Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement.
Le recours par tierce opposition dans le cadre d'un jugement délivrant une autorisation environnementale (AE) est un mécanisme juridique particulièrement important pour les personnes n’ayant pas été parties à l'instance initiale, mais dont les droits sont lésés par la décision. Ce recours est principalement fondé sur les articles R. 181-50 du Code de l'environnement et R. 832-1 du Code de justice administrative (CJA).
Qu'est-ce que la tierce opposition ?
La tierce opposition permet à un tiers, c’est-à-dire une personne qui n'a ni été présente ni représentée à l'instance ayant donné lieu au jugement contesté, de solliciter l'annulation ou la modification de cette décision. Pour ce faire, le tiers doit démontrer qu'il a un intérêt suffisant ou un droit lésé, ce qui constitue la base de sa recevabilité en justice. Ce recours est particulièrement pertinent dans le domaine des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), où les décisions du juge administratif peuvent avoir des impacts considérables sur l'environnement et la santé publique.
Fondement juridique du recours
L'article R. 181-50 du Code de l'environnement prévoit la possibilité pour des tiers intéressés de contester une décision juridictionnelle relative à l’autorisation d’exploitation d’une installation classée. Ce recours est ouvert à toute personne justifiant d'un intérêt suffisant pour contester l’autorisation délivrée par le préfet ou son refus.
En parallèle, l’article R. 832-1 du CJA impose au tiers de démontrer qu’il n’a pas été présent ni représenté à l’instance ayant conduit à la décision contestée, mais qu'il justifie néanmoins d’un droit lésé.
Ces deux articles forment la base légale de la tierce opposition, un recours qui, bien qu'exceptionnel, permet à des personnes extérieures à l'instance initiale de défendre leurs droits et intérêts dans le cadre d'une décision juridictionnelle.
Décisions du Conseil d'État : précisions et impacts
Les décisions du Conseil d'État des 29 mai 2015 (n° 381560) et 25 janvier 2023 (n° 450161) ont clarifié et renforcé les conditions de la tierce opposition dans le cadre des contentieux liés aux ICPE.
Arrêt du 29 mai 2015 (n° 381560)
Dans cet arrêt, le Conseil d'État a confirmé que la tierce opposition est recevable dans les affaires d’autorisation d’ICPE, à condition que le tiers justifie d'un intérêt suffisant. En l'occurrence, une association environnementale avait formé une tierce opposition après avoir été exclue de la procédure initiale. L'arrêt a précisé que les tiers peuvent invoquer tout moyen à l’appui de leur recours, y compris ceux relatifs à la légalité de l’autorisation elle-même, dans la mesure où ils démontrent que la décision leur cause un préjudice.
Le Conseil d'État a également rappelé l’importance des mesures de publicité prévues par l’article R. 512-39 du Code de l'environnement, qui imposent un affichage public et la publication des décisions d'autorisation. Ces formalités permettent de garantir que les tiers aient connaissance de la décision, à partir de quoi ils peuvent former opposition dans un délai d’un an.
Arrêt du 25 janvier 2023 (n° 450161)
Cet arrêt a renforcé le cadre strict de la tierce opposition, en soulignant qu’un intérêt suffisant doit toujours être prouvé, même si le tiers n’a pas été appelé dans l'instance. La décision précise que la publicité de l’autorisation joue un rôle fondamental dans la protection des droits du tiers. Si cette publicité est régulièrement faite, la tierce opposition n'est plus recevable passé un délai d'un an. Cet arrêt vise à concilier la protection des droits des tiers et la sécurité juridique du pétitionnaire, en limitant la durée pendant laquelle une décision peut être contestée.
Application pratique du recours par tierce opposition
Dans la pratique, la tierce opposition est souvent utilisée par des associations de protection de l’environnement ou des collectivités locales, notamment lorsque les risques ou les impacts d'une installation classée n'ont pas été suffisamment pris en compte dans l’autorisation initiale. Ce recours permet ainsi de garantir que toutes les parties affectées aient voix au chapitre, même après le rendu du jugement.
Cependant, il convient de noter que ce type de recours est strictement encadré, afin d'éviter toute action dilatoire. Les tiers doivent donc respecter les délais de recours, et prouver que la décision contestée leur cause un préjudice direct ou porte atteinte à un intérêt collectif qu'ils défendent.
Conclusion
Le recours par tierce opposition, bien que limité dans son application, constitue un moyen de protection important pour les tiers affectés par une décision juridictionnelle dans le cadre d'une autorisation environnementale. Les décisions du Conseil d'État des 29 mai 2015 et 25 janvier 2023 confirment cette possibilité, tout en encadrant strictement les conditions de recevabilité, afin de garantir un équilibre entre la protection des droits des tiers et la sécurité juridique des autorisations délivrées.
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement.