L'effondrement de terres privées sur une voirie publique : responsabilités, obligations et contentieux


L’effondrement partiel de terres d’un fonds privé sur une voirie publique soulève des questions juridiques complexes, impliquant potentiellement plusieurs acteurs, notamment le propriétaire privé, la commune, voire le département ou la région si la voirie concernée relève de leur compétence. Ces situations engendrent des débats sur la répartition des responsabilités, les obligations légales, la prise en charge des frais, et les conséquences pour les parties concernées, qu’il s’agisse de riverains ou de collectivités publiques.

1. Problématique générale

Lorsqu’un glissement de terrain ou un effondrement de terres privées impacte une voie publique, plusieurs enjeux juridiques émergent :

  • La sécurité publique : La voirie doit être sécurisée rapidement pour garantir la circulation et éviter des risques supplémentaires.
  • La répartition des responsabilités : Qui est tenu de prendre en charge les travaux de déblaiement et de consolidation ? Le propriétaire privé ? La collectivité gestionnaire de la voirie ?
  • Les obligations préventives : La responsabilité peut-elle être engagée si l’une des parties a manqué à ses obligations d’entretien ou de prévention des risques ?
  • Le partage des frais : Comment répartir les coûts des travaux entre les parties ?

Ces questions sont d’autant plus complexes lorsqu’il n’existe pas de rapport d’expertise établissant clairement les causes du sinistre.

2. Les responsabilités éventuelles

a) Le propriétaire privé

Le propriétaire d’un fonds privé a une obligation d’entretien de son terrain. Selon l'article 1242 du Code civil, il est responsable des dommages causés par les choses qu’il a sous sa garde, y compris son terrain. Sa responsabilité peut être engagée si :

  • L’effondrement est dû à un défaut d’entretien du terrain (érosion non traitée, instabilité connue, absence de travaux de consolidation nécessaires) ;
  • Il n’a pas pris de mesures pour prévenir des risques qu’il connaissait ou aurait dû connaître (par exemple, après avoir été alerté par des signes d’instabilité).

Cependant, cette responsabilité peut être atténuée, voire exclue, si le sinistre résulte d’un cas de force majeure, comme des pluies exceptionnelles ou un événement imprévisible et irrésistible.

b) La commune

La commune est responsable de l’entretien des voies communales (article L.141-8 du Code de la voirie routière). Sa responsabilité peut être engagée si :

  • Elle a négligé ses obligations d’entretien ou de sécurisation des ouvrages publics (tels que des talus, des arches ou des soutènements) ;
  • Elle a tardé à intervenir pour déblayer la route ou sécuriser les lieux après avoir été informée du risque.

Toutefois, la commune n’est pas responsable des terrains privés adjacents, sauf si ces derniers font partie d’un ouvrage public ou si une faute est démontrée dans la gestion des risques.

c) Le département ou la région

Si la voie est une route départementale ou régionale, la responsabilité incombe au gestionnaire de la voirie concernée, selon les mêmes principes que pour la commune. Une expertise est souvent nécessaire pour déterminer si l’effondrement a affecté uniquement le domaine privé ou a également impliqué des ouvrages publics relevant de ces collectivités.

3. Conséquences pour les riverains et la collectivité

Pour les riverains :

  • Ils peuvent être tenus responsables des frais de déblaiement et de consolidation si leur responsabilité est engagée.
  • Ils risquent une restriction d’accès à leur propriété si la voie publique est fermée.
  • Leurs biens peuvent subir des dommages supplémentaires si les travaux ne sont pas réalisés rapidement.

Pour la collectivité :

  • Elle doit garantir la sécurité et la réouverture de la voie publique, ce qui implique souvent des frais d’intervention immédiats.
  • Elle peut engager des actions récursoires contre les propriétaires privés responsables.
  • Si elle est jugée responsable, elle peut être tenue de prendre en charge des frais importants, impactant ses finances publiques.

4. Obligations de chacun

Propriétaire privé :

  • Entretenir son terrain pour prévenir les risques.
  • Informer la commune de tout signe d’instabilité.
  • Réaliser les travaux nécessaires pour sécuriser son terrain, si une instabilité est constatée.

Commune :

  • Entretenir les voiries et ouvrages publics.
  • Mettre en œuvre les mesures nécessaires pour sécuriser les lieux après un sinistre.
  • Prévenir les risques en surveillant les terrains susceptibles de poser problème, notamment par des études de risques.

5. Moyens de limiter les risques

  • Études préventives : Les collectivités peuvent mener des études géotechniques pour identifier les zones à risque.
  • Entretien régulier : Les propriétaires et les communes doivent assurer un entretien adéquat des terrains et des ouvrages.
  • Assurance : Les propriétaires doivent s’assurer contre les risques liés à leur terrain. Les collectivités peuvent souscrire des assurances couvrant les sinistres affectant les voiries publiques.
  • Reconnaissance de catastrophe naturelle : En cas de pluies exceptionnelles, une demande de reconnaissance peut permettre une prise en charge des frais par les assurances.

6. Prise en charge des frais

  • Déblaiement de la voirie : En principe, la collectivité avance les frais pour garantir la sécurité publique, mais elle peut demander un remboursement aux propriétaires responsables.
  • Travaux de consolidation : La répartition des coûts dépend des conclusions des expertises. Si la responsabilité est partagée, les frais peuvent être répartis proportionnellement.

7. Le contentieux

Compétence juridictionnelle :

  • Si le litige concerne la responsabilité de la commune pour un ouvrage public ou la gestion de la voirie, le juge administratif est compétent.
  • Si le litige concerne un différend entre propriétaires privés (la Commune pouvant être un propriétaire privé, cf son domaine privé), le juge judiciaire est compétent (notamment pour les questions de bornage).
  • En cas de chevauchement (propriété privée et voie publique), la compétence peut être partagée, nécessitant une coordination entre juridictions.

Expertise judiciaire :

Une expertise judiciaire est souvent indispensable pour :

  • Déterminer les causes du sinistre ;
  • Évaluer les responsabilités ;
  • Estimer les coûts des travaux nécessaires.

Conclusion

L’effondrement partiel de terres privées sur une voirie publique illustre la complexité des relations entre propriétaires privés et collectivités publiques. Ces situations nécessitent une analyse approfondie des responsabilités et une coordination efficace pour limiter les risques. Si une solution amiable est souvent préférable, l’absence de bases juridiques claires, comme un bornage entre deux fonds privés ou un rapport d’expertise, rend parfois le contentieux inévitable. Une approche préventive et un encadrement juridique rigoureux sont essentiels pour éviter de tels litiges.


Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste, Docteur en droit,

Ancien chargé de cours à l’UNSA.

© Cabinet de Me Gimalac Avocat - Paris, Lyon, Cannes, Grasse - IDF et French Riviera  - 2024