Après un bornage amiable peut-on demander un bornage judiciaire ?

Par Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste et docteur en droit.


I - LE PRINCIPE : PAS DE BORNAGE JUDICIAIRE S’IL EXISTE DÉJA UN BORNAGE AMIABLE


Un bornage amiable permet d’éviter une procédure judiciaire qui conduit bien souvent au même résultat, sauf si les parties ne sont pas d’accord sur le projet du géomètre expert.

En cas d’accord, un PV de bornage est signé et devient définitif. 

La limite de propriété est alors fixée, et il est alors possible de poser les bornes pour la matérialiser au sol.

Après cela, il n’est plus possible de remettre en cause le bornage contradictoire même par la voie judiciaire. Il s’impose de plein droit à tous les signataires et aussi à leurs ayants droits (les acquéreurs de la parcelle par exemple ou les donataires).

Donc il faut veiller à ne pas signer le PV s’il existe le moindre doute, un géomètre n’étant pas infaillible puisqu’il va s’appuyer sur les titres, les plans et leurs annexes, parfois le cadastre et la situation des lieux (limites naturelles etc).

Ce sera notamment le cas si le bornage entraîne une réduction importante de la surface de la parcelle au détriment de l’un des propriétaires.

Mais que faire s’il a signé le PV de bornage ?

Le bornage judiciaire semble exclu mais il existe néanmoins quelques astuces à connaître qui permettent de contourner cette difficulté procédurale.


II - LE CONTOURNEMENT POSSIBLE :


Le bornage amiable peut souffrir de certains « vices » qui peuvent le rendre vulnérable et ouvrir la possibilité d’un bornage judiciaire. Mais attention il faut souvent se dépêcher afin d’éviter notamment que le bornage ne soit de notoriété publique notamment après la pose des bornes au sol.


1°/ Vérifier si l’époux a donné son accord, à défaut le bornage lui est inopposable :

Le bornage est soumis à la règle de la cogestion ce qui suppose la participation obligatoire de l’épouse qui doit être convoquée aux réunions et donner son accord.


Les articles 1421 et suivants du code civil sur les pouvoirs des époux communs en bien et notamment l’article 1427 du code civil prévoit que « si l'un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l'autre, à moins qu'il n'ait ratifié l'acte, peut en demander l'annulation (al. 1er). 


Cette règle a été appliquée avec la plus grande fermeté par la cour de cassation :


"Attendu que pour déclarer ce procès-verbal opposable à [Mme Y], l'arrêt retient que la nullité de cet acte n'a pas été demandée par Mme Y qui était commune en biens pour être mariée sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, dans les deux ans de sa connaissance ; qu'en statuant ainsi, alors que le délai imparti par l'article 1427, alinéa 2, du code civil pour l'exercice de l'action en nullité contre le procès-verbal de bornage qu'elle n'avait pas signé ne pouvait empêcher Mme Y d'opposer à la demande principale un moyen de défense tiré de la nullité de cet acte irrégulièrement passé par son époux, la cour d'appel a violé le principe et l'article susvisés ". (Arrêt rendu par Cour de cassation, 3e civ. 04-03-2009, n° 07-17.991 - n° 289 FS-P+B)


C’est donc le conjoint « oublié » qui devra initier une procédure de bornage judiciaire remettant en cause le bornage amiable ce qui suppose qu’il y ait des difficultés à trancher car si le bornage ne posait aucune difficulté (limites apparentes et correspondance indiscutable avec les titres de propriété), il est probable que le juge n’accorde pas une nouvelle chance à l’époux négligé.


Le délai de deux ans s’impose au mari également, « la nullité du procès-verbal de bornage portant sur un bien commun et signé par l’épouse seule, ne peut valablement être invoquée par le mari au soutien de l’action en revendication qu’il a formée plus de deux ans après en avoir eu connaissance » (cassation 15 mai 1985).


2°/ Vérifier si le terrain n’est pas en indivision :


Les articles 815-2 et 815-3 du code civil sont relatifs aux mesures conservatoires ainsi qu’aux actes d’administration et de disposition dans le cadre d’une indivision. 

Toutefois, comment appliquer ces textes pour une demande de bornage ? S’agit-il d’une simple mesure d’administration ou d’un acte de disposition.

Les  juges du fond ont parfois déclaré l’action irrecevable une demande de bornage sur le fondement de l’article 815-2 qui prévoit que tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis.

Une mesure doit, pour présenter un caractère conservatoire, être nécessaire et urgente afin de soustraire un bien indivis à un péril imminent menaçant sa conservation matérielle ou juridique, à défaut de quoi il ne saurait avoir recours à l'article 815-2 du Code civil.

Autrement dit, les juges renvoient à la règle de l’unanimité sauf à démontrer l’urgence et la nécessité impérieuse.


3°/ Vérifier s’il n’existait pas d’anciennes bornes sur le terrain placées à un autre endroit :


Il a été jugé que la découverte, après la conclusion d’une convention sur la délimitation des deux propriétés contiguës, de bornes antérieurement posées peut justifier l’annulation de la convention pour erreur (Douai, 21 févr. 1848, DP 1849. 2. 48. - Toulouse, 22 nov. 1929, Gaz. Pal. 1929. 2. 981). Il s’agit en effet d’une erreur de droit, car bornage sur bornage ne vaut.

L’erreur de fait en revanche sera irrecevable pour annuler la convention de bornage.


En conclusion, la porte est étroite pour remettre en cause un bornage amiable mais il reste des options qui dépendent des signataires « oubliés ».


Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,

Avocat spécialiste en droit de l’environnement.

© Cabinet de Me Gimalac Avocat à Paris Cannes et Grasse - 2017