Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement.
Le droit pénal constitue une arme efficace mais parfois difficile à mettre en oeuvre par les consommateurs victimes de produits toxiques mis en circulation. Il faut en effet bien déterminer la qualification juridique du délit ou du crime lorsqu’on dépose plainte ce qui n’est pas toujours évident.
Quid d’un produit avarié ou contaminé par exemple ? Peut-on invoquer l’empoissonnement, ou tout simplement une tromperie sur la marchandise (délit spécial) ? Voir une escroquerie (délit général) ?
L’opportunité de choisir telle ou telle qualification dépendra des conditions de mise en oeuvre d’infraction et aussi des règles de prescription.
I - PRODUITS DESTINÉES A L’ALIMENTATION HUMAINE
L’affaire LACTALIS donne l’exemple d’une condamnation d’un produit alimentaire destiné à la consommation humaine et qui a fait l’objet d’une contamination (nourriture pour nourrisson). Cette contamination à la salmonelle aurait en effet affecté trente-sept nourrissons en France, ainsi que deux en Espagne et un autre probable en Grèce.
Les plaignants français ont déposé pour plainte et retenu plusieurs qualifications pénales : administration de substances nuisibles », « blessures involontaires », « tromperie » mais aussi « escroquerie ».
1/ L’escroquerie :
En vertu de l’article 313-1 du Code pénal, l’escroquerie est punie de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
Mais l’article 313-2 du Code pénal prévoit des circonstances aggravantes portant ces peines à 7 ans notamment si la victime est une personne vulnérable.
Le code pénal prévoit deux conditions matérielles pour qu’une escroquerie soit pénalement sanctionnée :
- l’emploi de moyens frauduleux,
- la remise d’une chose convoitée.
Concrètement il peut s'agir de l'un des moyens frauduleux suivants :
- le mensonge, par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité ;
- l’abus de qualité vraie ou d'une qualité qui inspire confiance.
On en déduit que la plainte pour escroquerie vise sans doute les méthodes employées pour déjouer ou les contrôles ou pour faire croire aux consommateurs que des contrôles efficaces garantissaient leur sécurité…
Toutefois une telle qualification n’est envisageable qu’à la suite d’actes positifs et non d’une simple omission : comme par exemple des manoeuvres frauduleuses, ou l’usage d’une fausse qualité, faux documents, fausses factures…
On comprend donc que viser cette seule infraction est toujours dangereux pour le plaignant.
2/ L’administration de « substances nuisibles », un délit spécifique :
Depuis le 1er mars 1994, l'article 222-15 code pénal dispose en effet que : « l’administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui est punie des peines mentionnées aux articles 222-7 à 222-14-1 suivant les distinctions prévues par ces articles ».
L’infraction ne peut être commise par omission. Il faut donc un acte volontaire et pas une simple erreur.
La jurisprudence rappelle que l’auteur doit avoir agi avec l’intention de causer une atteinte à l’intégrité de la personne, avec la volonté de nuire à sa santé…
Le mode d’ administration peut-être par voie : voie buccale, rectale, sanguine, par piqûre ou injection, aspersion , inhalation.
3/ L’empoisonnement, un crime par l’usage d’une substance mortifère :
A la différence de l’administration de substances nuisibles, l’empoisonnement est puni de trente ans de réclusion criminelle.
Surtout, l’empoisonnement consiste à attenter à la vie, ce qui le distingue de la seule administration de substances nuisibles portant atteinte à l’intégrité physique.
Il sera donc déterminant de définir la caractère mortifère ou non de la substance administrée et aussi de démontrer l’élément moral de l’infraction, savoir l’intention de tuer.
II - PRODUITS NON DESTINÉS À LA CONSOMMATION HUMAINE MAIS POUVANT ÊTRE CONSOMMÉS PAR ASSIMILATION DANS LE CORPS HUMAIN (PROTHESES AMALGAMES…)
L’hypothèse d’un empoissonnement lent par des produits non destinés à la consommation humaine a été évoqué par certaines ONG, notamment en ce qui concerne les amalgames dentaires à base de mercure.
Le mercure serait en effet « un CMR (cancérogène, mutagène et reprotoxique)", qui est toxique aussi pour les systèmes nerveux, immunitaire et hormonal".
Pour le président de la Confédération nationale des syndicats dentaires, il n’y aurait jamais eu de preuve scientifique que c’est dangereux pour la santé.
La législation européenne milite pour une disparition progressive de ces amalgames en commençant par ceux destinés aux personnes vulnérables comme les enfants en bas âge.
Les affaires concernant les amalgames existent.
Il y a eu par exemple des plaintes collectives en 1997.
En deux ans, une soixantaine de personnes qui s’estiment victimes des amalgames dentaires au mercure, ont déposé plainte contre X pour empoisonnement. Un médecin épidémiologiste à Montpellier, avait même soutenu à l’époque d’un tiers des porteurs de plombages aurait, dans la salive, un taux de mercure plus de 50 fois supérieur à ce qui est toléré dans l’eau potable.
En 1999, un rapport officiel a été déposé sur le bureau de l’assemblée nationale.
Il y était indiqué que « de réelles mesures de précaution vont donc être mises en place ».
Et par ailleurs : « le problème posé par les amalgames dentaires est donc un problème sanitaire important mais ce n’est pas une commission d’enquête qui pourra le résoudre…"
Enfin, "L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a été chargée de mettre au point une norme de dosage du mercure afin de réduire le phénomène de relargage de celui-ci. Des niveaux de sécurité au risque mercuriel des amalgames peuvent être définies par un test électrochimique. L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé organise des essais inter-laboratoires pour élaborer ce test qui déterminera le niveau de sécurité des amalgames vis-à-vis du relargage du mercure. Les résultats de ces essais permettront d’identifier les dispositifs dangereux qui pourront être interdits en application de l’article L. 793-5 du code de la santé publique".
En 2001, un nouveau rapport d’information a été déposé auprès du Sénat sur les effets des métaux lourds sur la santé humaine lequel identifie des groupes à risque comme les femmes enceinte, les jeunes enfants, les adultes affaiblis etc.
Il conclut "Il existe donc une série d'indices qui doivent être pris en compte et qui sont de nature à justifier des précautions et des mesures d'hygiène élémentaire. Elles sont parfaitement connues et le Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France les a récapitulées dans son avis du 12 mai 1998."
Néanmoins, il a fallu attendre l’année 2017, pour que l’Union européenne adopte une interdiction des amalgames pour les enfants de moins de 15 ans ainsi que pour les femmes enceintes et allaitantes à partir de juillet 2018.
Rappelons que la convention de l’ONU pour limiter l’usage du mercure, dite convention MINAMATA impose de réduire (entre autres) cet usage dentaire ou son remboursement. Elle a été ouverte à la signature des Etats courant 2013.
On peut donc espérer que les Etats prennent enfin au sérieux ce risque de santé publique doublé d’un risque environnemental.
Le caractère dangereux du mercure est portant reconnu de longue date.
En témoigne la circulaire de 1999 (Circ. n° 99-426 du 20 juill. 1999. BOMES 99/31, 21 août 1999, p. 109) qui interdisait l’utilisation des thermomètres médicaux à mercure dans les établissements de santé et indiquait la procédure d'élimination de ces thermomètres et de la récupération du mercure. Elle doit être communiquée pour information au comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail de chacun de ces établissements.
Ou l’arrêté du 30 mars 1998 qui avait indiqué les procédures d'élimination des déchets d'amalgame issus des cabinets dentaires.
III - PRODUITS POLLUANTS QUI NE SONT PAS DESTINÉS A ETRE INGÉRÉS
Il ne s’agit plus ici de produits destinés à l’alimentation humaine mais de polluants externes qui peuvent avoir des effets sur la santé humaine.
La dissémination des OGM donne une illustration concrète des interdits existants en la matière et de la manière par le droit d’appréhender la difficulté.
Ainsi, en cas de violation de l’arrêté interdisant une activité potentiellement dangereuse constitue une infraction comme par exemple l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM ; art. L. 536-3 c. envir.) : l’exploitation d'une installation utilisant des OGM à des fins de recherche, de développement, d'enseignement ou de production industrielle sans l'agrément requis, ou en violation des prescriptions techniques auxquelles cet agrément est subordonné, est punie d'un an d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende. Il en ira de même s’il y a dissémination volontaire et la mise sur le marché (art. L. 536-4 c. envir.).
La logique du texte n’est pas de punir directement un éventuel « empoisonnement » par contamination des OGM mais de prévenir un risque encore mal appréhendé par la science et donc la violation délibérée d’un interdit clairement établi par la loi (la nécessité d’obtenir cet agrément).
Ainsi le principe de précaution ne constitue pas encore la source directe d’une responsabilité pénale. Seule la violation d’un règlement peut justifier la punition. Sauf à considérer que la mise en danger de la vie d’autrui constitue une sanction de ce principe, mais là encore il faudra démontrer comme le rappelle l’article 223-1 du code pénal " la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ».
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement.