Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.
Lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir la suspension d’une déclaration préalable autorisant la construction d’antennes relais, les propriétaires voisins peuvent rechercher un dédommagement pour les nuisances occasionnés par la présence de ce pylône. En effet, ils peuvent légitimement craindre la diminution de la valeur de leurs biens à la suite de l’édification du pylône. Et donc une sérieuse difficulté à la revente.
I - Compétence du juge judiciaire
Dans le cas d’une demande de dédommagement, la juridiction compétente est le tribunal judiciaire : il peut octroyer des indemnités aux riverains en cas de troubles anormaux du voisinage. Cette compétence est confirmée par plusieurs décisions de la Cour d'appel et de la Cour de cassation, notamment :
- CA Rennes, 1re ch., sect. A, 1er févr. 2011, n° 10/04353
- CA Rennes, 1re ch., 27 sept. 2011, n° 11/00649
- Cass. 1re civ., 17 oct. 2012, n° 10-26.854, n° 1116 F - P + B + R + I
Limites de la compétence du juge judiciaire :
En revanche, le juge judiciaire n'est pas compétent pour connaître du litige portant sur l'implantation d'une antenne (Cass. 1re civ., 17 oct. 2012, n° 11-19.259).
Il ne peut pas non plus ordonner le déplacement d'une antenne vers un autre lieu (Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n° 11-27.529).
II - Fondements légal invoqué pour la réparation
Pour l’essentiel, les demandes sont fondées juridiquement sur la théorie des troubles anormaux du voisinage qui relève du droit de la responsabilité civile. S'agissant d'un régime de responsabilité objectif, spécifique et autonome, le constat d'un dommage en lien certain et direct de cause à effet avec le trouble anormal suffit à entraîner la mise en œuvre du droit à réparation de la victime du dommage indépendamment de toute faute commise. Le respect des normes, la licéité de l'activité exercée, son utilité pour la collectivité ne suffisent pas à écarter l'existence d'un trouble anormal du voisinage dès lors que celui-ci serait objectivement caractérisé.
III - Nature des troubles et intensité
Le juge est tenu d'évaluer si l'implantation d'une antenne-relais engendre un trouble anormal de voisinage, conformément aux dispositions du Code civil relatives à la responsabilité civile (Art. 1240 du Code civil). Plusieurs catégories de préjudices, notamment le préjudice esthétique et la dépréciation de la valeur immobilière, peuvent être considérées. Pour être qualifié d'anormal, le trouble doit présenter un caractère continu ou récurrent.
Exemples de Jurisprudences :
CA Paris, 19e ch., sect. A, 7 janv. 2004, n° 2003/02301
CA Aix-en-Provence, 4e ch., sect. B, 27 avr. 2010, n° 08/11821
Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 17-18.111
Analyse des troubles esthétiques et de leur qualification :
Un pylône particulièrement inesthétique et visible ne constitue pas, de facto, un trouble anormal du voisinage. Le seul préjudice esthétique, bien que non contestable, résultant de l'implantation d'un pylône de grande hauteur dans un secteur boisé, n'est pas suffisant pour caractériser un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage (Voir Cour d'appel de Douai, 3ème Chambre, Arrêt du 9 mars 2023, Répertoire général nº 21/03622). Il incombe donc à la partie lésée de démontrer que le trouble est à la fois spécifique et anormal pour persuader le juge de la nécessité d'une intervention judiciaire.
L'implantation d'un pylône de 18 mètres de hauteur situé en partie haute des propriétaires lésés et qui vient rompre l'harmonie du site constitué de collines boisées très peu urbanisées répond à cette condition. La démolition a même été ordonnée en appel sous astreinte (CA Aix-en-Provence, 4e ch., sect. B, 27 avr. 2010, n° 08/11821). Cette décision est importante car elle montre que, dans certaines circonstances, le trouble peut être considéré comme tellement anormal que la démolition de la structure incriminée peut être ordonnée.
Mais le plus souvent, le tribunal se limitera à prononcer le versement d’un dédommagement, comme par exemple pour compenser le préjudice résultant de la vision journalière de ce poteau particulièrement gênant (Cour d’appel de Bordeaux, 5ème Chambre, 20 septembre 2005 04/01348 Verdeau c/ SA Bouygues Télécom).
Troubles sanitaires : une voie juridique peu fructueuse :
Le trouble sanitaire est généralement écarté par les juridictions. En effet, en l'état actuel des connaissances scientifiques, l'hypothèse d'un risque pour la santé des populations vivant à proximité de ces stations n'est pas établie (Cour d'appel de Pau, 1ère Chambre, Arrêt du 8 septembre 2016, Répertoire général nº 14/03919).
Troubles psychologiques et répercussions sur la santé :
Néanmoins, la simple présence de ce pylône peut engendrer un stress ou une angoisse ayant des répercussions sur la santé humaine. Dans ce cas, la charge de la preuve incombe à la partie plaignante (CA Versailles, 14e ch., 4 févr. 2009, nº RG : 08/08775, SA Bouygues Télécom c/ Lagouge e. a.).
Critères d'intensité du trouble :
L'intensité du trouble doit être significative pour être qualifiée d'anormale. Par exemple, une antenne-relais située à seulement 3 mètres de la limite séparative d'une terrasse aménagée a été jugée comme causant un trouble anormal (CA Paris, 19e ch., sect. A, 7 janv. 2004, n° 2003/02301). Cette décision est notable car elle établit un critère de proximité immédiate comme élément pouvant qualifier un trouble de "anormal", en contraste avec les troubles esthétiques ou sanitaires plus subjectifs.
Ces décisions tirées de la jurisprudence illustrent la diversité des critères que les tribunaux peuvent prendre en compte pour évaluer la nature et l'intensité des troubles de voisinage causés par l'implantation d'antennes-relais. Elles mettent en évidence l'importance du contexte local, des preuves fournies et des connaissances scientifiques actuelles dans l'évaluation de ce qui constitue un "trouble anormal".
III - Conditions pragmatiques du dédommagement : proximité, visibilité, contexte du quartier
La première condition requise pour obtenir un dédommagement et de démontrer que le pylône litigieux est parfaitement visible de la propriété du requérant ou de son jardin.
Ensuite, il faut démontrer que cette situation est une création de vue particulièrement disgracieuse par une installation de type industriel dans un secteur essentiellement résidentiel. Ce sera le cas si ce pylône est très proche et d’une hauteur importante par rapport à un secteur composé de villas pour l’essentiel et d’espaces boisés.
Même si le pylône respecte la hauteur maximum prévue par le plan local d’urbanisme, cela n’exclut pas par principe l’hypothèse de troubles visuels occasionnés à titre privé aux riverains. Le trouble visuel sera d’autant plus important, que l’opérateur n’aura pas pris la précaution de camoufler le pylône par un feuillage artificiel.
IV - Evaluation du préjudice et montant du dédommagement
En ce qui concerne l’évaluation des préjudices, le requérant pourra alléguer l'existence d’un trouble de jouissance liée à l’existence du trouble visuel.
Ce trouble de jouissance est généralement modique selon la jurisprudence. On trouve des décisions qui ont évalué à 2000 ou 3000 euros ce préjudice.
Le préjudice financier est en revanche plus important. En effet il est consécutif à la perte de valeur du bien à la suite de l’installation du pylône à proximité de la maison.
En cas de remise en vente, il sera possible d’établir un lien de cause à effet, entre la présence de ce pylône et la possibilité de vendre le bien au prix de départ :
- le tribunal judiciaire de Nanterre avait exemple alloué la somme de 37 000 € en compensation du préjudice financier ( Voy. Jugement rendu par Tribunal de grande instance de Nanterre 8e ch. 27-05-2010 n° 06-09412).
- la Cour d’appel de Rennes a reconnu l’existence d’un préjudice lié à la perte vénale du bien et l’a chiffré à un montant de 61.500 euros. La Cour d’appel a clairement invoqué la perte de valeur vénale du bien en raison de la durée d’implantation de l’installation à savoir l’occupation permanente un espace environnant occupé par un pylône imposant dont la présence est envahissante (Cour d'appel de Rennes - 1 décembre 2015 - n° 458/2015).
Le coût des mesures nécessaires pour atténuer le trouble peut également être pris en compte : un opérateur a été condamné à procéder au blindage d'un appartement (Cass. 1re civ., 17 oct. 2012, n° 10-26.854).
Comme on peut le constater à travers ces quelques exemples, les propriétaires ne doivent pas désespérer si le projet se réalise et si un pylône est implanté à proximité de leur propriété, ils peuvent encore se retourner contre l’opérateur et demander des dommages et intérêts.
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement.