Par Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste et Docteur en droit privé.
Distinction entre chemin ouvert au public et chemin public.
Au préalable, il faut rappeler qu’une voie privée ouverte à la circulation publique, ne devient pas pour autant une voie publique appartenant au domaine de la Commune. Il peut s’agir d’une simple tolérance réversible, et en tout état de cause, la Commune devra prendre un arrêté de transfert pour en récupérer les droits de propriété ou exproprier les propriétaires. Cela quand bien même la dit Commune aurait réalisé des travaux pour en assurer le passage et l’entretien ce qui arrive fréquemment quand il y a un trafic routier … Il s’ensuit le maire ne peut choisir lui-même une dénomination pour cette voie (Voir CE 18 juill. 1919, Magnier, Godon-Boiry et autres) ou encore réaliser les travaux sans l’autorisation des propriétaires. Si une délibération a été prise en méconnaissance de ces règles, elle peut être annulée devant le juge administratif.
Si ces travaux sont réalisés sur une voie privée, ils auront néanmoins la qualification de travaux publics et la responsabilité de la Commune pourra être engagée par un utilisateur, sur le fondement du défaut d’entretien ou d’aménagement lorsqu’en assume la charge.
Le maire pourra être aussi tenu d’assurer la police générale de la circulation, sur le fondement articles L. 2212-2 et L. 2213-1 et suivants du code général des collectivités territoriales et donc de faire appliquer le code de la route. En effet, bien que le chemin soit privé, le fait qu’il soit délibérément ouvert au public permet au Maire d’étendre sa juridiction qui normalement est réservée aux seuls voies publiques. Dès lors, sera applicable l’article L. 412-1 du code de la route réprime et punit de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 € d’amende « le fait, en vue d’entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d’employer, ou de tenter d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle [...] »
Le transfert d’office du chemin dans le domaine de la Commune.
Il reste que certains propriétaires ne souhaitent pas que leur chemin privé soit ouvert à la circulation publique et soumettent le passage à l’acquisition préalable d’une servitude (un droit de passage établi par acte notarié). Cela peut contraindre la Commune a utiliser les grands moyens notamment pour permettre la desserte d’un lotissement qui n’aurait pas pris la précaution de solliciter cette servitude de passage auprès des propriétaires … Des communes ont cru pouvoir utiliser notamment la procédure de transfert d’office dans le domaine public, qui a le gros avantage d’être gratuite (pas d’indemnité pour les riverains) contrairement à la procédure d’expropriation.
Cette procédure était prévue expressément par l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme (ancienne rédaction) qui dispose : « La propriété des voies privées ouvertes à la circulation publique dans des ensembles d’habitations peut, après enquête publique, être transférée d’office sans indemnité dans le domaine public de la commune sur le territoire de laquelle ces voies sont situées. / La décision de l'autorité administrative portant transfert vaut classement dans le domaine public et éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels et personnels existant sur les biens transférés. / Cette décision est prise par délibération du conseil municipal. Si un propriétaire intéressé a fait connaître son opposition, cette décision est prise par arrêté du représentant de l'Etat dans le département, à la demande de la commune. (…) »
Dans un important arrêt du 13 octobre 2016, le Conseil d’Etat vient de rappeler les conditions d’applications de ce texte ainsi que les modalités de recours des propriétaires.
Tout d’abord, il précise que le délai de recours contentieux contre une décision de transfert prise sur le fondement des dispositions précitées ne peut courir, pour les propriétaires intéressés, qu’à compter de la date à laquelle celle-ci leur a été notifiée, peu important que cette décision ait été par ailleurs publiée ou affichée. Autrement dit, si le propriétaire n’a pas reçu de lettre recommandée l’informant de la décision de transfert, le délai de recours n’est pas déclenché.
Ensuite, sur le principe même du transfert du chemin privé dans le domaine de la Commune, il rappelle que le transfert des voies privées dans le domaine public communal prévu par les dispositions précitées de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme est subordonné à l’ouverture de ces voies à la circulation publique, laquelle traduit la volonté de leurs propriétaires d’accepter l’usage public de leur bien et de renoncer à son usage purement privé.
Les manifestations concrètes du refus d’ouverture du chemin privé à la circulation publique.
Il existe plusieurs moyens évoqués par le Conseil d’Etat pour démontrer le refus d’ouverture du chemin au public : une pétition signée par les riverains, ou encore le recours au juge judiciaire pour empêcher le passage de personnes non autorisées. Etant précisé que « les circonstances que cette opposition n’avait été formalisée que par certains propriétaires, qu’elle n’avait pas été matérialisée par une barrière ou que le chemin avait bénéficié du raccordement à plusieurs réseaux de service public ou d’une desserte de la part des services postaux étant à cet égard indifférentes ».
En conclusion, les propriétaires de chemins privés qui veulent en conserver l’usage et surtout empêcher le passage intempestif de personnes non autorisées, peuvent se rassurer, le Conseil d’Etat reste vigilant sur le respect du droit de propriété et la Commune ne peut donc utiliser la procédure de transfert n’importe comment et pour n’importe quoi.
Me Laurent GIMALAC, Avocat et docteur en droit privé,
Lauréat de l’Université.