Comment contester l’implantation d’un grand centre commercial dans son quartier ?

Par Me Laurent Gimalac, spécialiste en droit de l'environnement et en droit communautaire.


Le projet d’implantation d’un grande centre commercial peut susciter des peurs et  fédérer les oppositions, qu’il s’agisse de particuliers qui ne souhaitent pas supporter le vacarme incessant des passages de véhicules, la pollution, ou encore d’autres commerçants qui voient d’un très mauvais oeil l’arrivée d’un concurrent souvent plus grand qu’eux. 

L’actualité s’est fait écho de recours diligentés contre des projets importants comme celui d’IKEA à l’entrée de la ville de Nice. Un recours a d’ailleurs été engagé pour tenter de faire annuler le permis de construire délivré par la Mairie à la suite de différentes recours qui avaient échoué devant la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) puis, à Paris, devant la commission nationale d'aménagement commercial (CNAC)].

Il ne s’agit pas ici de lister l’ensemble des moyens de droit permettant de contester une implantation de grande surface (des fiches spécifiques sur le présent site sont prévues à cet effet) mais de mettre l’accent sur certaines astuces qui peuvent parfois rendre un grand service aux opposants à un grand projet.


I - VÉRIFIER LES SURFACES COMMERCIALES FACTEUR DE DÉCLENCHEMENT DES DEMANDES D'AUTORISATIONS ET DE L’ETUDE D’IMPACT


Quel est le seuil de déclenchement de l’autorisation ?


Selon l’article L. 752-1 du code de commerce, «  Sont soumis à une autorisation d’exploitation commerciale les projets ayant pour objet : / (…) 3° la création ou l’extension d’un ensemble commercial tel que défini à l’article L. 752-3 d’une surface de vente totale supérieure à 300 mètres carrés ou devant dépasser ce seuil par la réalisation du projet. (…) « 


Comment apprécier la notion de site commercial ?


Aux termes de l'article L. 752-3 de ce code : " Sont regardés comme faisant partie d'un même ensemble commercial, qu'ils soient ou non situés dans des bâtiments distincts et qu'une même personne en soit ou non le propriétaire ou l'exploitant, les magasins qui sont réunis sur un même site et qui : / 1° soit ont été conçus dans le cadre d'une même opération d'aménagement foncier, que celle-ci soit réalisée en une ou plusieurs tranches ; / 2° soit bénéficient d'aménagements conçus pour permettre à une même clientèle l'accès des divers établissements ; / 3° soit font l'objet d'une gestion commune de certains éléments de leur exploitation (...) ; / 4° soit sont réunis par une structure juridique commune, contrôlée directement ou indirectement par au moins un associé (...) «  


Existe-t-il un seuil pour l’étude d’impact ?


Il convient de vérifier si le projet dépasse la surface de 10.000 m² car dans ce cas il faut faire une étude d’impact ce que les promoteurs omettent parfois dans leur dossier.

D’autres parfaitement conscients de cette obligation font preuve d’astuce et procède au saussiçonnage du projet en créant plusieurs lots pour passer en dessous du seuil.


II - VÉRIFIER LES ETAPES CLEFS DE LA PROCÉDURE D'AUTORISATION


Le dossier doit passer devant la commission départementale pour autorisation du commerce.

Et il doit recevoir l’accord du Préfet et du maire pour le permis de construire.

La Commission nationale d’aménagement commercial est située à Paris. 

Elle apprécie la faisabilité des projets de grande surface.

A l’initiative du préfet, du maire de la commune d’implantation, du président de l'établissement public de coopération intercommunale visé au b du 1° du II de l'article L. 751-2, de celui visé au e du même 1° du même article ou du président du syndicat mixte visé au même e et de toute personne ayant intérêt à agir, la décision de la commission départementale d'aménagement commercial peut en effet, dans un délai d'un mois, faire l'objet d'un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial. La commission nationale se prononce dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine.  La saisine de la commission nationale est un préalable obligatoire à un recours contentieux à peine d’irrecevabilité de ce dernier.

La commission peut décider de l’arrêt du projet.

Il est préférable de se faire accompagner de militants d’associations environnementales pour peser d’un poids suffisant.

Il convient de faire état de la destruction des espaces agricoles, la destruction des emplois économiques au sein du centre-ville.

Le maire sera entendu par les experts de la commission nationale.

Il est le premier responsable car c’est lui qui accepte le dossier.

La commission peut donner un avis défavorable et donc bloquer le projet.

Elle pourra prendre en compte les conséquences négatives pour les commerçants de centre-ville dans sa décision. Il existe peu de précédents dans ce domaine, il convient donc d’argumenter sérieusement avec des rapports à l’appui.


III - QUID EN CAS DE NON RESPECT DES AUTORISATIONS ?


Comment faire sanctionner le dépassement par le Préfet ?


Beaucoup de grandes surfaces ne respectent pas la surface autorisée en mètres carrés et dépassent en surface réelle ce qui était prévu dans le permis.

Il convient alors de saisir le Préfet représentant de l’Etat ou le Maire pour sanctionner cette infraction.

Mais en cas d’inaction des autorités, les particuliers et associations de protection du quartier ne sont pas démunis.

Ils peuvent alors saisir le tribunal administratif d’une demande afin d’enjoindre le préfet de sanctionner le dépassement. Il ne s’agit en réalité que de faire appliquer la loi et obliger le préfet à faire constater l'infraction.


Comment bloquer les nouveaux projets d’extension ?


Il est possible également de demander l’annulation de l’autorisation à la suite d’une nouvelle demande d’augmentation de surface commerciale, si le dossier contient des inexactitude et omission de nature à avoir faussé son appréciation de la demande et de la surface supplémentaire à autoriser.

C’est ainsi qu’il a été jugé dans l’affaire du Carrefour de Châteauneuf-les-Martigues (CAA Marseille 19 juin 2012) :


« … le maire de Châteauneuf-les-Martigues a délivré un permis de construire un hypermarché pour une surface de vente maximale de 4500 m² et des réserves d’une surface maximale identique ; que la décision litigieuse de la commission départementale d'équipement commercial des Bouches-du-Rhône a autorisé la S.A.S. Société Nouvelle d’Exploitation et Compagnie à étendre de 2030 m² l’hypermarché exploité sous l’enseigne «  Carrefour «  en mentionnant dans la demande d'autorisation, une surface de vente existante de 6470 m², totalisant ainsi une nouvelle surface de vente de 8500 m² ; que toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une autorisation serait intervenue avant janvier 2006 pour permettre une extension de la surface de vente de 4500 m² à 6470 m², cette dernière surface apparaissant seulement dans le rapport technique de la commission de sécurité de mars 1998 ; que, pourtant, la demande d'autorisation et le rapport du service instructeur indiquent qu'il n'y a eu aucun changement de surface depuis l'ouverture de l'hypermarché ; que, dans ces conditions, la commission a pris sa décision au vu d'un dossier inexact et incomplet ; que ces inexactitude et omission sont de nature à avoir faussé son appréciation de la demande et de la surface supplémentaire à autoriser ; que, par suite, l'autorisation litigieuse est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière... »


Les opposants à un projet de création ou d’extension ne sont donc pas démunis, mais ils doivent se faire utilement conseiller par un spécialiste car les procédures demeurent complexes et peux accessibles. 


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