Responsabilité environnementale et causalité.

Par Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste en droit de l'environnement.


La décision de la CJUE du 9 mars 2010 (affaires jointes C-378/08, C-379/08 et C-380/08, ERG SpA) apporte des précisions importantes sur l'interprétation de la directive 2004/35/CE concernant la responsabilité environnementale, notamment sur le lien de causalité entre une activité et une pollution. Ces éléments peuvent être mis en perspective avec le droit français pour établir l’état actuel du droit sur le sujet.

1. Les principes dégagés par la CJUE du 9 mars 2010

  • Présomption de causalité :
    • La directive 2004/35/CE n’exclut pas qu’une réglementation nationale permette de présumer l’existence d’un lien de causalité entre une pollution constatée et les activités d’exploitants situés à proximité.
    • Cette présomption repose notamment sur :
      • La proximité géographique des installations à la zone de pollution.
      • La nature des activités exercées, susceptibles de générer les polluants identifiés.
  • Responsabilité des exploitants :
    • Même sans preuve scientifique absolue, la forte probabilité qu’une activité soit à l’origine d’un dommage peut suffire à engager la responsabilité de l’exploitant.
  • Importance de la prévention et du pollueur-payeur :
    • La CJUE insiste sur le rôle des autorités compétentes pour imposer des mesures aux exploitants dès lors qu’un lien de causalité probable est établi.

2. Perspectives complémentaires législatives et jurisprudentielles internes

a) Présomptions admises par le droit français

  • En droit français, les présomptions de causalité peuvent être retenues par le juge civil sur la base de l'article 1382 (devenu 1240) du Code civil :
    • Les présomptions doivent être graves, précises et concordantes (référence : Article 1353 C. civ.).
    • Exemple : Une pollution diffuse liée à l’utilisation de produits phytosanitaires peut être présumée imputable à un agriculteur situé à proximité.

b) Le rôle de la science et de l’expertise

  • Le tribunal judiciaire de Pau (22 juin 2020, n° 15259000020) a souligné les limites des données scientifiques dans l’établissement d’un lien de causalité certain.
    • Il a été reconnu que la science, souvent incapable de prouver immédiatement les liens entre un produit toxique et des atteintes écologiques ou sanitaires, ne doit pas empêcher la reconnaissance d’un lien probable basé sur des analyses circonstancielles.

c) Approche en matière de pollution diffuse

  • La CJUE et le droit français acceptent une logique pragmatique dans les cas de pollutions diffuses :
    • Une causalité stricte n’est pas toujours exigée, mais le lien doit être suffisamment établi par les indices scientifiques ou factuels.
    • Exemple : En matière de rejets atmosphériques ou de contamination des eaux, la proximité des installations industrielles et l’identification des polluants caractéristiques suffisent souvent à établir la responsabilité.

3. État actuel du droit sur le lien de causalité

a) En droit français

  • Le lien de causalité reste une condition essentielle de la responsabilité civile (articles 1240 et suivants du Code civil). Cependant :
    • Il peut être établi par présomptions graves et concordantes.
    • Les juges disposent d’une grande marge d’appréciation pour admettre ces présomptions, notamment dans les affaires environnementales, où la preuve absolue est souvent difficile à obtenir.

b) En droit européen

  • La directive 2004/35/CE autorise une interprétation flexible du lien de causalité, favorisant une approche fondée sur la probabilité et la proximité géographique.
  • Les États membres peuvent adopter des mécanismes de présomption pour faciliter l’imputation des responsabilités, tant que cela respecte les droits de défense des exploitants.

4. Importance de l’expertise scientifique

L’expertise scientifique reste centrale pour établir ou contester un lien de causalité :

  • Les autorités compétentes s’appuient souvent sur des études environnementales et des analyses d’impact pour déterminer les responsabilités.
  • Toutefois, lorsque la science ne peut pas apporter de certitude, le juge peut s’appuyer sur des éléments indirects ou circonstanciels, comme dans l’arrêt de la CJUE du 9 mars 2010.

Conclusion

La décision de la CJUE du 9 mars 2010 a renforcé l’idée que le lien de causalité en matière de pollution peut être présumé, même en l’absence de preuve scientifique irréfutable. Cette logique s’aligne avec le droit français, où les juges peuvent admettre des présomptions graves et concordantes, surtout dans des contextes environnementaux complexes. L’état du droit privilégie une approche équilibrée entre scientificitéprévention et justice réparatrice pour garantir une application effective du principe du pollueur-payeur.

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