Le cas le plus problématique est celui où l’État refuse de reconnaître l’état de catastrophe naturelle pour la commune et la période du sinistre. Sans cette reconnaissance,, aucune indemnisation n’est possible via l’assurance CatNat. Les sinistrés se retrouvent alors sans recours indemnitaire direct contre leur assureur. Il leur reste cependant la possibilité de se tourner contre l’État pour contester ce refus de reconnaissance, via le droit administratif. Deux voies principales s’offrent aux communes et aux particuliers concernés
I. Le recours gracieux auprès du Ministère de l’Intérieur (ou du ministre chargé de la Sécurité civile) :
Il s’agit d’une demande de réexamen adressée directement à l’administration, par laquelle la commune (ou un collectif de sinistrés via la commune) fournit des éléments complémentaires susceptibles de faire évoluer la décision. Par exemple, de nouvelles données météorologiques, une étude scientifique locale prouvant l’intensité du phénomène, etc. Depuis la loi de 2021, l’arrêté de refus doit mentionner les motifs du rejet et les rapports d’expertise sur lesquels il s’appuie. Il est donc plus facile d’identifier ce qui a manqué au dossier initial (par ex., le critère X n’était pas rempli). Le recours gracieux doit être exercé dans les 2 mois du refus et, sans réponse sous 2 mois, le silence de l’administration vaut rejet implicite. Bien que non contentieux, ce recours est important : il peut permettre une reconsidération rapide si, par exemple, une erreur manifeste s’est glissée dans l’appréciation initiale.
II. Le recours contentieux devant le tribunal administratif :
C’est le recours en annulation pour excès de pouvoir contre l’arrêté ministériel de refus. La commune touchée a intérêt pour agir, tout comme éventuellement des administrés sinistrés (ces derniers doivent généralement se regrouper et justifier d’une atteinte suffisamment directe). Le recours doit également être déposé dans les 2 mois suivant la notification du refus
Devant le juge administratif, l’argumentation portera sur l’illégalité de la décision de refus : erreur d’appréciation des critères, rupture d’égalité de traitement entre communes, usage de critères non prévus par les textes, défaut de motivation (si applicable pour des décisions antérieures à 2021), etc. La jurisprudence, comme on l’a vu avec l’affaire de la CAA Versailles 2014 confirmée par le CE en 2016, a déjà reconnu l’illégalité de certains refus fondés sur des critères arbitraires. D’autres cas ont abouti à des annulations pour erreur manifeste (par exemple, des communes lourdement fissurées alors que des voisines aux dégâts moindres avaient été classées en CatNat, ce qui révèle une incohérence). Effet du jugement : si le tribunal administratif annule le refus, cela n’implique pas automatiquement la reconnaissance de la commune en état de catastrophe naturelle, mais l’État devra réexaminer le dossier à la lumière des motifs retenus par le juge. En pratique, sauf changement des circonstances, un second refus s’exposerait à une nouvelle annulation. Le juge peut assortir son annulation d’une injonction de réexaminer dans un délai déterminé, afin d’accélérer le processus. Il n’est pas rare qu’après une annulation contentieuse, l’État finisse par reconnaître l’état de catastrophe naturelle lors d’une commission ultérieure, surtout si entre-temps des critères plus favorables ou de nouvelles données sont apparus.
III. Recours indemnitaire contre l’État ?
En théorie, un sinistré pourrait chercher à engager la responsabilité de l’État pour faute, au motif que le refus de reconnaissance (s’il est illégal ou fautif) l’a privé de son droit à indemnisation. Toutefois, ce type de recours indemnitaire est délicat : il faudrait prouver une faute lourde de l’État dans la procédure d’évaluation des catastrophes naturelles. Jusqu’à présent, les sinistrés ont surtout obtenu gain de cause par l’annulation du refus (recours en excès de pouvoir) plus que par l’obtention de dommages-intérêts. La voie indemnitaire pourrait être explorée si, par exemple, un refus persistant et injustifié causait un préjudice anormal et spécial à certains propriétaires. La proposition de loi de 2023 prévoit d’ailleurs la remise d’un rapport gouvernemental sur « l’opportunité d’élargir les possibilités de recours des sinistrés et des élus locaux contre l’État et les assurances, particulièrement lorsque l’état de catastrophe naturelle n’a pas été reconnu ». Il n’est donc pas exclu que, à l’avenir, le législateur facilite de telles actions contre l’État en cas de carence avérée.
En pratique, si vous êtes victime de fissures sans arrêté CatNat : engagez rapidement vos élus locaux (maire, députés) pour appuyer la demande de reconnaissance, rassemblez des données objectives (photos datées, rapports d’experts en construction indiquant le lien avec la sécheresse, etc.), et si la réponse est négative, ne laissez pas passer les 2 mois pour agir en justice. Les tribunaux administratifs ont conscience de l’enjeu social de ces dossiers et, même si la procédure peut être longue, une annulation de refus peut débloquer la situation pour toute une commune.