Par Laurent GIMALAC, Docteur en droit, Lauréat et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.
La reconnaissance officielle d’un véritable procès environnemental, des frais régulièrement la chronique depuis une vingtaine d’années. La Cour de cassation vient d’accueillir Récemment un colloque sur le sujet. Qu’il nous soit permis d’y apporter notre modeste contribution du à notre expérience personnelle en tant qu’avocat de droit de l’environnement depuis 25 ans.
1. Première observation, s’il ne fait pas doute de que le procès environnemental existe, il revêt de multiples facettes. Il est difficile à appréhender dans la mesure où il est dispersé entre plusieurs juridictions très différentes dont la vocation n’est pas la même.
1.1. D’abord il y a une question d’échelle. On peut envisager un procès environnemental à l’échelle mondiale régionale ou locale.
Force est de constater qu’il existe déjà des litiges importants (protection des aires protégées de l’air…) portés devant lui en européenne notamment en matière de non respect des valeurs limites de polluants altérant la qualité de l’air. La France vient tout juste d’être condamnée par la cour de justice de l’union européenne pour ne pas avoir respecté ces valeurs limites ( la Cour de justice de l’UE estime que « la France a dépassé de manière systématique » la valeur limite pour le dioxyde d’azote depuis 2010 », le monde du 24/10/2019).
Même les juridictions nationales tentent se mettent au diapason. Sans en tirer toutefois toutes les conséquences en raison de problèmes de preuve.
Ainsi plusieurs juridictions administratives (voir par ex. TA de Paris, ou TA de Montreuil, 25 juin 2019, Mme Farida T., no 1802202) ont reconnu que l’État français s’était mis en contravention avec les règles européennes et qu’il s’agissait donc d’une faute (en cas de persistance des dépassements des valeurs limites). Mais sans en tirer toutes les conséquences en ce concerne l’indemnisation des requérants (au prétexte d’un dossier médical insuffisant) et la désignation d’un expert judiciaire (TA de Cergy-Pontoise, 12 décembre 2017, M. K., no 1510469).
Il y a près de deux ans, conseil d’État avait reconnu déjà dans le sur le principe le non-respect des règles européennes. Il a enjoint l’État français à prendre le plus rapidement possible des dispositions notamment en actualisant les plans de protection de l’air (Voir CE, 6e/1re, 12 juillet 2017, Association Les Amis de la Terre France, no 394254, publiée au Recueil).
On peut pas dire que l’État français est été diligent puisque la conseil d’État a été saisi une nouvelle fois pour non-respect de cette injonction par l’association les amis de la terre.
Le procès environnemental a lieu simultanément à l’échelle mondiale, régionale ou locale. Et il existe des liens de passage entre ces différentes juridictions.
1.2 Seconde observation du point de vue « organique ». Il n’existe pas un juge de l’environnement pour l’environnement, et d’un point de vue organique plusieurs juridictions qui peuvent être concurremment compétentes.
Cette concurrence de compétences peut déjà préfigurer une certaine spécialisation de la juridiction dans certaines matières.
Ainsi si nous prenons l’exemple des installations classées pour la protection de l’environnement, l’essentiel du contentieux relève du juge administratif.
Tel est le cas notamment des mesures de police prises par la préfecture. Ou du contentieux relatif à l’arrêter d’autorisation.
Mais le juge pénal peut également être saisi en cas d’infraction c’est-à-dire de non respect de l’arrêté d’autorisation. Ou même de l’absence d’arrêté d’autorisation.
Et le juge civil continue à récupérer certains litiges de droit privé même relatifs aux installations classées lorsqu’il existe des troubles anormaux du voisinage auquel il n’a pas pu être apporté une réponse satisfaisante par l’arrêté préfectoral.
Ce sont donc trois juges différents qui peuvent hérité d’un dossier relatif à la même installation classée. On peut pas imaginer meilleur éclatement du contentieux, d’un point de vue organique. Mais aussi d’un point de vue matériel puisque les règles applicables seront différentes. Le droit administratif, le droit pénal spécial, et le droit civil.
Ici la spécialisation des différentes juridictions, ainsi que les matières procédurales s’opposent à la création d’un seul juge unique de l’environnement.
2. Sur la dispersion des sources matérielles utilisées par les juges.
Outre cette complexité organique, qui explique qu’il n’exige pas qu’un seul juge de l’environnement, le plaideur doit aussi se confronter à une complexité des sources matérielle du droit de l’environnement et des logiques poursuivies par ses textes.
En effet l’environnement est souvent protégé à travers les droits subjectifs de propriétaire. Ou d’occupants.
Mais parfois, il est protégé en tant que tel, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un préjudice personnel.
On pense notamment au contentieux du trouble anormal du voisinage, qui ne requiert pas la faute mais la preuve d’une anormalité.
Ce contentieux a notamment été utilisé en matière d’antennes relais. Le juge a parfois reconnu la possibilité d’indemniser un préjudice d’anxiété même en l’absence de preuve d’un danger réel.
3. Quelles victimes ?
Celui qui évoque l’existence d’un procès environnemental, de s’expliquer, sur les protagonistes de ce procès. S’agit-il de victimes d’atteintes à l’environnement, et lesquelles ? Doit-on reconnaître l’existence d’entités constituées, qui ne sont pas humaine, pour admettre qu’elle soit représenté et défendues en justice ?
La question des entités est loin d’être théorique. En effet la Nouvelle-Zélande ainsi que l’Inde, ont reconnu le statut d’entités à trois fleuves ce qui est également pour corollaire la reconnaissance de leur personnalité juridique. Selon le ministre de la justice de la Nouvelle-Zélande, le fleuve est un être vivant qui mérite d’être protégé. Les conséquences sont considérables puisque la tribu qui vit à côté de ce fleuve a été dédommager par le gouvernement néo-zélandais à hauteur de 52 millions d’euros de frais de Justice et 30 millions pour la protection du fleuve.
En outre, la reconnaissance de ses entités va permettre très certainement aux citoyens de saisir la justice au nom de ses fleuves très lourdement pour lui en Inde pour obtenir des condamnations.
On le voit, on ne peut plus faire abstraction de la qualité pour agir au nom de l’environnement. C’est un domaine particulièrement sensible évolutive. Et qui peut amener des révolutions en la matière.
Pour le coup, ce ne sont pas des juridictions internationales, qui ont prononcé ses décisions mais bien à des juridictions nationales. Ce qui prouve que l’évolution du droit de l’environnement n’est pas uniquement tributaire de l’évolution du droit international.
Et qu’il peut y avoir une sorte de phénomène de communication d’un État vers un autre.
4. Quel biais juridique ? : la notion de stratégie du plaideur.
Tout cela conforte l’existence d’un véritable procès environnemental, mais sous un angle spécifique à savoir un procès dirigé contre l’Etat pour sa carence fautive. Il n’y a donc pas de procès environnemental sans un « biais », un ange d’attaque spécial. Et surtout un « responsable désigné ».
Enfin, on serait conclure cette réflexion sur le procès environnemental sans évoquer une certaine timidité des juges à appliquer le droit de l’environnement. on peut la qualifier et d’inertie. Nous en avons plusieurs exemples dans la jurisprudence la plus récente.
Ainsi le conseil d’État avait été saisi d’un référé liberté par une association de protection des dauphins, mais avait refusé de statuer un motif qu’il n’y avait pas d’urgence. Le moyen tiré du défaut d’urgence s’appuyait sur le fait comme moment où il rendait sa décision, le président n’intervenait plus au moment de la reproduction des dauphins.
Il est donc parfait inexact de dire que ce sont les requérants qui manque d’imagination, puisque depuis déjà quelques années, les juges en saisie de demande au titre de la protection de l’environnement. Mais les juridictions restent parfois trop ancrées sur leurs habitudes ils font preuve d’un juridisme zélé dans des cas qui pourtant mériteraient un peu plus de courage.
De la même manière, le juge administratif peut très bien se saisir d’une mesure d’expertise pour notamment compléter le dossier d’un requérant qui se plaint d’une pollution de l’air. Or la plupart du temps le juge administratif « oublie" qu’il a le pouvoir de désigner un expert. Il est tout de même curieux qu’un juge qui se targue d’avoir un pouvoir inquisitoire, ne prononce aucune décision d’instruction dans des dossiers d’une telle portée sanitaire.