Par Me Laurent Gimalac, Avocat, Ancien Professeur à l’ISEM (ESMOD Paris) et à SUP DE LUXE (Groupe EDC, Paris).
Employée comme mannequin, sans écrit, un mannequin se plaint au bout de plusieurs années de ne plus être sollicitée depuis trois mois pour les présentations, les prestations qu'elle effectuait habituellement étant confiées à de nouvelles jeunes femmes. Elle se considère comme étant l’objet d’un licenciement déguisé, sans respect de la procédure, et réclame réparation… et saisit le conseil de prud’hommes.
L’accumulation de CDD rend-elle possible la requalification du contrat en CDI ?
A cette question, la jurisprudence a répondu en plusieurs temps.
1° l’arrêt de la cour d’appel de Paris de 1989
La Cour d'appel de Paris, en confirmant selon arrêt du 1er févr. 1990 le jugement du 15 févr. 1989 du conseil de prud'hommes, la déboute de l'ensemble de ses demandes.
Elle estime que le mannequin était liée à son employeur par une succession de contrats de travail à durée déterminée, quand bien même l’écrit ait toujours fait défaut pour matérialiser l’accord des parties : d’une part, elle travaillait par intermittence, sans condition d’exclusivité en étant au service d’autres employeurs, pour des tâches épisodiques et très brèves, selon ses disponibilités, ce qui excluait tout lien de subordination entre les périodes d’activité ; d'autre part, selon la cour, la profession de mannequin revêt un caractère saisonnier, qui permet de l'assimiler à l'une des professions - comme celles du spectacle - relevant, aux termes de l'art. D. 121-2 c. trav., des secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois où il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
Ce qui impliquait donc que même sans contrat écrit (ce qui est illégal), et au bout de quelques années, le contrat à durée déterminée demeure la règle ! Le mannequin est moins bien protégé que les autres secteurs professionnels.
2° l’arrêt de la cour de cassation de 1994
Le mannequin n’avait cependant donné son dernier mot… et saisit la cour de cassation.
Laquelle statue sur la violation de l’art. L. 122-3, alors applicable et de l'art. D. 121-1 c. trav., par l’arrêt qui, pour décider que les contrats liant un mannequin à une société étaient des contrats à durée déterminée et débouter, en conséquence, la salariée de ses demandes en paiement d’indemnités de rupture et dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, énonce que la profession de mannequin qu’exerçait l’intéressée avait un caractère « saisonnier".
Pour reprendre ses termes exacts :
« Attendu que, pour débouter la salariée de sa demande en rappel de congés payés, la cour d’appel a énoncé qu'il devait être déduit du caractère intermittent du travail et de la brièveté de chacune des prestations que les parties étaient convenues de fixer un salaire forfaitaire incluant les indemnités de congés payés et que l'application de ce système pendant plusieurs années consacrait l'accord implicite des parties, en l'absence de toute convention expresse ; qu'en statuant ainsi, alors que la convention de forfait ne se présume pas et que ni le caractère intermittent de l'activité exercée, ni l'absence de protestation de la salariée ne permettaient de caractériser une telle convention, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
Ainsi la cour de cassation rappelle que l’employeur avait recours au mannequin tout au long de l’année et que l’activité de mannequin, qui consiste à présenter au public des articles de mode, ne peut se rattacher à aucun des secteurs visés à l'art. D. 121-2 c. travail saisonnier.