L'articulation des compétences juridictionnelles en matière de dommages liés aux travaux publics : analyse de l'arrêt Cass. civ. 3, 14 mars 2024, n° 22-24.222, FS-B


L'arrêt rendu par la Troisième chambre civile de la Cour de cassation le 14 mars 2024 (n° 22-24.222, FS-B) rappelle et clarifie une règle fondamentale en matière de répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et administratives en ce qui concerne l'indemnisation des dommages causés par des travaux publics.

Les faits et la question de compétence

Dans cette affaire, le litige portait sur une demande d'indemnisation formulée par le preneur d'un local commercial contre une personne publique, propriétaire du bien. Les dommages invoqués étaient imputables à des travaux publics réalisés au sein de l'immeuble. Une difficulté sérieuse de compétence se posait : fallait-il soumettre l'action indemnitaire à la juridiction judiciaire, du fait du bail commercial, ou à la juridiction administrative, en raison de la nature publique des travaux litigieux ?

La Cour de cassation confirme que si la juridiction judiciaire est compétente pour connaître d'une action intentée par le locataire d'un local commercial contre son bailleur, elle perd cette compétence lorsque les dommages proviennent de travaux publics. Ainsi, la présence d'un bail commercial ne suffit pas à conférer compétence au juge judiciaire lorsque les travaux litigieux relèvent du régime des travaux publics.

Le principe de compétence de la juridiction administrative

La Cour de cassation applique ici un principe jurisprudentiel bien établi : la compétence de la juridiction administrative pour les litiges indemnitaires relatifs aux dommages de travaux publics. Peu importe que ces dommages affectent un bien donné à bail commercial : le critère déterminant demeure la nature des travaux et non la relation contractuelle entre la victime et la personne publique.

Ce raisonnement repose sur une distinction essentielle :

  • Lorsque le litige est relatif à l'exécution du contrat de bail commercial, la juridiction judiciaire est compétente.
  • Lorsque le litige concerne des dommages résultant de travaux publics effectués pour le compte d'une personne publique, la compétence revient à la juridiction administrative, indépendamment de l'existence d'un bail commercial.

Conséquences pratiques pour les justiciables et les praticiens

Cette décision emporte plusieurs conséquences importantes pour les acteurs du contentieux :

  1. Vigilance sur la nature du dommage invoqué

Avant d'engager une action, il est indispensable d'identifier la cause précise du dommage. Si celui-ci trouve son origine dans des travaux publics, la juridiction administrative sera compétente, même si le litige concerne un locataire d'un bail commercial.

Distinction entre obligation contractuelle et responsabilité extra-contractuelle

L'existence d'un bail commercial ne suffit pas à conférer compétence au juge judiciaire. Il convient d'examiner si le dommage trouve son origine dans l'exécution du contrat (compétence judiciaire) ou dans des travaux publics (compétence administrative).

Impact sur la stratégie contentieuse

Les justiciables doivent orienter leurs actions en conséquence et saisir le juge compétent. Une erreur dans la détermination de la compétence peut entraîner une perte de temps préjudiciable, avec le risque d'un délai de prescription ou d'irrecevabilité de la demande.

Prudence dans la rédaction des contrats de bail commercial avec une personne publique

Les clauses du bail ne peuvent pas écarter la compétence de la juridiction administrative lorsqu'il s'agit de dommages causés par des travaux publics. Il est donc conseillé aux bailleurs publics et aux preneurs de prévoir une gestion contractuelle claire des risques associés aux travaux publics.

Conclusion

L'arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2024 rappelle avec force le primat du critère de la nature du dommage sur la relation contractuelle pour déterminer la compétence juridictionnelle. En matière de travaux publics, la compétence du juge administratif est exclusive, même lorsque la victime est titulaire d'un bail commercial avec une personne publique.

Pour les praticiens du droit, cette décision impose une analyse précise des faits avant d'engager une action, sous peine de se voir opposer une exception d'incompétence. Les locataires de baux commerciaux avec des personnes publiques doivent être particulièrement attentifs à ces règles, afin de ne pas engager une action devant une juridiction incompétente, ce qui retarderait l'indemnisation du préjudice subi.

Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste, Docteur en droit,

Ancien chargé de cours à l’UNSA.

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