De la responsabilité administrative de l’Etat en cas de risque sanitaire et de pandémie.

Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement. 


L’épisode actuel de pandémie généralisée de COVID 19 nous invite à nous interroger sur la possibilité d’engager la responsabilité administrative de l’Etat et de son administration. En effet, si le Conseil d’Etat saisi par le biais de la procédure d’urgence du référé liberté a pour le moment rejeté la plupart des actions judiciaires, il ne s’est pas prononcé directement sur la question de l’engagement de la responsabilité de l’Etat. Cette question pourrait prendre une acuité particulière notamment pour les familles des victimes du COVID 19 ou encore pour les entreprises commerciales  artisanales ou libérales faisant faillite ou connaissant de graves difficultés économiques.


1°/ De l’obligation d’agir de l’Etat et des collectivités locales : 


Le cadre juridique de cette police spécifique n’est pas nouveau.

Ainsi, il appartient au ministre de la santé, « par arrêté motivé » de « prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » (art. L. 3131-1 du code de la santé publique). 

Mais cette obligation de prévention ou d'action ne concerne pas seulement l’Etat mais aussi les collectivités locales qui ont également des pouvoirs de police administrative.

Rappelons en effet que l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales confie, notamment, au maire : « 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que […] les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties… ». 

Il est donc erroné de croire que cette matière relèverait uniquement de l’Etat, les maires qui agissent le font aussi dans le cadre de ce corpus règlementaire et prennent le risque d’engager leur propre responsabilité.

On peut cependant faire la part des responsabilités, et concevoir qu’en cas d’épidémie locale, la compétence et la responsabilité du Mairie soient en première ligne, alors qu’en cas de pandémie généralisée sur tout le territoire, celle du Ministre soit mise en exergue.

Cela n’a pas empêché quelques hésitations pour motiver juridiquement les premiers arrêtés préfectoraux pris dans le cadre de la lutte contre le COVID 19 (tantôt l’article L. 3131-1 du CSP, tantôt le code général des collectivités territoriales). Le ministre semble avoir mis fin à cette incertitude en reconnaissance sa pleine compétence et responsabilité en la matière ?


2°/ Une responsabilité fondée sur la faute simple en cas de carence de l’une des autorités chargée de mettre en oeuvre cette police 


La responsabilité de l’Etat a déjà été engagée par le passé sur le fondement de la faute simple voire du simple risque occasionné.

Cette responsabilité a même parfois été étendue pour protéger des tiers par rapport à la personne directement exposée au risque.

Ainsi, a été reconnue l’indemnisation des préjudices subis par l’enfant à naître (tiers par rapport au service public de l’enseignement dans lequel travaille sa mère enceinte) du fait de la contamination de sa mère par une épidémie de rubéole en raison de son emploi (CE, ass., 6 nov. 1968, Dlle Saulze, Lebon 550 ; AJDA 1969. 117),

C’est également le régime de la faute simple qui s’applique le plus souvent en cas d’abstention de l’autorité municipale à édicter des prescriptions réglementaires (CE 11 mai 1960, Cne du Teil c/ Sté des chaux et ciments de Lafarge et du Teil,  CE 29 nov. 1963, Ecarot, Lebon 596 ; AJDA 1964. 189, obs. Moreau. – CAA Paris, 7 août 2003, Bernel, req. n° 00PA01235 ).

La responsabilité peut-être aussi engagée en cas de retard à prendre les dispositions adéquates pour faire cesser le trouble ou le confiner s’il y a un danger grave pour la salubrité (CE 13 févr. 1948, Cie générale des eaux c/ Cne de Caluire-et-Cuire, Lebon 80 : pollution des eaux qui a provoqué une épidémie de fièvre typhoïde).

En revanche, c’est la responsabilité de l’Etat qui devra être recherchée prioritairement en cas mesures relevant d’une police spéciale comme la police sanitaire des animaux, ou phytosanitaire, ou en matière de droit de l’environnement (police des ICPE). Il est possible que dans le cas d’une pandémie généralisée comme celle du COVID 19, ce soit également la responsabilité de l’Etat qui doive-t-être engagée en priorité.


3°/ Des facteurs de pondération de cette responsabilité


La puissance publique peut exciper de faits qui limitent sa responsabilité ou la tempèrent.

L’effet de surprise, l’absence d’alertes des scientifiques, ou le caractère contradictoire des études sur un nouveau virus peuvent en effet expliquer des retards, ou des mesures insuffisantes après coup.

Le Conseil d’Etat nous incite à la prudence avant d’engager la responsabilité des pouvoirs publics.

Ainsi, le Conseil d’État a, par une ordonnance du 4 avril 2020, statué sur deux requêtes relevant appel de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe du 27 mars 2020. A cette occasion, il a refusé de relever une carence caractérisée des pouvoirs publics en matière de fourniture et d’administration de  l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ritonavir.

Il était intéressant de relever que dans ce dossier, il avait été fait référence au principe de précaution bien connu des spécialistes du droit de l’environnement. Or, en l’espèce, cette exigence n’a pas été transposée dans toutes ses virtualités en matière sanitaire au motif que sa reconnaissance constitutionnelle ne concerne que le champs environnemental…

En revanche, si l’Etat avait connaissance de mesures permettant de limiter les risques, et le préjudice, il ne pourra pas se dédouaner facilement. Dans l’affaire du sang contaminé, il a par exemple été reproché à l’Etat de ne pas avoir généralisé l’usage de produits sanguins chauffés… idem dans le traitement du scandale de l’amiante (un équipent approprié aurait permis de mieux protéger les salariés compte tenu du fait que le risque était déjà connu).


Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,

Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



© Cabinet de Me Gimalac Avocat - Paris, Lyon, Cannes, Grasse - IDF et French Riviera  - 2024