Révision du loyer dans un bail commercial : comment sortir de la révision indiciaire classique ?

Par Laurent Gimalac, Ancien Professeur à l’ISEM (ESMOD Paris) et à SUP DE LUXE (Groupe EDC, Paris) et Avocat 


Le bail commercial est extrêmement encadré dans le souci de protéger le locataire et de lui assurer la parfaite jouissance de son droit au bail sans craindre une hausse excessive des loyers. Mais cette protection peut se retourner contre le bailleur qui n’a plus la liberté de fixer le loyer au juste prix.


Il existe heureusement plusieurs astuces pour sortir de la révision indiciaire classique qui peut ne pas rendre compte exactement de la valeur locative, toutefois, les clauses éventuellement ajoutées au bail commercial sont toujours l’objet d’un contrôle précis du juge.


I - DES CLAUSES DE VARIATION DU LOYER CONVENTIONNELLES CONTRÔLÉES ET PARFOIS VALIDÉES


Un local commercial avait été donné à bail comportant une clause d’indexation du loyer, aux termes de laquelle l’indice de base à prendre en considération était le dernier connu au 1er juillet 1996 et l’indice multiplicateur celui publié au 1er janvier de chaque année. À la suite de la délivrance par le bailleur au locataire d’un commandement de payer visant la clause résolutoire, un litige s’est élevé concernant la validité de la clause d’indexation.

L’article L. 112-1 du code monétaire et financier répute en effet non écrites, les clauses d’indexation prévues dans un contrat à exécution successive lorsque la période de variation de l’indice prise en compte est supérieure à la durée s’écoulant entre deux révisions.

Il a dès lors été prétendu en défense que les clauses d’échelle mobile faisant référence, comme en l’espèce, à un indice de base fixe devraient être automatiquement invalidées (Paris, 4 avr. 2012, n° 10/23391) car, dès la deuxième année, la période de variation de l’indice (2 ans) excède la durée écoulée depuis la dernière révision (1 an).

La Cour de cassation dans un arrêt de principe du 16 octobre 2013 (Civ. 3e, 16 oct. 2013, n° 12-16.335) précise la marche à suivre : les clauses d’indexation comportant un indice de base immuable sont valables dès lors qu’il y a concordance entre la période de variation de l’indice et celle de variation du loyer


II - LEXCEPTION : LA RÉVISION JUDICIAIRE DU LOYER DU BAIL COMMERCIAL


A - LA FIXATION JUDICIAIRE SI LA VALEUR LOCATAIRE EST INFÉRIEURE A LA VALEUR CONVENTIONNELLE PAR LINDICE


L’article L. 145-39 du code de commerce prévoit, malgré l'augmentation automatique et contractuelle du loyer, la possibilité de demander son réajustement à la valeur locative. Le seuil de 25 % doit avoir été dépassé à la date de la demande de révision.

• Auteur de la demande :

soit le locataire : si par le jeu de la clause d'indexation le loyer augmente de plus d'un quart, le locataire peut demander la fixation du loyer à la valeur locative si elle est inférieure au loyer atteint par l'indexation.

soit le bailleur.

• Condition de la demande :

La demande suppose un pourcentage d'évolution du loyer depuis la dernière fixation du loyer contractuelle ou judiciaire :

- lorsque le loyer évolue de 25 % en plus ou en moins, la procédure de révision judiciaire est possible ;

- il n'est possible de prendre comme référence que le dernier loyer obtenu par le jeu de l'indexation.


B - LA FIXATION JUDICIAIRE SI LA VALEUR LOCATIVE EST SUPÉRIEURE A LA RÉVISION TRIENNALE


En application de l'article L. 145-38, alinéa 3, du code de commerce : « par dérogation à l'article L. 145-33 du code de commerce, et à moins d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ..., la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l'indice du coût de la construction ». Le loyer est alors révisé dans le cadre de l'évolution des facteurs locaux de commercialité.

Pour que le loyer révisé soit fixé à la valeur locative sans limitation à un maximum ou un minimum, il doit être apporté une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité. Cette modification doit entraîner par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative.


III - LE DÉPLAFONNEMENT DU LOYER RENOUVELÉ


En application de l'article L. 145-33 du code de commerce, le loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative. Cependant, l'article L. 145-34 du code de commerce limite le montant du loyer du bail renouvelé en instituant un mécanisme de plafonnement du loyer.

Il existe néanmoins des exceptions importantes suivant lesquelles le mécanisme du plafonnement est écarté, et le loyer est fixé à la valeur locative :

1. Soit en raison de la durée du bail expiré :

- lorsque la durée contractuelle du bail est supérieure à neuf ans ;

- lorsque le bail à renouveler a une durée contractuellement prévue de neuf ans, mais que par suite de tacite prorogation, la durée est supérieure à douze ans.

2. Soit lorsque les loyers des baux portent sur des locaux qui ont bénéficié d’une modification notable des éléments mentionnés aux articles 23-1 à 23-4 de l'ancien décret du 30 septembre 1953.

Il s’agit des caractéristiques du local considéré (article 23-1), de la destination des lieux loués (article 23-2), des obligations respectives des parties (article 23-3), des facteurs locaux de commercialité (article 23-4).


Il ne faudrait cependant pas croire que la modification des facteurs locaux de commercialité permettent systématiquement de réviser le loyer.

Ainsi la cour d’appel de Paris a jugé que « La modification des facteurs de commercialité ne peut entraîner le déplafonnement du loyer d’un bail commercial que s’il profite au commerce considéré » (CA Paris 26 oct.. 1995).

De la même manière, on ne peut arguer du fait que le loyer d’origine était particulièrement bas en raison des « rapports personnels » existant entre le locataire et le bailleur (Paris, 16e ch. A, 26 nov. 1990).


Enfin, il convient d’insister sur une stratégie mise en place par certains bailleurs qui recherchent la tacite reconduction du nbail à l’issue des 9 ans.


Aux termes de l’art. 23-6, al. 2 et 3, du décret n° 53-960 du 30 sept. 1953, « en cas de renouvellement postérieur à la date d'expiration du bail échu, la variation du loyer est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif ;

Ces dispositions ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite reconduction, la durée du bail excède douze ans »


Le bailleur a donc tout intérêt à ne rien faire jusqu’au terme des 12 ans et ensuite de fixer un nouveau loyer.


Toutefois, le locataire « avisé » peut contrarier la stratégie du bailleur en demandant le renouvellement du bail commercial au cours de la tacite reconduction et alors éviter la fixation d’un nouveau loyer sans plafonnement (avant l’expiration de la durée de 12 ans). En effet, le preneur garde la possibilité de donner congé « soit dans les six mois qui précèdent l’expiration du bail », ce qui lui permettra de faire obstacle à la tacite reconduction du bail et d’éviter ainsi le risque de déplafonnement, soit « à tout moment au cours de sa reconduction » (art. 6) 


Me Laurent Gimalac, Docteur en droit, ancien chargé de cours à l’Université,

Avocat spécialiste.



© Cabinet de Me Gimalac Avocat - Paris, Lyon, Cannes, Grasse - IDF et French Riviera  - 2022