Par Me Laurent Gimalac, Avocat spécialiste et docteur en droit privé.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 janvier 2020 (n° 19/03285) constitue une décision riche en enseignements dans le cadre des litiges liés aux infiltrations provenant d’une toiture-terrasse en copropriété. Il traite notamment de la responsabilité conjointe des syndics successifs et du Syndicat des Copropriétaires (SDC) pour des désordres causés par un défaut d’entretien des parties communes.
Cet article analyse les apports de cet arrêt en matière de gestion des responsabilités, les reproches faits aux syndics, et l’intérêt stratégique pour un SDC d’appeler les anciens syndics en garantie.
1. Les faits de l’affaire
Dans cette affaire, des infiltrations provenant d’une toiture-terrasse ont causé des dommages importants dans les lots sous-jacents. La toiture-terrasse était une partie commune à jouissance privative. Les copropriétaires victimes des infiltrations ont assigné le Syndicat des Copropriétaires pour obtenir réparation de leurs préjudices.
Le rapport d’expertise judiciaire a mis en évidence :
- Un défaut d’entretien prolongé de la toiture-terrasse, affectant son étanchéité.
- Des négligences successives des syndics, qui n’ont pas proposé les travaux nécessaires à l’ordre du jour des assemblées générales.
- Une inertie du SDC à agir malgré les alertes des copropriétaires.
2. La responsabilité conjointe du SDC et des syndics successifs
2.1. Responsabilité du SDC
Le Syndicat des Copropriétaires, en tant que gestionnaire des parties communes, est tenu d’assurer leur entretien et leur réparation, conformément à l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965. Dans cette affaire, le SDC a été jugé fautif pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour prévenir ou remédier aux infiltrations.
Le SDC est tenu de garantir les dommages subis par les copropriétaires victimes des désordres, même si des fautes des syndics ou des copropriétaires sont constatées. Cependant, le SDC a obtenu une garantie partielle en mettant en cause les syndics successifs.
2.2. Responsabilité des syndics
Les syndics successifs ont été jugés responsables pour plusieurs manquements, notamment :
- Absence d’inscription des travaux à l’ordre du jour : Les syndics n’ont pas proposé de travaux de réfection de l’étanchéité de la toiture-terrasse, bien que l’état de dégradation ait été constaté depuis plusieurs années.
- Manque de suivi des alertes : Les syndics n’ont pas réagi aux signalements des infiltrations par les copropriétaires, aggravant les désordres.
- Défaut de diligence dans la gestion courante : Les syndics ont omis d’engager des démarches conservatoires pour limiter l’étendue des dommages.
Ces carences ont conduit la Cour à retenir une responsabilité proportionnelle des syndics successifs, en fonction de leur période de gestion.
3. Répartition des responsabilités et indemnisation
La Cour d’appel a réparti les responsabilités comme suit :
- Syndicat des Copropriétaires (SDC) : Responsable principal vis-à-vis des copropriétaires lésés pour le préjudice global, car il est garant de l’entretien des parties communes.
- Syndics successifs : Responsables en garantie envers le SDC pour les périodes pendant lesquelles ils étaient en fonction et n’ont pas rempli leurs obligations. Leur responsabilité a été évaluée en proportion de la durée et de la gravité de leurs manquements.
Par exemple, un syndic ayant exercé pendant cinq ans sans inscrire les travaux nécessaires à l’ordre du jour a été condamné à indemniser le SDC pour une part correspondant à sa période de gestion.
4. Intérêt stratégique pour le SDC d’appeler en garantie les syndics successifs
Cet arrêt met en lumière l’importance pour le SDC d’appeler en garantie les syndics précédents, pour plusieurs raisons :
4.1. Répartition financière des réparations
En assignant les syndics successifs, le SDC peut réduire sa charge financière en répartissant les coûts des dommages sur les différents acteurs responsables. Cela permet de :
- Faire supporter une partie des réparations aux syndics fautifs.
- Diminuer le poids financier des condamnations sur la copropriété.
4.2. Prévention des recours des copropriétaires
Les copropriétaires victimes des désordres peuvent légitimement se tourner vers le SDC pour obtenir réparation. En appelant les syndics en garantie, le SDC montre qu’il agit de manière proactive pour rechercher les responsabilités en amont.
4.3. Renforcement de la défense du SDC
L’appel en garantie des syndics successifs permet au SDC de démontrer que certaines fautes ne lui sont pas directement imputables, mais qu’elles résultent de la gestion passée des syndics. Cela peut jouer en faveur du SDC pour limiter les condamnations.
5. Conséquences procédurales pour le SDC dans des affaires similaires
Dans des situations analogues, le SDC devrait envisager les démarches suivantes :
- Identification des syndics successifs :
- Analyser les archives de la copropriété pour déterminer les périodes de gestion de chaque syndic.
- Rechercher les décisions d’assemblée générale ou les correspondances mettant en évidence leur éventuelle carence.
- Appel en garantie des syndics :
- Assigner les syndics successifs en intervention forcée devant le tribunal.
- Produire des preuves de leurs manquements (absence de travaux, inertie, défaut de suivi).
- Consultation des assurances :
- Mobiliser l’assurance responsabilité civile professionnelle des syndics pour couvrir les fautes de gestion.
- Engagement de travaux rapides :
- Prendre des mesures conservatoires pour remédier aux désordres, afin de montrer la bonne foi du SDC et limiter les astreintes éventuelles.
Conclusion
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 janvier 2020 est un cas emblématique de la gestion des litiges liés aux infiltrations dans une copropriété. Il rappelle que, bien que le SDC soit garant des parties communes, les syndics successifs peuvent être tenus responsables de leurs manquements et appelés en garantie.
Pour les SDC confrontés à de tels litiges, cet arrêt souligne l’intérêt stratégique d’appeler les syndics fautifs en cause, afin de répartir équitablement les responsabilités et d’alléger la charge financière pesant sur la copropriété. Une action rapide et coordonnée est essentielle pour protéger les intérêts du SDC et des copropriétaires lésés.