Tricheries des constructeurs automobiles sur les émissions polluantes : quels recours pour le consommateur ?


Par Laurent GIMALAC, Docteur en droit, Lauréat et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.


Le « dieselgate » ou scandale du diesel est en train de décrédibiliser durablement bon nombre de constructeurs.

Il a pris naissance aux Etats Unis dans un premier temps grâce au travail pugnace d’une association puis de l’agence de l’environnement (EPA) qui a révélé les tricheries d’un logiciel mis en place par la marque VOLKSWAGEN et destiné à faire passer ses véhicules à travers les tests de pollution.

Celle-ci a finalement reconnu la fraude et a versé une indemnité de 21 milliards de dollars aux Etats Unis pour mettre fin aux poursuites (qui s’ajoute à une amende de 17,5 milliards versée pour les concessionnaires et leurs clients).

Cette même agence a accusé plus récemment le constructeur FIAT CHRYSLER  d’avoir truqué plus de 100.000 véhicules avec un logiciel caché.

En Europe, les autorités n’avaient pas réagi en temps utile et semblaient totalement dépassées par les événements.

Mais le scandale essaime désormais dans toute l’Europe, en touchant la France, l’Allemagne etc.

Les institutions européennes sont également touchées de front, accusées de ne pas avoir mis en place des systèmes de contrôle efficaces et d’avoir été endormies par les constructeurs… Elles ont annoncé un nouveau système de tests qui serait basé sur une utilisation réelle des véhicules en ville et pas en laboratoire…

Le Parlement européen va encore plus loin puisqu’il demande dans une résolution prise en avril 2017, l’indemnisation des automobilistes à l’instar de ce qui a été promis à ses clients aux Etats Unis par Volkswagen. A cette fin, un système collectif d’indemnisation devra être mise en place. Il réclame également de nouvelles règles d’homologation des véhicules. Et la Commission devrait disposer de nouveaux pouvoirs de sanction (amende de 30.000 euros par véhicule non conforme).

Par ailleurs le Parlement a recommandé que les tests de gaz polluants soient réalisés en condition réelle et non en laboratoire, suivant de ce point de vue la suggestion de la Commission européenne.

Jusqu’alors la « partie » se jouait essentiellement entre les Etats, et l’Europe en vue de rectifier les normes et les moyens de contrôle. Mais les consommateurs à l’instar de leurs homologues d’outre atlantique, risquent de s’en emparer compte tenu des révélations de la direction de la concurrence et des fraudes. et des suites judiciaires pourraient donner lieu à des condamnations.


I - LES ACTIONS MENÉES AU PLAN NATIONAL PAR LA DIRECTION DES FRAUDES


Dans un rapport de 39 pages, la répression des fraudes en France soupçonne ainsi le constructeur Renault de fraude relevant des écarts importants entre les normes annoncées et les émissions réelles… 

Le parquet de Paris a ouvert une enquête sur Renault pour les émissions de NOx, et trois juges d’instruction ont été chargés d’enquêter sur une éventuelle « tromperie sur les qualités substantielles ». En effet, la firme est suspectée d’avoir mis en place un système de détection de cycle permettant au moteur de réguler sa pollution dès qu’il était en condition de « test » et non en conditions de circulation réelle.

Ces procédures pourraient durer des années mais elles ont le mérite de poser exactement la qualification pénale qui semble la plus adéquate pour qualifier le délit…

Elles ne sont pas toutes couronnées de succès. Ainsi, la direction générale de la répression des fraudes a clos son enquête sur le constructeur OPEL qui « [n'a] pas mis en évidence de faits constitutifs d'une infraction de tromperie" sur les émissions polluantes de ses moteurs diesel. Pourtant cette enquête avait été menée à la suite de tests réalisés par la commission d’enquête indépendante missionnée par le Ministère de l’environnement.


II - LES ACTIONS JUDICIAIRES A TITRE INDIVIDUEL OU VIA L’ACTION DE GROUPE ?


Les clients et investisseurs privés ne sont pas restés inactifs de leur côté. Ils ont engagé des démarches individuelles ou de groupe par l’intermédiaire d’associations pour faire valoir leurs droits. En effet, ils suffisent un préjudice directe et personnel en raison du dieselgate.

Leur véhicule va subir une décote sur le marché de l’occasion, et de surcroît ils ont été trompés par les annonces des constructeurs sur les qualités environnementales de leurs véhicules.


 A - DES PROCÉDURES INITIÉES SUR LE DROIT DE LA CONSOMMATION ET LE DROIT PÉNAL


En Europe, une action de groupe a été initiée par un cabinet d’avocats au Royaume Uni pour ses ressortissants victimes de ces agissements. Il existe aussi une initiative de ce genre par l’association de consommateur espagnole APDEF dont le président tente de fédérer les victimes du Dieselgate pour lancer une procédure collective devant les juridictions civiles.

En France, à Marseille, dès l’année 2015, des particuliers ont annoncé avoir porté plainte au pénal pour tromperie aggravée pour demander le remboursement de leur véhicule partiel ou total.

L’association Ecologie sans frontière en a fait de même en portant plainte contre X auprès du procureur de la République pour « tromperie aggravée et mise en danger de la vie d’autrui".

On apprend qu'une procédure pénale a été engagée par plusieurs dizaines de clients VW réunis au sein de l’« Association des victimes internationales de la fraude automobile (AVIFA) » pour « pratique commerciale trompeuse, publicité mensongère, tromperie, escroquerie, mise en danger de la vie d’autrui, complicité, faux et usage de faux ».

Une association créée par des journalistes et avocats spécialisés en contentieux routier a proposé de recueillir  les requêtes des automobilistes au travers du site www.class-action-volkswagen.eu.

Une autre action collective a été engagée  par la start-up spécialisée en litiges de masse, Weclaim, afin de permettre aux consommateurs de retourner leurs véhicules en échange du prix d’achat.

Rappelons que l’action de groupe est une nouveauté en France, réservée initialement aux associations de consommateurs, elle a été étendue aux questions environnementales. Elle ne peut être initiée que par des associations de défense de l’environnement ou de défense des consommateurs qui ont reçu un agrément. Pour le moment, les actions sont encore rare, et l’on manque de recul sur leur efficacité. 

Il reste à définir clairement contre qui cette action serait menée et réparer quel préjudice ?


B - LES CONTRAINTES LÉGALES 


Pour être couronnés de succès les recours devront apporter une réponse crédible à plusieurs interrogations.

1°/ Quel préjudice ?

Quelques pistes ont été avancées.

Comme par exemple la réparation du préjudice moral (avoir été trompé par une grande marque qui a axé sa communication sur la fiabilité et le respect des normes), de la tromperie sur les qualité techniques du véhicule (consommation plus forte que prévu, diminution de la durée de vie du filtre à particules…), ou encore sur la pollution réelle induite par son fonctionnement en conditions réelles  (le fait d’exposer la population à des polluants toxiques) ou encore la perte de valeur à la revente de leur véhicule qui subit une décote.

Il existe aussi un préjudice pour l’actionnaire du constructeur qui peut reprocher à la société d’avoir commis une fraude qui entraîne une dépréciation de son action…

Déjà des centaines de plaintes ont été déposées en Allemagne par les investisseurs (banques, investisseurs privés) auprès du tribunal de Brunswick, en Basse Saxe pour réclamer plus de 8 milliards d’euros à Volkswagen auquel ls reprochent de ne pas avoir communiqué en temps utile et d’avoir fait plonger le titre en bourse.

2°/ Contre qui ?

Bien des incertitudes subsistent. 

L’action devra-t-elle être dirigée contre le concessionnaire vendeur français ou contre le constructeur qui a triché ?

3°/ De plus, quelle qualification retenir ? 

Il y a une grande variété de textes qui peuvent être invoqués à commencer par le code civil qui édicte des règles sur les contrats.

Mais s’agissant la plupart du temps de consommateurs qui achètent des véhicules à des professionnels, on peut hésiter entre la mise en oeuvre de la garantie de conformité, la publicité mensongère, ou encore la pratique commerciale trompeuse… ou encore sur le fondement des vices cachés (droit commun des contrats dans le code civil).

L’action en conformité du code de la consommation :

L’ ancien article L. 211-1 du code de la consommation disposait par exemple que « Les produits et les services doivent, dans des conditions normales d’utilisation ou dans d’autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes."

Cet article a été remplacé par l’ordonnance du 14 mars 2016 et par un article L. 421-3 qui le reprend intégralement. 

la charge de la preuve incombe ici à l’acquéreur. 

Le manquement à l’obligation de délivrance :

Elle suppose de la remise matérielle de la chose, en quantité et qualité attendues. L’obligation de délivrance implique également la délivrance tous les accessoires de la chose (article 1615 du Code civil).

Mais la délivrance de vente de biens meubles corporels destinés à des consommateurs est régie par les articles L217-1 et suivants du Code de la consommation. Ainsi, l’article L217-4 de ce code impose au vendeur de livrer un bien conforme au contrat. Les acquéreurs sont couverts sur une durée de 24 mois à compter de l’achat notamment en cas d’apparition a posteriori des défauts. 

Le vendeur doit fournir un véhicule qui est conforme au contrat. Or la diffusion d’une fausse information sur les émissions de GES constitue une atteinte aux promesses contractuelles. la difficulté réside cependant dans le fait que l’information sur le rejet de C02 est souvent absente des documents techniques du constructeur… ce qui risque donc de rendre cette action illusoire. sauf à démontrer que la publicité incorporant l’information sur les rejets de CO2 constitue elle-même un engagement contractuel.

La théorie des vices du consentement :

La réticence dolosive est un vice du consentement entrainant l’annulation de la vente.

L’article 1137 du CC précise : « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie."

Il faut démontrer que l’information sur les émissions de CO2 constituait un facteur déterminant du choix du véhicule ce qui n’est pas toujours évident… En effet seule une information importante est susceptible d’être retenu comme un vice du consentement.

Les vices cachés :

Suivant l’article 1641 du code civil, «  le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ».

Il faut agir cependant dans les deux ans de la connaissance du vice.

Là encore, il sera difficile de démontre que cet usage est rendu impossible par le défaut d’information sur les émissions de CO2.

En conclusion : A titre individuel, on peut aussi conseiller aux clients de solliciter leur concessionnaire pour un rappel de leur véhicule et une demande de mise aux normes ou une action pour tromperie des constructeurs (action qui suppose le dépôt d’une plainte). Quid des recours dans ce cas en justice ? On le constate, le débat juridique est loin d’être clos et l’avenir nous dira quelle sera l’efficacité des procédures entreprises.


 

© Cabinet de Me Gimalac Avocat - Paris, Cannes Riviera et Grasse - 2017