Quel juge est évoqué dans l’article 1252 du code civil ?

Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement. 



La loi du 8 août 2016 a introduit dans le code civil un dispositif novateur de prévention environnementale. L'article 1252 confie au juge le pouvoir de prescrire "les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage", sans autre précision sur la nature de la procédure ni sur la juridiction compétente.

Cet apparent silence soulève de vives questions pour le praticien : quelle procédure adopter ? Le texte vise-t-il spécifiquement le juge des référés ? Doit-on au contraire y voir un fondement de fond pouvant s’articuler avec une procédure accélérée au jour fixe ?

L’enjeu est de taille, car dans les contentieux environnementaux, les parties défenderesses opposent fréquemment des contestations sérieuses, rendant risquée l’option du référé d’urgence.

Nous verrons que l’article 1252 du code civil constitue un fondement matériel autonome, théoriquement mobilisable aussi bien devant le juge du fond que devant le juge des référés, à condition de choisir avec précaution la voie procédurale la plus adaptée au contexte du litige.

I. L’article 1252 du code civil : un fondement matériel polyvalent, dénué de précision procédurale

1. Une désignation volontairement générale du juge

Le texte ne précise pas de juge particulier : il se contente de mentionner "le juge", laissant ainsi ouvertes plusieurs hypothèses procédurales, qui vont du juge du fond au juge des référés.

Cette imprécision est voulue. Elle reflète la volonté du législateur d’instaurer un outil de prévention souple, pouvant s’adapter à la diversité des situations, qu'il s'agisse d'un risque immédiat ou d'une menace progressive pour l'environnement.

2. Une absence d'exigence d’urgence procédurale

Contrairement aux mécanismes de référé classiques (articles 834 et 835 CPC), l'article 1252 du code civil ne subordonne pas l'intervention du juge à la démonstration d'une urgence procédurale. La seule exigence posée est la réalité d'une menace de dommage environnemental.

Ce point est fondamental, car il permet de mobiliser l’article 1252 en dehors de l’urgence, et même lorsque le dommage anticipé est sérieux mais pas imminent.

II. L’articulation avec le référé civil : subtilité et vigilance nécessaires

1. Le référé de droit commun : entre 834 et 835 CPC

Le référé devant le président du tribunal judiciaire comprend deux régimes distincts :

  • Article 834 CPC : lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut ordonner des mesures provisoires ou conservatoires.
  • Article 835 CPC : en cas d’urgence, ou pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, le juge des référés peut intervenir, y compris si un différend existe.

Dans les contentieux environnementaux, le fondement de l’article 835 est plus fréquemment mobilisé que celui de l’article 834, précisément parce qu’il admet la survenance d’une contestation sérieuse, à condition que le trouble manifeste ou l’urgence soit établi.

 Mise en garde pratique : les dossiers environnementaux comportent presque toujours des contestations sérieuses (lien de causalité, expertise contradictoire, discussions techniques).
Cela fragilise l'opportunité du référé 834, qui suppose l'absence de contestation sérieuse.

Pour éviter l'écueil d'une irrecevabilité, mieux vaut se tourner vers le référé 835 ou — plus prudemment encore — vers la procédure au fond.

2.  Le risque des contestations sérieuses : préférer l’assignation à jour fixe

La procédure au fond à jour fixe (articles 840 et s. CPC) s’impose dans les hypothèses où :

  • L’affaire est complexe,
  • Le défendeur soulève des contestations sérieuses,
  • L’urgence procédurale n’est pas manifeste mais un débat rapide est souhaitable.

Le juge du fond dispose de toute latitude pour apprécier les éléments du dossier, même en présence de contestations sérieuses.

3. Renforcer le dossier grâce au référé probatoire (article 145 CPC)

Avant d'engager une procédure au fond ou même un référé, il est souvent judicieux d’agir préventivement par le biais du référé probatoire :

  • Désignation d’un expert pour qualifier la menace environnementale,
  • Constat sur place,
  • Préservation de la preuve scientifique du dommage.

Cette démarche permet de bâtir un dossier solide pour l'action principale.


Conclusion

L’article 1252 du code civil enrichit l’office du juge civil en matière de prévention environnementale, sans imposer un cadre procédural rigide. Il offre un fondement matériel précieux, mais sa réussite dépend étroitement de la stratégie procédurale choisie.

Face à la technicité des litiges environnementaux et à la fréquence des contestations sérieuses, le praticien se gardera d’un recours trop rapide au référé d’urgence, sauf situation manifeste de trouble illicite ou de dommage imminent.

La procédure au fond à jour fixe, appuyée si nécessaire d’un référé probatoire, s’impose souvent comme la voie la plus sécurisée pour obtenir les mesures préventives attendues.

Ainsi, loin d’être un outil isolé, l’article 1252 s’intègre dans une stratégie procédurale globale, conçue pour garantir la protection effective de l’environnement dans le respect du contradictoire et de la sécurité juridique des parties.


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