La question épineuse des vérandas en copropriété : quelques réponses de la jurisprudence.


Par Me Laurent Gimalac, Avocat spécialiste et docteur en droit privé.



Les copropriétaires peuvent être tentés d’installer une véranda sur leur terrasse ou leur balcon, pensant souvent à tort, que ce prolongement de leur appartement leur appartient et qu’ils ont le droit d’y faire ce qu’ils souhaitent.


En réalité, la situation est bien loin d’être aussi simple. Le plus souvent la terrasse ou la balcon est inclue dans les parties communes. Certes la jouissance en est privative mais toute modification doit être déclarée au syndic de copropriété et doit faire l’objet d’une autorisation en assemblée générale. De plus, les modifications doivent être conformes au règlement de la copropriété sinon elles seront interdites.


Pour autant, certains copropriétaires persistent et signent, méconnaissent ce préalable et réalisent donc les travaux sans aucun autorisation. Que risquent-ils ?


I - LA DEMANDE D’AUTORISATION : UN PRÉALABLE OBLIGATOIRE MAIS PAS TOUJOURS SUFFISANT


1°/ La demande d’autorisation en assemblée générale


Suivant la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 (art. 25 b), le copropriétaire doit obtenir l’autorisation en assemblée générale pour la construction ou pour le remplacement d’une véranda. En cas contraire, le syndicat des copropriétaires dispose de 10 années pour réclamer la remise en état des lieux (art. 42 de la même loi).


La construction, par un copropriétaire, de nouveaux locaux à usage privatif sur le sol commun nécessitera une autorisation de l'assemblée à la double majorité de l'art. 26 car selon l'art. 3 de la loi du 10 juill. 1965 « le droit d'édifier des bâtiments nouveaux dans des cours, parcs ou jardins constituant des parties communes » est, dans le silence ou la contradiction des titres, réputé droit accessoire aux parties communes. 


Ce droit doit donc être cédé - d'où la nécessité de la double majorité de l'art. 26 - au copropriétaire qui souhaite le mettre en oeuvre sous réserve d’un droit privatif de construire prévu par le règlement.


Il est parfois admis une exception pour les constructions légères  qui n’emporte pas appropriation de l’espace.


Mais la jurisprudence reste incertaine en effet, on trouve également des arrêts contraires qui estiment que même une construction légère est une appropriation...


Ainsi, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 23e ch., 1er oct. 1993, Coltelloni) estime que la construction sans autorisation (sur une terrasse à jouissance privative) « même d'un abri précaire s'analyse en une appropriation d'une partie commune qui donne lieu à l'exercice d'une action réelle, laquelle se prescrit par trente ans » (et aurait, dès lors, nécessité, en assemblée générale, la double majorité de l'art. 26).


2°/ La distinction des ouvrages avec ou sans surélévation


La jurisprudence a introduit une distinction entre les ouvrages qui entrainent une surélévation et les autres car dans le premier cas, il faut obligatoirement suivre la procédure spéciale prévue par l’article 35 al 2 de la loi du 10 juillet 1965. Une structure légère aisément démontable, dès lors qu’il n’y a pas élévation de la ligne de faîtage du toit, ni création de nouveaux locaux habitables échappe à cette première catégorie (CA Paris, 23e ch. B, 26 janv. 1996 : Loyers et copr. 1996, comm. 239).


Dès lors,  la majorité de l’article 25 est suffisante, s’agissant de travaux touchant à l’aspect extérieur de l’immeuble suffit pour faire entériner les travaux. 


En ce sens, il a été jugé par la Cour de cassation, le 6 octobre 1993 :


« Ayant constaté que la véranda projetée ne prolongeait pas verticalement la façade, qu'il n'y avait pas exhaussement à un niveau plus élevé que la toiture de l'immeuble et que la terrasse sur laquelle était prévue la construction était une partie privative, la cour d'appel, qui en a justement déduit que l'autorisation accordée par la résolution de l'assemblée générale des copropriétaires, requérait seulement la majorité prévue par l'article 25 de la loi du 10 juillet 1965, a légalement justifié sa décision de ce chef."


De plus, en cas de refus de l’assemblée des copropriétaires, le recours au juge est alors possible pour passer outre, aux termes de l’article 30, alinéa 4.


Mais une autre solution plus rapide peut consister à demander a posteriori à l’assemblée de voter une résolution suivant laquelle elle renonce à demander la remise en état et la démolition de la véranda.


Il a été jugé par exemple que l’autorisation donnée par l’assemblée de ne pas démolir une véranda édifiée sur une terrasse équivaut à une autorisation de travaux (Cass. 3e civ., 19 nov. 1997, n° 96-10.771) :


« Ayant relevé que l'autorisation donnée aux copropriétaires de ne pas démolir la construction qu'ils avaient édifiée, véranda installée sur la terrasse, équivalait à une autorisation de travaux et que cette construction ne constituait pas la surélévation visée par l'article 35 de la loi du 10 juillet 1965 et le règlement de copropriété, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que l'assemblée générale des copropriétaires, statuant à la majorité des voix de tous les copropriétaires, avait régulièrement autorisé cette construction qui affectait l'aspect extérieur de l'immeuble et était conforme à la destination de celui-ci."


3°/ la responsabilité pour cause de trouble anormal du voisinage


Même si l’assemblée donne son aval, le copropriétaire n’est pas à l’abri de toutes poursuites.

En effet, un voisin peut considérer que cet ouvrage lui cause un préjudice, et constitue un trouble anormal du voisinage.

Ce sera le cas par exemple d'un copropriétaire dont la vue est obstruée à la suite de la construction d'une véranda, sur une terrasse par un voisin, V. CA Paris, 23e ch. B, 18 févr. 1994).

Dans cette affaire, la cour d’appel de Paris a reconnu la recevabilité et le bien fondé de cette action individuelle :


"Nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Constitue un trouble anormal de voisinage le fait pour un copropriétaire de construire une véranda, sur sa terrasse, obstruant la vue à son voisin. L'auteur du trouble ne peut se dégager de son obligation de réparation en invoquant l'absence de faute. Il y a donc lieu d’ordonner la démolition de la véranda et d’allouer des dommages-intérêts à la victime".


II - LA PRESCRIPTION CIVILE DE LA VÉRANDA NON AUTORISÉE  : UNE FAUSSE ALLIÉE EN CAS DE MODIFICATIONS SUCCESSIVES OU D’APPROPRIATION


1° la prescription de 10 ans ne s’applique pas aux renouvellements, ou modificatifs ultérieurs 


Théoriquement les actions du syndicat contre le copropriétaire se prescrivent au bout de 10 ans. Ce dernier peut donc se croire à l’abri de toute action contre lui au delà de ce délai. Mais deux tempérament importants limites la portée de cette règle et la rendent bien souvent illusoire.


La cour de cassation rappelle en effet que cette prescription ne concerne que l’installation initiale, et pas éventuellement les modificatifs ultérieurs, voire le simple remplacement. L’épée de DAMOCLÈS continue donc à menacer le copropriétaire :


«D’une part, ayant relevé que les travaux réalisés par M. et Mme X avaient consisté dans la dépose de la véranda existante et la construction d'une nouvelle installation, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions, a retenu, à bon droit, que la construction nouvelle ne pouvait bénéficier de la prescription acquise au titre de la précédente et a légalement justifié sa décision en ordonnant la démolition de la construction et la remise en état des lieux conformément au cahier des charges et plan d'origine. D'autre part, la cour d'appel ayant fait application de la prescription décennale de l'art. 42, alinéa 1er, de la loi du 10 juill. 1965, le moyen, qui critique les motifs du jugement que la cour d'appel n'a pas adoptés, est sans portée.» Cass. Civ. 3e, 24 sept. 2014, N° de pourvoi : 13-12.751, rejet, inédit


2° En cas d’appropriation illicite, c’est la prescription de 30 ans qui s’applique


Dans la mesure où la construction était assimilée à une appropriation irrégulière d’une partie commune, ce serait la prescription de droit commun qui trouverait à s’appliquer, soit trente ans. On peut donc imaginer qu'un copropriétaire puisse encore agir au delà de 10 ans, contre les atteintes les plus importantes commises sur les parties communes.


A propos d'une véranda construite sans autorisation majoritaire sur une terrasse commune, la Cour de cassation a confirmé le principe : « l'action des copropriétaires ayant pour objet de restituer aux parties communes ce qu'un autre copropriétaire s'était indûment approprié [n'est] pas soumise à la prescription décennale » (Civ. 3e, 22 janv. 1992, no 90-15.906).


III - UNE DIFFICULTÉ EN CAS DE VENTE : L’IMPOSSIBILITE DE DÉCOMPTER LA VÉRANDA DANS LES SURFACES LOI CARREZ


Une réponse ministérielle précise que la surface de la véranda ne pourra pas être décomptée dans la surface de vente dès lors qu’il ne s’agit pas de la partie privative d’un lot :


«La loi n° 96-1107 du 18 décembre 1996, dite loi Carrez, institue une obligation de faire mention de la superficie privative dans l'acte de vente d'un lot de copropriété. Conformément aux dispositions de l'article 4-1 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, la superficie privative d'un lot est la superficie des planchers des locaux clos et couverts après déduction des surfaces occupées par les murs, cloisons, marches et cages d'escalier, gaines, embrasures de portes et fenêtres, sans tenir compte des planchers des parties des locaux d'une hauteur inférieure à 1,80 mètre. Pour être pris en compte dans le calcul de la superficie privative telle que prévue dans la loi susvisée, le local doit donc être clos, couvert et inclus dans la partie privative du lot de copropriété. Il en résulte que les locaux des parties communes, y compris à jouissance privative ou exclusive, ne sont pas pris en compte pour déterminer la superficie privative. En conséquence, la superficie d'une véranda ou d'une loggia est intégrée dans la superficie privative si elle répond aux quatre conditions cumulatives suivantes : ces locaux doivent être clos, couverts, d'une hauteur égale ou supérieure à 1,80 mètre et compris dans la partie privative du lot.»




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