L'occupation à titre précaire du domaine public, notamment à des fins de logement, soulève des questions juridiques spécifiques, distinctes des règles applicables aux baux d’habitation classiques. Soumise à la volonté discrétionnaire des personnes publiques, cette forme d’occupation confère à l’occupant une grande précarité, avec la possibilité d’une révocation rapide et sans garantie de maintien dans les lieux. Cet article se propose d’examiner les conséquences juridiques de ce type d’occupation pour l’occupant, en se penchant sur les procédures de contestation, les voies d'expulsion, et les différences majeures par rapport à un bail traditionnel, à la lumière de plusieurs décisions récentes de la jurisprudence administrative.
Définition et cadre juridique de l'occupation à titre précaire
L'occupation à titre précaire du domaine public, y compris à des fins de logement, est régie par le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), notamment les articles L. 2122-1 et suivants, ainsi que les articles R. 2124-65 et R. 2124-73. Une occupation précaire est attribuée à titre personnel, révocable à tout moment, et dépend souvent des nécessités de service.
Ce type d'occupation est fondamentalement distinct du régime des baux classiques, car elle repose sur des concessions liées au service public ou à une utilité publique, en contraste avec le droit locatif du Code civil qui régit les baux d'habitation classiques.
Dans l'arrêt de la CAA de Nancy du 31 janvier 2023, une convention d'occupation précaire a été imposée à une fonctionnaire en logement de fonction, après la cessation de ses missions, qu'elle a refusé de signer. Il en a résulté des ordres de recettes pour récupérer des sommes dues au titre de l'occupation du domaine public. Ce cas démontre la prévalence de la précarité et de la révocabilité d’une telle occupation, qui n'est pas encadrée par un contrat classique avec des droits durables pour l'occupant.
Conséquences pour l'occupant
L'occupant d'un logement sur le domaine public à titre précaire, contrairement à un locataire en bail classique, n'a pas droit à une sécurité dans l'occupation des lieux. Dès que l'occupation n'est plus justifiée par des fonctions spécifiques, l'autorité publique peut ordonner l'expulsion de l'occupant. En ce sens, la jurisprudence est claire : une fois la fonction ou la mission cessée, l'occupant doit libérer les lieux immédiatement, sous peine d'une procédure d'expulsion.
Dans l'affaire jugée par le TA de Paris le 11 mars 2024, la ville de Paris a demandé l’expulsion d’un ancien fonctionnaire qui continuait d'occuper un logement de fonction. Le juge a confirmé l’expulsion au motif que l'occupation n'était plus justifiée après la cessation des fonctions. Le juge administratif est compétent en la matière puisque l'occupation se fait sur le domaine public.
De plus, dans le jugement du TA de Melun du 11 juillet 2024, il a été jugé que la commune de Meaux pouvait expulser un occupant sans droit ni titre d'un logement du domaine public, avec une astreinte financière, démontrant ainsi le caractère réversible et précaire de ces occupations. Ce jugement a également précisé que l'occupant devait verser une indemnité compensatoire pour l'occupation irrégulière, souvent calculée en fonction de la valeur locative des lieux.
Procédure pour faire partir l'occupant
Lorsque l'occupant ne libère pas volontairement les lieux, l'autorité gestionnaire du domaine public peut engager une procédure devant le juge administratif, qui est compétent pour statuer sur l'expulsion des occupants irréguliers du domaine public (articles L. 2122-1 et R. 2124-73 du CGPPP). Dans les affaires précitées, les juges ont systématiquement ordonné l'expulsion des occupants sans titre, démontrant ainsi la rigidité de ce régime.
Différences avec un bail classique
- Nature du titre d'occupation : L'occupation précaire est strictement personnelle et liée à l'exercice d'une fonction ou d'une mission de service public. En comparaison, un bail locatif est un contrat de droit privé qui offre une protection plus forte au locataire, y compris des droits renouvelables (articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce pour les baux commerciaux et la loi du 6 juillet 1989 pour les baux d'habitation).
- Durée et stabilité : Un bail d'habitation classique accorde des droits stables et peut être reconduit tacitement, alors que l'occupation précaire est révocable à tout moment par l'administration, sans nécessité de motif particulier, dès lors que la mission ayant justifié l'occupation est terminée.
- Procédure de résiliation : La résiliation d'un bail locatif doit respecter des formalités strictes (préavis, motif légitime) alors que la fin de l'occupation précaire est instantanée et automatique en cas de cessation des fonctions. En cas de contestation, le locataire d’un bail classique saisirait le juge judiciaire, alors que l'occupant précaire doit se tourner vers le juge administratif.
- Indemnités d'occupation : Un occupant sans droit ni titre sur le domaine public peut se voir infliger des indemnités d'occupation majorées (comme dans les affaires traitées ici), parfois supérieures à la valeur locative réelle, alors que dans le cadre d’un bail, les arriérés de loyers sont limités aux sommes dues contractuellement.
Conclusion
L'occupation à titre précaire d'un logement sur le domaine public, souvent octroyée dans un cadre de nécessité de service, est fondamentalement plus fragile qu'un bail classique. Les occupants peuvent être expulsés rapidement, sans recours à des procédures protectrices similaires à celles du droit locatif privé. Les décisions analysées montrent la cohérence de la jurisprudence dans la protection du domaine public, où le maintien sans titre est systématiquement sanctionné par le juge administratif, qui ordonne l’expulsion et souvent l’application de pénalités financières.
Me Laurent GIMALAC
Avocat spécialiste, Docteur en droit,
Ancien chargé de cours à l’UNSA.