Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement.
Dans une affaire en cours, encore dépourvue de décision judiciaire définitive, plusieurs habitants de la commune de Grézieu-la-Varenne (Rhône) ont découvert, bien après leur emménagement, que leur maison avait été édifiée sur un terrain profondément pollué par les rejets d’une blanchisserie industrielle exploitée pendant plusieurs décennies. L’alerte aurait été donnée à la suite de l’apparition d’un liquide visqueux dans un jardin en 2019, menant à des analyses faisant état d’une contamination persistante aux solvants chlorés, notamment au trichloréthylène, substance réputée pour sa toxicité chronique. L’activité industrielle, qui aurait cessé en 2010 sans remise en état du site, n’aurait fait l’objet d’aucune déclaration de cessation.
L’affaire, révélée par la presse en mai et juin 2025, met en lumière de manière saisissante l’inadéquation du droit positif face à certaines pollutions dites « orphelines », laissées sans traitement ni responsable clairement identifié. Elle soulève des interrogations fondamentales : qui doit assumer les obligations de dépollution lorsque l’exploitant d’une installation classée a disparu ? La responsabilité peut-elle être transmise à ses héritiers, même en l’absence d’exploitation effective de leur part ? L’administration peut-elle juridiquement imposer des prescriptions à des personnes ayant renoncé à une succession ? Et enfin, le cadre pénal récemment introduit pour réprimer les atteintes les plus graves à l’environnement — notamment par le biais de la nouvelle infraction d’écocide — est-il mobilisable dans une telle configuration factuelle et juridique ?
Ce dossier, encore à l’état d’instruction, a d’ores et déjà donné lieu à plusieurs décisions du tribunal administratif de Lyon, annulant ou suspendant des arrêtés préfectoraux de mise en demeure, au motif que les conditions juridiques permettant de désigner certains ayants droit comme débiteurs de l’obligation de dépollution n’étaient pas réunies. Ces éléments contentieux, combinés aux dispositions du code de l’environnement et aux évolutions récentes du droit pénal de l’environnement, fournissent un cadre propice à une réflexion plus large sur les angles morts du droit français dans la gestion des passifs environnementaux historiques.
Sans préjuger des responsabilités qui pourraient être retenues par les juridictions saisies, ni anticiper sur l’issue d’un contentieux encore en devenir, il nous semble utile de revenir, à partir de ce cas emblématique, sur les lignes de tension qui traversent aujourd’hui le droit de la dépollution : entre justice environnementale et insécurité juridique, entre volonté de sanctionner les atteintes graves à la nature et impossibilité pratique d’identifier un redevable solvable, entre aspiration sociale à la réparation et inertie structurelle du système juridique.
I. Une pollution industrielle ancienne, oubliée puis redécouverte : le réveil d’une friche toxique
Les faits aujourd’hui portés à la connaissance du public trouvent leur origine dans l’activité d’une blanchisserie industrielle implantée à Grézieu-la-Varenne dès 1959, dans le quartier du Tupinier. Pendant plusieurs décennies, deux structures juridiques se seraient succédé sur ce site — les établissements Mercier, puis la société DASI — utilisant des solvants chlorés courants dans le traitement du linge professionnel, notamment le trichloréthylène (TCE) et le perchloréthylène. La présence prolongée de ces composés dans les sols et les eaux souterraines est aujourd’hui reconnue pour ses effets pathogènes, tant sur les milieux naturels que sur la santé humaine.
En 2010, l’activité industrielle aurait cessé, sans qu’aucune déclaration de cessation ne soit déposée auprès de l’autorité préfectorale, en méconnaissance des obligations prévues à l’article L. 512-6-1 du code de l’environnement. Cette carence n’aurait donné lieu à aucune mesure de suivi, de surveillance ou de remise en état. Le site a ensuite été urbanisé, donnant lieu à la construction et à la commercialisation de logements individuels. Cette reconversion foncière, effectuée sans traitement du passif environnemental ni classement en secteur d’information sur les sols (SIS), a précipité la situation actuelle.
C’est en 2019, soit près d’une décennie après l’acquisition de leur bien, que des propriétaires découvrent fortuitement la présence d’un liquide dense et visqueux lors de travaux d’aménagement de leur jardin. Les investigations menées à la suite de cette découverte révèlent une pollution profonde et persistante, corroborée par d’anciens constats environnementaux déjà établis en 1982. Ces documents, qui avaient mis en évidence une contamination aux solvants chlorés affectant les sols et probablement la nappe phréatique, n’avaient manifestement donné lieu à aucune mesure corrective à l’époque.
La situation sanitaire, environnementale et humaine devient dès lors alarmante. Certains occupants, relogés à titre conservatoire, se retrouvent contraints d’abandonner leur maison devenue inhabitable. Plusieurs riverains font état de troubles de santé passés ou persistants, et certains évoquent même des répercussions psychologiques profondes, nourries par le sentiment d’avoir été délibérément privés d’information au moment de l’achat. Le tissu social d’un quartier résidentiel, jusqu’ici paisible, se délite au rythme des expertises, des incertitudes et de l’impuissance institutionnelle.
Ce « réveil toxique » d’une friche oubliée révèle une chaîne de défaillances multiples : défaut de surveillance de l’administration, carence des exploitants, silence des vendeurs, urbanisation non précautionneuse, absence d’alerte des notaires ou des professionnels de l’immobilier. À l’échelle locale, l’affaire réveille une mémoire industrielle refoulée ; à l’échelle juridique, elle met en lumière les insuffisances structurelles du droit de la dépollution lorsqu’il s’agit de gérer des situations orphelines où ni l’exploitant initial, ni ses successeurs, ni l’État ne semblent pouvoir ou vouloir assumer la charge du passé.
II. L’obligation de remise en état en cas de disparition de l’exploitant : entre droit et impasses
L’affaire de Grézieu-la-Varenne met en lumière l’un des nœuds les plus sensibles du droit de l’environnement : que faire lorsqu’un site classé au titre des installations ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement) est laissé à l’abandon, sans procédure de cessation, ni dépollution, ni responsable clairement identifiable ou solvable ? Le droit positif, pourtant structuré autour du principe de responsabilité de l’exploitant, peine à trouver une réponse satisfaisante dans les hypothèses de successions complexes, de sociétés dissoutes ou de transmissions indirectes.
Le cadre juridique de référence est posé à l’article L. 512-6-1 du code de l’environnement, qui impose à tout exploitant d’ICPE de remettre le site en état à l’issue de son activité, dans des conditions fixées par l’autorité administrative. En cas de non-respect, des prescriptions de dépollution peuvent être imposées par arrêté préfectoral. Mais ce schéma, fondé sur l’identification du dernier exploitant légalement déclaré, s’effondre lorsque l’activité cesse sans déclaration, que l’exploitation a été poursuivie de manière informelle, ou que les structures juridiques ont disparu.
Dans l’affaire commentée, plusieurs arrêtés préfectoraux ont été pris afin d’enjoindre à des personnes physiques ou morales — notamment un petit-fils de l’industriel initial, ou une société tierce considérée comme ayant repris le fonds — de procéder aux travaux de dépollution. Ces décisions ont été suspendues ou annulées par le tribunal administratif de Lyon dans deux jugements récents (TA Lyon, 2 mai 2023 et 2 février 2024). Le juge a estimé, dans le premier cas, qu’il y avait eu une erreur de droit manifeste dans l’identification du redevable, et dans le second, qu’un doute sérieux existait sur la qualité d’exploitant ou d’ayant droit de la personne physique visée, dès lors notamment qu’il avait renoncé à la succession de sa grand-mère, ancienne co-exploitante.
Ces décisions illustrent une impasse juridico-administrative bien connue : la présomption selon laquelle les obligations environnementales pourraient être transmises par voie successorale ne peut suppléer aux exigences de preuve posées par le juge administratif. Il ne suffit pas d’être héritier d’un industriel pour être légalement tenu des charges de dépollution : encore faut-il avoir accepté la succession, être en mesure d’être qualifié d’ayant droit au sens de la réglementation ICPE, et avoir bénéficié de la transmission des éléments de l’exploitation. À défaut, l’administration se heurte au mur de la légalité, et le site reste pollué.
Cette difficulté renvoie également au droit commun des successions. L’acceptation de la succession (articles 724 et 785 du code civil) emporte transmission de l’actif et du passif, y compris, potentiellement, des obligations de dépollution. Mais en pratique, l’absence de valeur économique des terrains pollués incite souvent les héritiers à y renoncer, ce qui vide de portée les tentatives d’imputation de responsabilité fondées sur la filiation seule.
En définitive, ces contentieux montrent que le droit administratif ne dispose pas d’outils suffisants pour appréhender la complexité des chaînes de transmission environnementale, surtout lorsque l’État n’a pas surveillé l’exploitation, que la cessation d’activité n’a pas été formalisée, et que les preuves de la qualité de redevable se sont diluées avec le temps. La situation aboutit à une vacance juridique et matérielle du devoir de remise en état, au détriment des tiers riverains et de l’intérêt général.
III. Le recours à l'écocide : une qualification ambitieuse mais incertaine
Depuis la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite « climat et résilience », le droit français s’est doté d’un arsenal pénal rénové pour réprimer les atteintes les plus graves à l’environnement. À travers l’insertion dans le code de l’environnement des articles L. 231-1 à L. 231-5, le législateur a entendu combler une lacune structurelle : l’incapacité du droit pénal classique à saisir la gravité des pollutions systémiques, chroniques et souvent différées dans leurs effets.
Ce dispositif distingue deux niveaux d’incrimination :
- D’une part, les atteintes graves à l’environnement, telles que prévues à l’article L. 231-1, sanctionnant notamment le rejet ou l’abandon de substances dangereuses ayant des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la faune, la flore, les sols ou les eaux.
- D’autre part, l’écocide, défini à l’article L. 231-3 comme la forme intentionnelle de cette atteinte, assortie de peines aggravées, notamment dix ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d’amende (pouvant être portés à 10 fois le profit tiré de l’infraction).
Article L. 231-3 C. env. : « Constitue un écocide l’infraction prévue à l’article L. 231-1 lorsque les faits sont commis de manière intentionnelle et que les conditions prévues au même article sont réunies. »
Le texte exige ainsi la réunion cumulative de plusieurs conditions particulièrement rigoureuses :
- une atteinte graves et durables à l’environnement ou à la santé humaine ;
- une action ou une omission ayant entraîné cette atteinte (rejet, abandon, dispersion) ;
- et, en matière d’écocide, la démonstration d’une intention, c’est-à-dire la conscience, chez l’auteur, du caractère potentiellement dévastateur de son comportement.
Dans l’affaire de Grézieu-la-Varenne, certains observateurs évoquent la possibilité d’une qualification d’écocide, notamment en raison du caractère persistant de la pollution (sur plusieurs décennies), de l’impact supposé sur les riverains, et de l’inertie prolongée des exploitants. Pour autant, la plus grande prudence s’impose à ce stade : aucune décision judiciaire pénale n’a été rendue, et l’information judiciaire en cours n’a, à ce jour, pas débouché sur une mise en examen fondée sur ces textes.
Sur le plan strictement juridique, l’application de l’article L. 231-3 à cette affaire suppose :
- de démontrer que les substances rejetées (TCE, perchloréthylène) ont bien entraîné des effets graves et durables, ce qui implique un travail d’expertise contradictoire sur les concentrations, la durée de persistance, les mécanismes de diffusion, etc. ;
- d’établir l’intentionnalité de l’omission : l’administration devra prouver que les personnes mises en cause avaient conscience du caractère nocif des substances, et qu’elles ont volontairement omis d’agir pour en limiter les effets ou mettre fin à la contamination.
Cette dernière condition — l’élément intentionnel — est particulièrement exigeante dans le contexte d’une pollution ancienne. Elle pose une difficulté redoutable dans les dossiers où les faits s’échelonnent sur plusieurs décennies, où les exploitants se sont succédé, et où les documents internes ou administratifs ont disparu. La jurisprudence pénale à venir sera sans doute décisive pour déterminer si cette volonté de nuire à l’environnement, ou à tout le moins de persévérer dans un comportement dangereux en connaissance de cause, peut être caractérisée dans des cas de silence, d’inaction ou de négligence prolongée.
En outre, l’article L. 231-4 prévoit que le tribunal peut imposer au condamné de procéder à la restauration du milieu naturel, dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 173-9. Cette disposition ouvre une voie de réparation spécifique pour les atteintes graves à l’environnement, mais elle demeure conditionnée à la reconnaissance d’une responsabilité pénale, ce qui en limite mécaniquement la portée dans les cas complexes ou anciens.
En somme, si l’affaire de Grézieu-la-Varenne constitue à l’évidence un test grandeur nature pour le régime juridique de l’écocide, il serait prématuré d’y voir un précédent en formation. À ce stade, la présomption d’innocence doit pleinement s’appliquer, et seule l’instruction judiciaire pourra permettre d’apprécier si les conditions, strictes et cumulatives, d’une qualification pénale fondée sur les articles L. 231-1 et suivants, sont réunies.
IV. Les insuffisances du droit des acquéreurs et des pouvoirs publics face aux passifs environnementaux
Si l’affaire de Grézieu-la-Varenne met en lumière les difficultés d’imputation de la responsabilité environnementale au titre des ICPE, elle révèle également les failles systémiques de la chaîne de vigilance immobilière qui entoure l’acquisition de terrains ou d’immeubles potentiellement pollués. Le contentieux civil de l’environnement, trop souvent cantonné à des actions individuelles et fondé sur le droit commun des obligations, montre ici ses limites lorsqu’il s’agit d’atteintes d’origine industrielle anciennes, dissimulées ou simplement ignorées.
1. L’insuffisance du cadre d’information environnementale à la vente
L’article L. 125-6 du code de l’environnement, issu de l’ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016, impose au vendeur d’un terrain situé sur un secteur d’information sur les sols (SIS) d’informer l’acquéreur de cette situation, notamment en l’alertant sur les mesures d’étude ou de gestion qui pourraient être exigées en cas de changement d’usage. Cette obligation figure désormais dans l’état des risques et pollutions (ERP), document annexé à tout avant-contrat ou acte de vente.
Mais dans l’affaire commentée, aucun classement en SIS ne semble avoir été effectué, et l’absence d’information environnementale lors de la vente ne constitue donc pas en soi une infraction à l’article L. 125-6. On touche ici à la limite structurelle du droit positif : le devoir d’information dépend d’un acte administratif préalable (le classement en SIS), lui-même tributaire d’une initiative préfectorale souvent absente pour les sites anciens. L’information sur les risques est donc conditionnelle, et le silence administratif sur le passé industriel d’un site peut entraîner des ventes en apparence régulières, mais en réalité dangereuses.
2. La responsabilité civile des vendeurs et des professionnels de la vente
Les acquéreurs concernés pourraient, sur le fondement du droit commun, envisager d’engager la responsabilité du vendeur pour vice caché (article 1641 du code civil), ou pour dol en cas de dissimulation intentionnelle (article 1137). Mais là encore, la prescription biennale en matière de vices cachés (article 1648, al. 1) et la difficulté de démontrer la connaissance du risque par le vendeur constituent autant d’obstacles à surmonter. Il en irait différemment si l’existence d’un rapport d’expertise préalable — comme celui de 1982 — avait été dissimulée sciemment.
Les professionnels intervenus dans la transaction (notaire, agent immobilier, géomètre) pourraient également être recherchés pour manquement à leur obligation de conseil, notamment s’ils avaient connaissance de l’origine industrielle du site ou d’un classement antérieur dans les bases BASOL ou BASIAS. Toutefois, dans la configuration d’un terrain non classé et en l’absence d’alerte préfectorale, leur responsabilité serait difficile à établir sans faute caractérisée.
3. La responsabilité éventuelle des collectivités et de l’État pour carence fautive
Enfin, une piste contentieuse complémentaire pourrait résider dans la mise en cause de la carence des pouvoirs publics, en particulier de la commune ou de l’État. Le juge administratif reconnaît, dans certaines hypothèses, la responsabilité sans faute de la puissance publique lorsqu’un permis de construire est délivré sur un terrain affecté par un risque connu, sans que les autorités compétentes n’aient pris de mesures de prévention ou d’information.
Transposée au contentieux environnemental, cette jurisprudence pourrait ouvrir la voie à une action dirigée contre l’État ou la commune pour avoir autorisé une urbanisation sur un site industriel ancien sans vérifier sa compatibilité avec l’usage résidentiel, ni alerter les futurs habitants.
Mais, là encore, le succès d’une telle action dépendrait de la preuve que l’autorité avait connaissance de la pollution existante ou potentielle, ce qui suppose l’accès à des documents internes, des archives ou des alertes antérieures — parfois inexistantes ou inaccessibles.
Conclusion : une affaire-laboratoire révélatrice des angles morts du droit de l’environnement
L’affaire de Grézieu-la-Varenne, encore non jugée au fond mais déjà traversée par plusieurs contentieux administratifs, offre un miroir troublant des faiblesses persistantes du droit de l’environnement français, dès lors qu’il s’agit de traiter les séquelles des activités industrielles passées. Elle rappelle que le droit de la dépollution, bien qu’encadré par des textes abondants, reste fragile dans ses mises en œuvre concrètes, en particulier lorsque le site concerné est orphelin d’exploitant solvable ou juridiquement identifiable.
L’analyse de cette affaire fait apparaître plusieurs constats :
– D’abord, la logique de transmission successorale des obligations environnementales montre ici ses limites. Le droit civil n’a jamais été conçu pour intégrer des passifs environnementaux de long terme, et l’identification d’« ayants droit » en matière d’ICPE se heurte à la fois à des incertitudes juridiques et à des réalités successorales complexes.
– Ensuite, la montée en puissance du droit pénal de l’environnement, incarnée par la nouvelle qualification d’écocide, rencontre dans ce dossier les limites de son applicabilité. Si la pollution en cause paraît grave et durable, la démonstration de l’élément intentionnel, exigée par l’article L. 231-3 du code de l’environnement, reste juridiquement incertaine dans une configuration d’omission ancienne, collective et diffuse.
– Par ailleurs, les mécanismes d’information et de protection des acquéreurs sont insuffisants : sans classement en SIS, sans suivi administratif rigoureux, les mutations immobilières s’opèrent en dehors de tout radar environnemental. Le droit des contrats, fondé sur le consentement éclairé, se trouve ainsi vidé de sa substance environnementale.
– Enfin, l’administration elle-même, lorsqu’elle tente de reconstruire a posteriori une chaîne de responsabilité, se heurte aux exigences contentieuses du droit administratif : en témoignent les annulations d’arrêtés préfectoraux prononcées par le TA de Lyon, faute pour l’État d’avoir apporté la preuve de la qualité d’exploitant ou d’ayant droit des personnes mises en demeure.
Ces constats ne peuvent rester sans réponse. Il serait illusoire de croire que la seule activation du droit pénal ou l’extension des régimes de responsabilité civile suffiraient à combler les lacunes observées. La gestion des friches polluées appelle des réformes structurelles, parmi lesquelles :
- la mise en place d’un fonds national de dépollution des sites orphelins, alimenté par une contribution des filières industrielles à responsabilité élargie ;
- le renforcement du rôle du notaire comme vigie environnementale, par l’intégration systématique des bases BASIAS/BASOL et des plans d’occupation du sol à ses vérifications préalables ;
- la généralisation du classement en SIS par défaut pour tout site à passé industriel connu, sauf preuve d’absence de risque ;
- la création d’un registre public des obligations environnementales attachées aux biens immobiliers, opposable aux tiers.
L’enjeu n’est pas seulement technique, ni même seulement juridique. Il est éthique et politique. Il s’agit de savoir si une société peut continuer à construire des logements sur les ruines d’une industrie toxique sans mettre en place les instruments d’identification, de prévention, de réparation et d’indemnisation des atteintes qui en résultent. L’affaire de Grézieu-la-Varenne ne sera peut-être pas celle de l’écocide, mais elle est d’ores et déjà celle d’un droit de l’environnement en défaillance face au temps qui passe...
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement.