Par Me Laurent Gimalac, Avocat, Ancien Professeur à l’ISEM (ESMOD Paris) et à SUP DE LUXE (Groupe EDC, Paris).
La question de la sécurité incendie, et notamment l’installation et l’entretien d’extincteurs, constitue un aspect essentiel de l’usage paisible d’un local loué à titre commercial ou dans le cadre d’une convention d’occupation précaire. Si la réglementation impose un socle minimum de conformité auquel doit se plier le propriétaire, le preneur supporte souvent, en pratique, la majeure partie des obligations relatives aux aménagements et dispositifs de sécurité nécessaires à son exploitation.
1. Contexte légal et obligations générales
1.1 Obligations du bailleur : garantie de délivrance et de sécurité
- Aux termes de l’article 1719 du Code civil, le bailleur a l’obligation de délivrer le local en état de servir à l’usage auquel il est destiné, en l’occurrence un usage commercial ou professionnel. Cela implique que le local ne doit pas présenter de danger manifeste ou de vice rendant impossible ou très risquée l’exploitation normale.
- Selon l’article 1720 du Code civil, le bailleur doit également entretenir le local en état de servir à l’usage pour lequel il est loué et exécuter toutes les réparations qui deviennent nécessaires, autres que locatives (ces dernières incombant au preneur, sauf disposition contraire).
- De plus, le bailleur ne peut se dispenser de respecter les normes minimales imposées par la réglementation en matière de sécurité incendie : système électrique conforme, issues de secours, etc.
1.2 Obligations du preneur : conformité de l’exploitation
- Le preneur, de son côté, supporte la charge des aménagements d’exploitation (installation d’un accueil, d’un espace de vente, pose de cloisons, etc.) et des moyens de prévention contre l’incendie spécifiques à son activité (extincteurs en nombre suffisant, alarme incendie, consignes, etc.).
- Ces aménagements relèvent souvent des règles légales ou réglementaires applicables aux établissements recevant du public (ERP), prévues par le Code de la construction et de l’habitation (articles R. 123-1 et suivants). Même si l’activité n’est pas classée ERP, il existe des obligations minimales de sécurité relevant parfois de la responsabilité de l’exploitant, en l’espèce le locataire, surtout lorsque celui-ci est seul à exercer dans les lieux.
2. Que prévoir dans le contrat ?
2.1 Clause d’état des lieux et de conformité initiale
- Avant la signature, il convient de dresser un état des lieux détaillé, mentionnant l’état des dispositifs de sécurité existants (présence d’extincteurs, système électrique conforme, alarmes, détecteurs de fumée, etc.).
- Dans un bail commercial ou une convention d’occupation précaire, on insère souvent une clause de conformité par laquelle le bailleur certifie que les locaux répondent aux dispositions légales minimales. Le preneur reconnaît, pour sa part, avoir pris connaissance de l’état d’entretien des locaux et s’engage à mettre en œuvre, à sa charge, les dispositions réglementaires spécifiques à son activité.
2.2 Clause portant sur la répartition des charges et obligations de sécurité
- Il est recommandé de préciser clairement qui doit supporter le coût d’acquisition, de maintenance et de renouvellement des extincteurs, ainsi que d’autres équipements de sécurité (alarmes, portes coupe-feu, etc.).
- Une clause peut stipuler : « Le preneur sera seul responsable de la mise en place, de l’entretien et du renouvellement des extincteurs et plus généralement de tous équipements de sécurité imposés par la réglementation ou requis pour l’exercice de son activité. »
- Inversement, si les lieux sont livrés « clés en main », il peut être prévu que le bailleur fournisse les extincteurs initiaux, mais que le preneur en assume ensuite l’entretien et le remplacement.
2.3 Clause de visite ou de contrôle
- Le bailleur peut se réserver la possibilité de visiter périodiquement les locaux pour vérifier leur bon entretien, notamment s’agissant des dispositifs de sécurité.
- Cette clause permet de s’assurer que le preneur n’omet pas de maintenir le local en conformité et qu’aucune modification dangereuse n’a été réalisée sans l’autorisation du bailleur (article 1724 du Code civil sur les changements de destination et de configuration).
3. Précautions avant de signer et d’entrer dans les lieux
- Vérifier les normes locales : Certaines municipalités ou autorités préfectorales peuvent imposer des règles spécifiques (nombre d’extincteurs, alarmes, etc.) pour des locaux destinés à accueillir du personnel ou du public.
- Faire établir un diagnostic de sécurité : Avant la conclusion du bail, il est prudent de faire contrôler l’installation électrique, les issues de secours, la ventilation, l’aération et tout dispositif requis par la réglementation (notamment dans les établissements recevant du public).
- Exiger des attestations : Le preneur peut demander au bailleur de justifier de la conformité des travaux déjà réalisés (attestation de conformité électrique, autorisations administratives, etc.).
4. Clauses protectrices pour le propriétaire et sanctions en cas de non-respect
4.1 Clause résolutoire
- Pour se prémunir contre un preneur négligent en matière de sécurité, le bailleur peut insérer une clause résolutoire(articles L. 145-41 du Code de commerce pour les baux commerciaux), prévoyant la résiliation de plein droit du contrat en cas de non-respect répété et persistant des obligations relatives à la sécurité incendie (absence d’extincteurs conformes, installation dangereuse, etc.).
- Cette clause devra toutefois être mise en œuvre conformément aux règles de procédure : mise en demeure préalable, respect des délais, etc.
4.2 Clause d’indemnisation
- Il peut également être prévu une clause de responsabilité et d’indemnisation du bailleur pour toute conséquence dommageable résultant d’un manquement du preneur à ses obligations de sécurité. Cette clause protège le bailleur si, par exemple, l’assureur de l’immeuble se retourne contre lui en cas de sinistre dont l’origine provient d’un défaut d’extincteur ou de dispositif de sécurité relevant du preneur.
4.3 Assurances
- Les parties doivent veiller à souscrire des polices d’assurance adaptées, en particulier la garantie « incendie » et « responsabilité civile ». Une clause du bail peut exiger du preneur qu’il justifie à chaque échéance de la souscription et du renouvellement de son assurance, afin d’éviter que le bailleur soit exposé à un risque non couvert.
5. Quid en cas de non-respect des clauses de sécurité ?
- En cas de non-respect des obligations de sécurité par le preneur (absence ou défaut d’entretien des extincteurs, dégradation des installations, mise en danger du voisinage), le bailleur dispose de plusieurs voies de recours :
- Mise en demeure d’exécuter les obligations.
- Application d’une clause résolutoire pour résiliation du bail en cas de défaillance persistante.
- Action en responsabilité contractuelle du preneur, en vue d’obtenir réparation du préjudice subi (dommages-intérêts).
- À l’inverse, si le bailleur a manqué à ses devoirs de délivrance conforme et de sécurité (locaux présentant un grave danger, absence totale de conformité électrique), le preneur peut solliciter une réduction de loyer, voire la résiliation judiciaire du bail aux torts du bailleur (article 1724 du Code civil), ainsi que des dommages-intérêts en cas de préjudice avéré.
Conclusion
La sécurité incendie dans le cadre d’un bail commercial ou d’une convention d’occupation précaire requiert une répartition contractuelle claire des responsabilités. Bien que le bailleur doive livrer un local en état conforme à l’usage convenu, la charge de l’installation et de l’entretien des extincteurs, ainsi que d’autres dispositifs de sécurité, pèse souvent sur le preneur, qui demeure responsable de l’adaptation des lieux à son activité.
Textes et références
- Articles 1719, 1720, 1724 et 606 du Code civil (obligations du bailleur, grosses réparations, modifications du local).
- Article L. 145-41 du Code de commerce (clause résolutoire dans les baux commerciaux).
- Code de la construction et de l’habitation, articles R. 123-1 et suivants (règles de sécurité incendie pour les ERP).
En définitive, une rédaction soigneuse du bail – intégrant des clauses spécifiques sur la sécurité incendie, la maintenance des extincteurs et la répartition des coûts – est hautement recommandée, afin d’assurer la pérennité de la relation contractuelle et de prévenir tout litige ultérieur.