Quelques contraintes du statut des SCCV (sociétés de construction vente)


Par Laurent GIMALAC, Docteur en droit, Lauréat et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



Les sociétés civiles de construction vente (SCCV) sont utilisées dans le cadre de projets immobiliers, par exemple pour construire un immeuble sur un plusieurs terrains viabilisés.


On connait notamment leur particularité fiscale qui est la transparence (qui exclut le régime de l’impôt sur les sociétés au bénéfice de l’impôt sur le revenu des associés personnes physiques, directement imposables).


Mais on connait moins certaines particularités liées à la constitution et au fonctionnement de la SCCVM. Voici quelques pistes de lecture pour celui qui n’a pas encore fait son choix et hésite encore.


1° Construire pour vendre, un impératif (et donc ne pas louer)


Le statut fiscal particulier des SCCV suppose le strict respect des pré-requis comme par exemple la réalisation d’une construction pour la vente. Il ne s’agit pas en effet de devenir un marchand de biens sous peine de voir déchoir du régime de la transparence fiscale.

Seules des circonstances très particulières (comme par exemple le décès de deux des trois promoteurs) peut justifier le maintien de la transparence et la non-application de l’impôt sur les sociétés (C. adm. Lyon, 3e ch., 28 nov. 1991, n° 89-2010, SCI Les Mélèzes, Dr. fisc. 1992.26.1225).


De même la SCCV qui avait, dans l’attente de la vente de places de stationnement en sous-sol d’un immeuble qu’elle venait de construire, procédé pour partie à la location de boxes au mois et pour partie à l’exploitation d’un parc de stationnement souterrain ouvert au public tombe ainsi dans le champ de l’impôt sur les sociétés. Et les déficits de construction ne peuvent pas être reportés dans le revenu global des associés-personnes physiques (CAA Paris, 3e ch., 2 févr. 1995, 93696, Mme Andrivon, Dr. fisc. 1995.28.1489).


Il existe néanmoins des tolérances pour des activités purement civiles.

- la déchéance fiscale de l'article 239 ter du CGI ne saurait résulter d'une unique opération commerciale étrangère à l'objet social, fût-elle spéculative (CE, 23 juin 1993, n° 69587, SCI « Le Prieuré », au Lebon. 731 ; AJDI 1994. 372 ; ibid. 373, obs. F. R. ; RJF 8-9/1993, n° 1133) ;


- la déchéance fiscale ne saurait résulter de la réalisation d’opérations commerciales étrangères à l’objet social et rendues nécessaires par des circonstances indépendantes de sa volonté comme par exemple pour des cessions de terrains en l'état faites à des personnes publiques, sans qu'il soit nécessaire qu'une procédure d'expropriation ait été engagée (CAA Lyon, 10 nov. 2004, n° 97-2327, SCI Les Fleuries, RJF 4/2005, n° 304 ; DF 2005, n° 8, Comm. 230, obs. Gimenez) ;


- la doctrine de l'administration a admis  la cession des équipements qui constituent le complément nécessaire des locaux d'habitation (Instr. 20 janv. 1975, 8B-1-75, 8H-1-75 et 4H-2-75, DF 1975 n° 5, Comm. 133 ; Instr. 12 déc. 1988, 8E-1-88 n° 11, DF 1989 n° 4, 2e partie 9613/4 et n° 15, 2e partie 9713) ;


- selon une évolution jurisprudentielle la déchéance du régime de l’article 239 ter du CGI n'est pas encourue lorsque les associés d'une société civile de construction-vente se sont livrés indirectement à des opérations de construction en vue de la vente du fait qu'ils détiennent des participations dans le capital d'autres sociétés civiles de construction-vente (CE 23 juin 1993, n° 69587, SCI Le Prieuré).


2° Un engagement illimité de payer les dettes mais en principe sans solidarité 


Il s’agit d’un engagement illimité au paiement du passif contrairement aux sociétés de capitaux.

La cour de cassation a même précisé que l’associé d’une société de construction-vente d’immeubles est tenu, dans les conditions de l’article 2 de la loi du 16 juillet 1971, devenu l’article L. 211-2 du Code de la Construction et de l’Habitation, du passif né de l’inexécution des engagements pris par la société à l’époque où il était encore associé (Cassation 14 nov. 1991).

Toutefois l’obligation de régler le passif n’est pas solidaire.

L’acquéreur d’un immeuble à construire d’une société civile de construction vente ne pourra donc poursuivre les associés que s’il possède un titre préalable de condamnation à l’encontre de cette société (Cassation civ. 11 mai 2011).

Mais quid en cas de redressement judiciaire de la SCCV ?

Un arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 janvier 1991 (Bull. Joly 1991. 423) reprend un arrêt de principe de la 3e chambre civile de la Cour de cassation en date du 28 juin 1977, selon lequel lorsqu’une société civile de construction-vente fait l'objet d'une procédure collective, l'action en paiement peut être directement exercée par un créancier social à l'encontre de l'un des associés, sans que la mise en demeure préalable de la société soit nécessaire.


3° La SCCV ne peut être utilisée comme moyen indirect de favoriser un membre de sa famille sans payer les taxes


Il peut être tentant lorsque la SCCV est constituée en famille de favoriser l’un des membres (par exemple sa fille ou son fils associé) en lui vendant à petit prix une parti du bâti. 

L’astuce a été déjouée par l’administration fiscale. 

Si une société de construction vend à l’un de ses associés des locaux pour un prix représentant environ la moitié de leur valeur vénale réelle, l’insuffisance du prix constitue un acte anormal de gestion. Il s'agit, en effet, d'une libéralité et elle doit être réintégrée dans les B.I.C. entraînant un complément d'impôt.

La jurisprudence n’est cependant pas très claire sur celui qui aura la charge de payer ce supplément d’impôt, et dans quelle proportion.

Dans une première affaire, le Conseil d’Etat (28 juill. 1989) a jugé que la libéralité avait intégralement bénéficié à l'associé acquéreur et qu'il devrait donc seul supporter le supplément de B.I.C. en résultant. Mais dans une seconde affaire (req. n° 66885), le Conseil d’Etat  a jugé que la libéralité n'avait profité à l'associé acquéreur qu'en proportion des bénéfices qui lui étaient attribués par le pacte social (25 %) alors qu'il détenait 99,93 % des parts sociales.


4° La SCCV peut bénéficier de l’exonération de l’habitation principale si elle est occupée par les associés


La plus-value sur la vente par une société civile immobilière de l’immeuble utilisé comme résidence principale par les associés n’est pas imposable. Mais l’administration le refuse (Rép. min. Budget n° 5783 : J.O. déb. Sénat 11 janv. 1990, p. 70 ; Dr. fisc. 1990.14.683.)


5° L’obligation pour les associés de répondre aux appels de fonds


L'obligation pour les associés de répondre aux appels de fonds nécessaires à l'accomplissement de l'objet social est d'ordre public pour ces sociétés (CCH, art. L. 211-3). Les appels de fonds doivent, soit correspondre à l’exécution des contrats de vente en l'état futur d'achèvement déjà conclus, soit avoir pour but de terminer le programme déjà commencé non susceptible de division


6° Un devoir de distribuer la marge  commerciale effectuée par la société de construction sur les ventes des immeubles intervenues au cours de l’exercice fiscal ?


Quid si le prix de vente de l’immeuble construit n’avait pas été distribué aux associés mais mis en réserve par décision d’assemblées générales ultérieures, ce qui permet à l’associé majoritaire d’obtenir des avances en compte courant ?

La Cour de cassation annule les résolutions votées par les assemblées générales de la société sur le fondement de la théorie jurisprudentielle de l’abus de majorité ; elle relève en effet que se trouvaient réunis en l’espèce les trois éléments caractéristiques de l’abus de droit  à savoir une « décision prise par une assemblée générale contrairement à l’intérêt social, dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité, au détriment des membres de la minorité » (Cassation 8 juill. 2015).

On pourrait donc en déduire que l’associé minoritaire peut invoquer également la théorie de l’abus de majorité pour demander l’annulation de la résolution d’une assemblée générale s'opposant à une distribution provisionnelle da la marge commerciale effectuée par la société de construction sur les ventes des immeubles intervenues au cours de l'exercice fiscal.


7° Une dissolution qui s’impose dès lors de la SCCV a réalisé son objet ou si elle ne peut le réaliser.


La dissolution s’imposera dans deux cas :


- réalisation de l’objet 


Sur le fondement de l'article 1844-7 (2°) du code civil, la dissolution de la société s'impose dès lors qu'il n'est pas contesté que son objet est constitué par la construction d'un immeuble d'habitation en vue de sa division, que cette construction, fait admis par toutes les parties, est achevée, ouvrant la voie à la répartition des lots.


- juste motif 


La dissolution s’impose encore sur le fondement de l’article 1844-7 (5°) du code civil, qui autorise le prononcé de la dissolution pour justes motifs, dès lors que tout délai raisonnablement envisageable pour le dénouement de l'opération de construction est dépassé depuis des dizaines d'années.

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