1. Contexte de la situation
Lorsqu'une commune décide de retirer un mur de béton situé derrière une propriété privée, elle prend une mesure qui peut potentiellement affecter les terrains en aval, notamment en cas de fortes pluies. La question se pose de savoir si cette décision pourrait engager la responsabilité de la commune si des dommages en résultent, notamment des coulées de boue sur le terrain voisin. Ce cas pose la problématique de la responsabilité administrative face à un évènement naturel, modifié ou accentué par une intervention humaine.
2. Principes généraux de responsabilité de la commune
La responsabilité de la commune peut être engagée sous plusieurs angles, en fonction de la nature et des circonstances de l’événement :
2.1. Responsabilité pour faute
En vertu des principes généraux de la responsabilité administrative, la commune pourrait être tenue pour responsable si le retrait du mur constitue une faute. Cette faute pourrait être caractérisée par une imprudence ou une négligence, par exemple, si la commune n’a pas pris en compte les conséquences hydrologiques du retrait du mur, ou si elle a omis de réaliser une étude d'impact préalable.
2.2. Responsabilité sans faute
La commune peut également voir sa responsabilité engagée sans faute, sur le fondement du principe de l'égalité devant les charges publiques. Si le retrait du mur a pour effet de causer un dommage anormal et spécial à une propriété privée, le propriétaire peut demander réparation, même en l’absence de faute de la part de la commune. Ce type de responsabilité vise à indemniser le voisin pour un dommage qui, bien que lié à une décision administrative légitime, dépasse ce que les particuliers doivent supporter dans l’intérêt général.
L'arrêt "Regnault-Desroziers" du 28 mars 1919 est ainsi un arrêt fondateur en matière de responsabilité sans faute de l'administration, basé sur le principe du risque. Dans cette affaire, le Conseil d'État a jugé que l'État devait être responsable des dommages causés par l'explosion d'un dépôt de munitions, même sans qu'une faute des agents publics ne soit établie. Le risque créé par l'accumulation et la manutention d'explosifs dans une zone proche d'une agglomération suffisait à engager la responsabilité de l'État, indépendamment de toute notion de faute. Cela signifie que dans votre cas de retrait d'un mur de béton, la responsabilité de la commune pourrait être engagée sur ce même fondement si le retrait du mur crée un risque accru de coulées de boue ou d'inondations. Cependant, la commune pourrait essayer de se défendre en invoquant la force majeure si les pluies étaient exceptionnellement imprévisibles et irrésistibles, bien que cela ne soit pas le point central de l'arrêt Regnault-Desroziers.
2.3. Force majeure et restauration de l’état naturel
Il convient cependant d’examiner si l’événement en question peut être considéré comme un cas de force majeure ou s’il s’agit d’une restauration de l’état naturel du terrain. La force majeure se caractérise par un événement imprévisible, irrésistible et extérieur. Si les fortes pluies sont de nature exceptionnelle et totalement imprévisibles, la commune pourrait invoquer ce cas pour s'exonérer de sa responsabilité.
D’autre part, si le mur en question avait été initialement construit pour modifier l’état naturel du terrain (par exemple, pour prévenir un risque d’éboulement), son retrait pourrait être considéré comme une simple restauration de l’état naturel. Toutefois, si ce retrait entraîne des dommages importants, cette justification pourrait ne pas suffire à exonérer la commune de sa responsabilité.
3. Recours du voisin lésé
Le propriétaire du terrain touché par les coulées de boue a plusieurs options :
3.1. Demande de réparation du dommage
Le voisin peut engager une action en responsabilité administrative contre la commune. Si le tribunal reconnaît que le dommage résulte directement du retrait du mur et que ce retrait constitue soit une faute soit un préjudice anormal et spécial, la commune pourra être condamnée à réparer le dommage.
3.2. Recours pour trouble anormal de voisinage
Par ailleurs, une action en réparation peut être envisagée sur le fondement du trouble anormal de voisinage. Cette action, bien que relevant normalement du droit civil, pourrait trouver application si le dommage est causé par une décision administrative ayant un impact direct sur les propriétés privées.
L'une des applications de cette théorie contre une entité publique peut être trouvée dans des affaires impliquant des travaux publics. Par exemple, la Cour de cassation a confirmé que les entreprises de travaux publics peuvent être responsables de troubles anormaux de voisinage causés par leurs activités, même lorsque les travaux sont réalisés sur le domaine public. Dans un arrêt du 8 novembre 2018 (Civ. 3e, n° 17-24.333), la Cour a jugé que l'entreprise était responsable de plein droit pour les nuisances causées, en application du principe selon lequel "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage", indépendamment du fait que le dommage prenne son origine sur le domaine public.
3.3. Demande de réinstallation du mur ou de mise en place de mesures compensatoires
Le voisin peut également solliciter que la commune prenne des mesures pour empêcher la réitération des dommages, par exemple en reconstruisant le mur ou en installant d’autres dispositifs de rétention ou d’évacuation des eaux.
4. Conclusion
En conclusion, la responsabilité de la commune peut être engagée dans cette situation, soit pour faute, soit sans faute, selon les circonstances entourant le retrait du mur de béton et les conséquences qui en résultent pour le voisinage. Le propriétaire du terrain affecté dispose de plusieurs recours pour obtenir réparation ou pour exiger des mesures préventives. Cependant, la qualification d’un cas de force majeure ou la restauration de l’état naturel pourrait complexifier l’établissement de la responsabilité de la commune, nécessitant alors une analyse approfondie des faits et de la jurisprudence en la matière.
Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste, Docteur en droit,
Ancien chargé de cours à l’UNSA.