suite cette question ou sera-t-il plus approprié d’invoquer dans un premier temps l’inconventionnalité du texte national ? Seule la pratique permettra ici de discerner la solution optimale... au cas par cas.

© Me Laurent Gimalac 2019