Par Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste et docteur en droit.
Vous souhaitez demander le désenclavement de votre parcelle pour pouvoir y accéder avec votre véhicule ou encore pour obtenir un permis de construire ?
Sachez qu’il existe plusieurs étapes avant de pouvoir mener à bien ce projet.
Tout d’abord, il faut rappeler le principe : le désenclavement est un droit prévu par le code civil.
L’article 682 du code civil dispose :
"Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner."
Vos voisins ne peuvent théoriquement pas d’y opposer sauf s’il existe un passage plus court et moins gênant qui n’emprunterait pas leur parcelle.
En effet l’article 683 du code civil indique :
"Le passage doit régulièrement être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique. Néanmoins, il doit être fixé dans l'endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé".
S’ils s’y refusent tout de même, la seule solution est de saisir le juge des référés du tribunal de grande instance (devenu le tribunal judiciaire depuis la réforme entrée en vigueur en 2020) territorialement compétent pour demander la désignation d’un expert.
1°/ Apporter la preuve de l’enclavement : produire le PV d’un huissier ou le rapport d’un géomètre expert
Cela pose une première difficulté qui est d’apporter la preuve de l’enclavement : il est donc préconisé de faire constater cet état de fait par un huissier de justice si l’enclavement est visible et incontestable, ou par un géomètre expert qui aura l’avantage de raisonner à partir d’une meilleure connaissance des plans (cadastre etc.) et du site.
Le terrain situé à proximité d’autres parcelles appartenant à la même personne et qui disposent déjà d'un accès à la voie publique, ne sera pas considéré comme enclavé :
"L'état d'enclave ne peut être juridiquement admis qu'autant qu'il est constaté une nécessité et non une utilité ou une commodité, et que la nécessité de créer un passage doit s'apprécier au regard d'une utilisation normale du fonds. Ne se trouve pas dans un état d’enclave le propriétaire des trois parcelles qui bordent sur toute leur largeur la route départementale, et qui ne démontre pas qu’il serait dans l’impossibilité d'obtenir un accès sur cette route départementale à un autre endroit de son terrain que par l'accès par le chemin communal sur lequel il dispose d'un accès piétonnier. » (Voy. Cour d’appel de Versailles, 19 mai 2016).
Par ailleurs, le simple fait que le passage existant soit plus difficile à emprunter ne permet pas de justifier d’un réel enclavement, il faudra apporter la preuve que la voie d’accès est impraticable :
« L'état d'enclavement n'est pas établi, la parcelle de terre étant desservie par un chemin communal, selon l'attestation du maire de la commune. Bien que la voie d’accès présente une forte déclivité rendant difficile le passage des engins agricoles, la voie d’accès n’est pas pour autant impraticable et est adaptée au passage des engins agricoles comme en atteste l’expert judiciaire » (Voy. Cour d’appel d’Amiens, 2 juin 2015).
Références :
- Articles 682 et 683 du code civil,
- Cour d'appel de Versailles, 1ère Chambre, Section 1, Arrêt du 19 mai 2016, Répertoire général nº 14/02823
- Cour d'appel d'Amiens, 1ère Chambre civile, Arrêt du 22 octobre 2015, Répertoire général nº 13/06474 (voie d’accès impraticable)
2°/ En cas de refus des propriétaires des fonds servants, saisir le juge des référés d’une demande d’expertise judiciaire
Le propriétaire du fonds dominant n’a pas le libre choix de l’accès, le code civil dispose en effet qu’il faudra emprunter le chemin le plus court, celui qui nécessite le moins de travaux d’aménagements et qui génère le moins de gène pour les propriétaires.
Parfois, il existe plusieurs options possibles.
Il faut donc l’avis d’un homme de l’art, indépendant et capable de présenter les différentes solutions avec leurs inconvénients et leurs avantages. Et qu’il calcule le montant de l’indemnité due aux propriétaires des fonds servants.
C’est précisément le rôle de l’expert judiciaire lequel ne peut être désigné que par un juge (le juge des référés du tribunal de grande instance devenu le tribunal judiciaire).
Il s’agira le plus souvent d’un référé « probatoire" (art. 145 CPC) :
« les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible ».
Pour que le rapport final leur soit opposable, tous les propriétaires des fonds susceptibles d’être concernés doivent être cités par huissier de justice par assignation afin de respecter le principe du contradictoire.
Il ne faudra pas oublier de citer l’ensemble des membres de l’indivision si la propriété est indivise (vérifier sur le relevé cadastral l’eidentité de tous les propriétaires).
Depuis 2020, la présence de l’avocat est désormais obligatoire en vertu de l’article 760 du CPC au cours de l’audience de référé qui permettra de désigner l’expert judiciaire et qui définira sa mission.
Un solide dossier devra déjà être constitué contenant le relevé et le plan cadastral des parcelles concernées, ainsi que les extraits de la publicité foncière pour connaître avec précision le nom des propriétaires (avec les donations, plusieurs propriétaires peuvent coexister en indivision, ainsi que des usufruitiers et des nus propriétaires…).
L’expert fixera une ou plusieurs réunions sur les lieux puis remettra un pré-rapport, et enfin son rapport définitif.
Références :
- Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile partiellement entré en vigueur le 1er janvier 2020.
- Article 760 du CPC : « Les parties sont, sauf disposition contraire, tenues de constituer avocat devant le tribunal judiciaire. »
- Article 145 du CPC : "S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé."
3°/ L'homologation du rapport de l’expert géomètre devant le tribunal de grande instance (devenu le tribunal judiciaire en 2020)
C’est sur la base du rapport de l'expert, que le demandeur au désenclavement soumettra sa proposition aux propriétaires concernés par le trajet retenu puis, en cas de refus, saisira de nouveau le juge pour qu’il homologue la solution proposée par l’expert.
Il ne s’agit plus d’une procédure de référé mais d’une procédure « au fond » qui nécessite donc de saisir le tribunal par voie d’assignation délivrée par huissier à l’ensemble des parties.
Le tribunal dipsose d’une marge d’appréciation et sera à l’écoute des arguments de chaque partie représentée.
En effet, le rapport peut prévoir plusieurs options de passage, avec leurs avantages et inconvénients.
Une fois que le tribunal a tranché, et rendu son jugement (et en l'absence d’appel), le demandeur va disposer d’un titre exécutoire qu’il devra faire signifier aux parties.
En général le jugement comporter également les réponses concernant les indemnités de passage, et la prise en charge des travaux de réalisation de l’assiette de la servitude.
La solution retenue s'imposera alors, le plus souvent aux frais du demandeur, qui devra éventuellement indemniser les propriétaires des fonds servants pour leur préjudice, et payer les travaux nécessaires pour établir l’assiette de la servitude.
4°/ La rédaction de l’acte de servitude et la publicité foncière
La dernière phase se déroulera devant le notaire, qui sera chargé de rédiger l’acte de servitude lequel sera publié à la publicité foncière pour être opposable aux tiers.
Ce droit est bien évidemment transmissible en cas de revente de la parcelle qui bénéficie de la servitude.
Un rappel de servitude sera d’ailleurs inscrit dans l’acte de vente.
5°/ L'évolution de la servitude
Une servitude n’est pas intangible, elle peut évoluer pour différentes raisons.
Tout d’abord la servitude peut devenir inutile compte tenu de l’ouverture d’une autre voie d’accès.
Mais elle ne disparaitra pas automatiquement, il faut pour cela la supprimer dans un nouvel acte authentique passé devant le notaire.
Inversement la servitude peut parfois être prolongée à d’autres parcelles limitrophes.
Mais là encore, le processus n’est pas automatique, une nouvelle procédure devra parfois être engagée faute d’accord amiable et compte tenu du fait que le nombre de passage de véhicules va augmenter.
Références :
- Article 685-1 du code civil :
"En cas de cessation de l'enclave et quelle que soit la manière dont l'assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l'extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l'article 682. A défaut d'accord amiable, cette disparition est constatée par une décision de justice ».
- Article 703 du code civil :
"Les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user. »
- Article 705 du code civil :
"Les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user".
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit privé,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement.