Les conflits entre preneur et bailleur dans le cadre de la location de locaux à usage de bureaux et industriels

Par Me Laurent Gimalac, Avocat, Ancien Professeur à l’ISEM (ESMOD Paris) et à SUP DE LUXE (Groupe EDC, Paris).


Les relations contractuelles entre bailleurs et preneurs dans le cadre de locaux à usage de bureaux ou industriels reposent sur un équilibre délicat entre les obligations de délivrance du bailleur et les engagements du preneur. Ces contrats, souvent complexes, sont appelés à régir des espaces conçus pour des activités économiques spécifiques, intégrant des normes techniques, des équipements particuliers, et des aménagements sur mesure.

Cependant, cet équilibre peut être rapidement rompu lorsque l'une des parties estime que l'autre a manqué à ses obligations contractuelles ou légales. Les désordres matériels, les différends sur les travaux à réaliser, les retards de paiement de loyers ou encore les atteintes aux parties communes figurent parmi les sources récurrentes de conflit. Ces tensions s’amplifient lorsqu'elles concernent des locaux industriels, où les exigences techniques et sécuritaires sont plus complexes, ou des locaux de bureaux, où la jouissance paisible constitue un élément clé du contrat.

Dans ces situations, le litige peut rapidement dégénérer et nécessiter l’intervention du juge, que ce soit en référé pour des mesures urgentes ou au fond pour résoudre les points de droit plus substantiels. Ces contentieux mettent également en lumière l'importance de clauses contractuelles bien rédigées, mais soulèvent aussi des problématiques juridiques plus larges sur la nature des obligations de chaque partie.

À travers cet article, nous analyserons les différents points de conflit susceptibles de survenir entre preneur et bailleur, les voies judiciaires mises en œuvre pour résoudre ces différends, les clauses contractuelles essentielles à surveiller, et les issues possibles des litiges. Cette analyse se veut un guide pratique pour les professionnels confrontés à ce type de contentieux, tout en offrant une perspective juridique approfondie sur les enjeux liés à la location de locaux industriels et de bureaux. 

Les points de conflit les plus fréquents

Les litiges entre preneur et bailleur naissent généralement des obligations essentielles du contrat de bail : la délivrance des locaux, leur utilisation conforme et le respect des clauses financières. Dans le cadre de locaux industriels ou de bureaux, ces obligations prennent une dimension particulière en raison des spécificités techniques et opérationnelles de ce type de location. Voici les principaux points de conflit.

  1. L’obligation de délivrance des locaux :
    • Selon l’article 1719 du Code civil, le bailleur est tenu de délivrer un bien conforme à sa destination. Dans le cadre de locaux industriels ou de bureaux, cela inclut notamment la conformité aux normes de sécurité, l’état de fonctionnement des équipements, et l'achèvement des travaux promis.
    • Les litiges émergent souvent lorsque le preneur estime que les locaux ne répondent pas aux conditions stipulées dans le bail, notamment si des désordres ou des équipements manquants empêchent une jouissance paisible des lieux.
  2. Les travaux à la charge du bailleur et/ou du preneur :
    • Les contrats de bail précisent souvent si certains travaux d’aménagement ou de mise aux normes incombent au bailleur ou au preneur. Une rédaction imprécise ou ambiguë de ces clauses engendre des conflits.
    • Par exemple, les "travaux complémentaires" non achevés au moment de l’entrée dans les lieux ou les adaptations spécifiques demandées par le preneur peuvent être sources de divergences sur leur prise en charge.
  3. Les loyers et charges impayés :
    • Le non-paiement des loyers ou des charges constitue une cause fréquente de contentieux. Le bailleur peut alors demander l’exécution de la clause résolutoire prévue au bail ou une injonction de payer pour recouvrer les sommes dues.
  4. Les clauses de résiliation et d’expulsion :
    • Les clauses résolutoires permettent au bailleur de mettre fin au bail en cas de non-respect des obligations essentielles par le preneur, notamment en cas d'impayés. Cependant, leur mise en œuvre nécessite le respect strict de formalités telles que la délivrance d’un commandement de payer.
  5. L’occupation des parties communes et les atteintes à la sécurité :
    • Dans les locaux industriels, les litiges peuvent concerner l’usage des parties communes (jardinières, coursives, parkings, voies de contournement) ou l’installation d’équipements non autorisés par le preneur (conteneurs, rayonnages, équipements dangereux). Ces infractions peuvent soulever des problématiques liées à la sécurité incendie ou à la conformité des locaux.
  6. Les désordres techniques ou risques spécifiques :
    • Certains équipements ou procédés utilisés par le preneur, comme des procédés industriels (soudage, irradiation, contamination), peuvent engendrer des risques pour le bâtiment ou les occupants, nécessitant une expertise pour évaluer la dangerosité ou les dommages causés.

Les voies judiciaires mises en œuvre

Lorsque les parties ne parviennent pas à résoudre leurs différends amiablement, elles doivent recourir à des procédures judiciaires adaptées. En fonction de la nature des désaccords, plusieurs voies procédurales peuvent être envisagées, allant des mesures d’urgence en référé à des actions au fond devant le juge compétent.

  1. La procédure d’injonction de payer :
    • Utilisée par le bailleur pour recouvrer rapidement les loyers et charges impayés. En cas d’opposition du preneur, le litige est renvoyé devant le juge du fond (souvent le tribunal de commerce pour les locaux commerciaux).
  2. Le référé expertise :
    • Sollicité par l’une des parties pour qu’un expert judiciaire établisse la réalité des désordres ou évalue les travaux nécessaires à la conformité des locaux.
  3. La procédure au fond :
    • Permet de trancher sur des demandes complexes comme la résiliation du bail, la réparation des préjudices, ou la répartition des responsabilités dans les travaux.
  4. La médiation judiciaire :
    • Parfois imposée par le juge, elle vise à résoudre les différends de manière amiable, notamment en cas de litige portant sur des interprétations contractuelles.

Les clauses contractuelles importantes à surveiller

Pour prévenir les conflits ou, à défaut, pour disposer d’une base solide en cas de contentieux, il est crucial d’intégrer des clauses claires et précises dans le contrat de bail. Certaines clauses jouent un rôle déterminant dans la résolution des litiges entre bailleur et preneur, notamment celles concernant les obligations de délivrance, les travaux, et la résiliation.

  1. La clause d'obligation de délivrance :
    • Elle doit spécifier avec précision l’état attendu des locaux à l’entrée dans les lieux et distinguer les travaux relevant du bailleur et du preneur.
  2. La clause résolutoire :
    • Elle doit détailler les conditions de mise en œuvre et les délais de régularisation avant résiliation.
  3. La clause relative aux parties communes :
    • Indispensable pour réguler l’usage des espaces partagés et éviter les encombrements ou abus.
  4. La clause de sécurité :
    • Prévoit les obligations du preneur concernant le respect des normes de sécurité et de conformité pour les équipements ou installations spécifiques.

L’issue des litiges

L’issue des contentieux entre preneur et bailleur dépend de nombreux facteurs, notamment de la clarté des clauses contractuelles, de l’existence d’éléments factuels probants, et de la stratégie procédurale adoptée par les parties. Toutefois, une expertise judiciaire ou une médiation peuvent parfois changer le cours du litige en favorisant une résolution amiable ou en fournissant des preuves décisives pour le juge.

  1. Décision en faveur du bailleur :
    • Le juge peut confirmer la créance du bailleur et ordonner l’expulsion du locataire en cas de faute grave, notamment en cas de non-paiement des loyers ou d’usage non conforme des locaux.
  2. Décision en faveur du preneur :
    • Le juge peut suspendre l’exécution de la clause résolutoire ou réduire les loyers en cas d’inexécution partielle par le bailleur de ses obligations.
  3. Nomination d’un expert judiciaire :
    • La désignation d’un expert pour clarifier les responsabilités et établir un état des lieux précis peut différer la décision de fond mais fournir des éléments probants pour trancher le litige.
  4. Médiation et accord amiable :
    • Si les parties acceptent un compromis, un protocole d’accord peut permettre de mettre fin au conflit plus rapidement, sans attendre une décision judiciaire.

Conclusion

Les conflits entre bailleur et preneur dans le cadre de locaux à usage de bureaux ou industriels illustrent l’importance cruciale d’un contrat de bail bien rédigé et détaillé. Les procédures judiciaires, bien que nécessaires dans certains cas, peuvent être évitées ou limitées si les parties anticipent les problématiques liées à la délivrance, aux travaux, et à l’usage des locaux. L’intervention d’un expert ou la médiation peut parfois permettre d’aboutir à une résolution plus efficace et moins coûteuse des différends.



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