Le préjudice écologique, notion distincte du préjudice « classique » reconnu en droit civil. 2

Par Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste en droit de l'environnement.


Le préjudice écologique constitue un nouveau chef de préjudice en raison de sa distinction claire et novatrice par rapport aux préjudices dits « classiques » reconnus par le droit civil, tels que les préjudices patrimoniaux (matériels ou financiers) et extrapatrimoniaux (moral ou corporel). Cette spécificité découle de son objet, de sa définition et de ses modalités de réparation.

1. Un préjudice autonome et objectif

  • Autonomie reconnue : Avant l’introduction des articles 1246 à 1252 du Code civil par la loi du 8 août 2016, les atteintes environnementales étaient systématiquement intégrées dans d’autres catégories de préjudices (souvent le préjudice moral ou matériel), ce qui diluait leur spécificité. Le préjudice écologique est désormais reconnu comme un chef de préjudice autonome, distinct des dommages subis par les personnes ou les biens.
  • Objectivité : Contrairement aux préjudices classiques, qui impliquent souvent un lien direct avec un intérêt personnel (par exemple, la douleur physique ou une perte financière), le préjudice écologique est objectif. Il concerne l’atteinte à l’environnement pour lui-même, indépendamment des intérêts humains.

2. L’objet particulier de la réparation

  • Réparation des atteintes aux écosystèmes : Le préjudice écologique vise spécifiquement à réparer une atteinte aux éléments ou fonctions des écosystèmes, souvent définies comme des services écosystémiques. Ces fonctions écologiques incluent des processus vitaux pour la planète, tels que :
    • La photosynthèse, qui purifie l’air.
    • La régulation du cycle de l’eau.
    • La pollinisation, essentielle à l’agriculture.
  • Évaluation distincte : Contrairement aux préjudices classiques qui se mesurent souvent en termes financiers ou émotionnels, l’évaluation du préjudice écologique repose sur des critères scientifiques et environnementaux, tels que la perte de biodiversité ou la destruction d’habitats.

3. Une approche réparatrice unique

  • Réparation en nature privilégiée : Le préjudice écologique introduit un paradigme nouveau en matière de réparation. Plutôt que de verser des indemnités aux victimes, l’objectif est de restaurer l’environnement dégradédans la mesure du possible (article 1249 du Code civil). À défaut, des compensations financières doivent être affectées à des actions visant à restaurer ou protéger des écosystèmes similaires.
  • Finalité collective : Ce préjudice met l’accent sur les intérêts collectifs et non sur des intérêts privés, ce qui en fait un chef de préjudice tourné vers le bénéfice de la communauté humaine et de la planète dans son ensemble.

4. Les risques de confusion avec d’autres préjudices

  • Le préjudice écologique, en tant que nouveau chef, peut être confondu avec d'autres préjudices, notamment :
    • Le préjudice moral : Lorsqu’une atteinte à l’environnement impacte émotionnellement une personne ou une communauté, cela relève du préjudice moral, et non du préjudice écologique.
    • Les préjudices patrimoniaux : Si une pollution réduit la valeur d’un bien immobilier, il s’agit d’un préjudice financier pour son propriétaire, distinct du préjudice écologique qui répare l’atteinte à l’environnement.
  • Cette confusion initiale justifie l’effort législatif pour distinguer et encadrer ce chef de préjudice de manière autonome.

5. Un bouleversement conceptuel et juridique

Le préjudice écologique marque une rupture par rapport à la logique traditionnelle du droit civil :

  • Valeur intrinsèque de l’environnement : Pour la première fois, le droit français reconnaît que l’environnement possède une valeur propre, indépendante des usages humains.
  • Protection des fonctions écologiques : Ce préjudice met en lumière l’importance des services rendus par la nature, qui sont essentiels à la survie humaine mais également à l’équilibre des écosystèmes.

6. Conclusion

Le préjudice écologique est un nouveau chef de préjudice car il reconnaît et répare l’environnement en tant qu’entité autonome, avec des critères et des finalités distincts des préjudices classiques. Il s’inscrit dans une logique révolutionnaire de protection des écosystèmes et des fonctions écologiques essentielles à la planète. Cette spécificité en fait un outil juridique inédit et adapté à l’urgence environnementale actuelle.


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