Les conditions de la demande de réparation suite à l'annulation d'une décision refusant un Permis de construire.


Par Laurent GIMALAC, Docteur en droit, Lauréat et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



La demande de réparation en cas d'annulation d'une décision administrative illégale, notamment concernant le refus d'un permis de construire, repose sur des principes juridiques établis. L'obtention d'une indemnisation suppose la démonstration d'un préjudice direct et certain, résultant de la décision administrative. Cette note vise à synthétiser les conditions et les types de préjudices ouvrant droit à réparation dans ce contexte.


I. Conditions de base pour engager la responsabilité administrative


A- Formalisme


Une réclamation préalable auprès de l'administration concernée est nécessaire avant de pouvoir poursuivre une demande d'indemnisation devant les tribunaux​.


Formulation de la demande préalable : La demande préalable doit être formulée par écrit et doit préciser la portée du préjudice subi, exposer la nature de la faute de service commise par l'Administration, ainsi que le montant de l'indemnisation demandée​​.

Délai de réponse de l'administration : Conformément à l'article R. 421-2 du Code de justice administrative, l'Administration dispose d'un délai de deux mois pour répondre à la réclamation. Si l'Administration rejette explicitement la demande par une réponse écrite, ce rejet constitue la décision à contester devant le juge. Si l'Administration ne répond pas dans ce délai, son silence est interprété comme une décision implicite de rejet, contre laquelle le demandeur peut ensuite recourir en justice​​.

Constatation de la date de Dépôt de la réclamation : La date du dépôt de la réclamation auprès de l'Administration doit être clairement établie et documentée pour appuyer la requête. Cela est nécessaire pour établir le début du délai de réponse de l'Administration et pour la suite de la procédure judiciaire éventuelle​​.

En résumé, le dépôt d'une réclamation préalable est une étape cruciale dans le processus de demande d'indemnisation. Elle doit être soigneusement formulée et documentée pour respecter les exigences légales et administratives, et pour permettre une évaluation adéquate de la demande par l'Administration avant toute procédure judiciaire.


B - Conditions de fond


Existence d'un préjudice réel : La responsabilité administrative est engagée seulement si un préjudice réel et significatif est prouvé. La jurisprudence est exigeante quant à l'appréciation de la réalité de ce préjudice, particulièrement en matière d'urbanisme​​.

Lien de causalité direct : Pour qu'une responsabilité soit reconnue, il doit exister un lien de causalité direct entre l'acte administratif et le préjudice subi. Cette exigence est fondamentale, que la responsabilité soit pour faute ou sans faute​​.

Responsabilité envers les tiers : Les tiers affectés par un permis de construire illégal peuvent rechercher la responsabilité de la personne publique. La jurisprudence admet la réparation des préjudices directs liés aux illégalités entachant la décision​​.


II. Types de préjudices indemnisables


Préjudices matériels directs : L'indemnisation est généralement accordée pour les atteintes physiques aux biens, telles que la détérioration d'une construction ou le préjudice résultant de l'occupation prématurée d'un terrain​​.

Frais de construction et judiciaires : Les frais de construction engagés et les frais exposés devant le juge judiciaire dans le cadre du contentieux de la démolition sont indemnisables, à l'exclusion des frais liés aux astreintes​​.

Coût des travaux inutilement exécutés : Dans le cas du retrait d'un permis de construire irrégulièrement accordé, les coûts des travaux inutilement exécutés peuvent être indemnisés​​.

Honoraires d'architecte et bénéfices manqués : Les honoraires de l'architecte pour l'établissement du dossier de permis et les bénéfices manqués de la vente des appartements envisagés sont indemnisables​​.


Voici quelques décisions favorables évaluant les divers préjudices allégués :


- Conseil d'État, 23 décembre 1981, CE n° 82 : Cette décision concerne le retard dans la délivrance d'un permis qui a retardé l'ouverture d'un centre commercial. Dans ce cas, le Conseil d'État a reconnu le droit à indemnisation pour les préjudices subis en raison du retard administratif​​.

- Conseil d'État, 25 juin 1971, Min. Équipement c/ Bruchet, Lebon 488 : Dans cette affaire, le Conseil d'État a admis l'indemnisation du coût d'immobilisation d'un capital déposé à la banque et n'ayant pas produit d'intérêts. Le calcul de l'indemnisation se base sur le taux d'intérêt légal, sauf preuve d'un taux de rémunération supérieur par le requérant (CAA Paris, 22 novembre 1994, req. no 93PA00133, Courtois)​​.

- Conseil d'État, 7 mai 2007, req. no 282311, Sté immobilière de la banque de Bilbao et de Viscaya d'Ilbarritz ; Conseil d'État, 6 juin 2012, Sté HLM de la Réunion, req. no 327303 : Ces décisions mettent en lumière l'importance du statut du demandeur dans la décision d'indemnisation. La qualité de professionnel de l'immobilier de la victime a joué un rôle important dans ces cas, la jurisprudence étant généralement plus exigeante pour un promoteur que pour un particulier​​.


III. Facteurs limitant la réparation


Préjudices certains vs. éventuels : Seuls les préjudices certains sont indemnisables. Les juges du fond ont une appréciation souveraine sur le caractère éventuel d'un préjudice, notamment en matière d'urbanisme​​.


Le Conseil d’État rappelle que la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et, en principe, ne peut ouvrir droit à réparation. Cette décision met en évidence le critère de caractère certain des préjudices pour ouvrir droit à réparation (V. Conseil d'État, 15 avril 2016, n° 371274).

Dans une seconde affaire, il a été jugé que la société requérante pouvait obtenir réparation des préjudices relatifs au coût des travaux inutilement exécutés découlant d'une longue interruption du chantier et des frais engagés pour obtenir le permis retiré. Cependant, les préjudices liés aux obligations supplémentaires imposées par le nouveau permis obtenu par la société ne pouvaient être considérés comme résultant de la faute de l’Administration​ (Conseil d'État, 8 juillet 1977).


Préjudice anormal et spécial : En cas d’action sur le terrain de la responsabilité sans faute en matière d'urbanisme il faut démontrer un préjudice anormal et spécial, une condition rarement reconnue par la jurisprudence​​.

Faute de la victime : La faute de la victime peut atténuer ou exonérer la responsabilité de l'administration. Par exemple, la demande d'un permis de construire irrégulier peut partiellement imputer le dommage à la faute du demandeur​​.


Conclusion


En conclusion, la demande de réparation suite à l'annulation d'une décision refusant un permis de construire illégal nécessite une démonstration rigoureuse du préjudice subi, de son caractère direct et certain, et une analyse approfondie du lien de causalité avec l'acte administratif. La jurisprudence en la matière est complexe et demande une évaluation minutieuse de chaque cas.


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