Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement.
L’implantation d’une antenne relais dans un charmant village s’il elle ne présente pas un problème sanitaire immédiat, peut être ressentie en revanche comme une atteinte directe à son patrimoine et à l’harmonie des lieux.
Cette dimension quelque peu subjective peut-elle être mise en exergue pour refuser cette implantation et pour légitime la décision de refus ?
Pour le savoir, il faut se reporter aux quelques connus déjà jugés par les tribunaux.
1° Il n’existe pas de droit à réparation dans un environnement urbain banal :
Ainsi, dans un litige qu’avait eu à connaître la Cour d’appel de Douai, celle-ci avait rappelé que même lorsque l’opérateur a obtenu toutes les autorisations requises, une action pour trouble anormal du voisinage pouvait encore être engagée contre le propriétaire du terrain qui a donné son accord à l’implantation.
Toutefois dans le cas d’espèce qui lui était soumis, la Cour a considéré que :
« le trouble de vue d’ordre purement esthétique causé par la présence de l’antenne relais ne peut être considéré comme excédant à lui-seul, en dehors d'autres éléments, les inconvénients normaux du voisinage, la cour rappelant que cette antenne est en outre située en zone urbaine dans le cadre du déploiement des relais de téléphonie sur l'ensemble du territoire national" (Cour d'appel de Douai, 3ème Chambre, Arrêt du 20 septembre 2018, Répertoire général nº 17/04839).
Il est vrai que l’analyse du dossier permettait de révéler un environnement qui n’avait rien d’exceptionnel :« la propriété de M. et Z… se situe en zone urbaine, dans une rue passante, bordée de maisons à usage d'habitation et que la parcelle voisine, située à l'arrière, accueille un hangar utilisé par la société Wauthier, spécialisée dans les travaux d'assainissement".
2° Mais une réparation du préjudice esthétique reste possible en raison l’omniprésence de l’antenne et de son impact particulier :
Dans une autre décision de 2014, la cour d’appel avait rappelé que les plaignants ne poivrante obtenir de réparation au titre du risque sanitaire, mais qu’en revanche la voie était ouverte à une demande de réparation du préjudice lié à un trouble visuel et esthétique :
« Dit et juge que le tribunal de grande instance est compétent pour statuer sur les demandes indemnitaires qui ne sont pas fondées sur l’exposition alléguée à un risque sanitaire , comme le trouble de nature visuelle et esthétique et la perte de valeur patrimoniale pouvant en résulte »
(Cour d’appel d'Aix-en-provence, 4ème Chambre A, Arrêt du 27 février 2014, Répertoire général nº 11/13842).
Encore plus clairement, la Cour d’appel de Montpellier juge en 2017 que « la décision de première instance sera infirmée en ce qu’elle n’a pas retenu l’existence d’un préjudice esthétique au titre du trouble anormal de voisinage." (Cour d’appel de Montpellier, 1ère Chambre C, Arrêt du 30 mai 2017, Répertoire général nº 15/00864).
La cour d’appel de Montpellier motive cette décision de la manière suivante :
"Si le juge de première instance a pertinemment relevé au vu des pièces produites, à savoir constats d'huissier et photographies, que l'environnement de X… ne constituait pas un site remarquable sur le plan esthétique, la cour observe toutefois qu'il ressort du constat d'huissier en date du 27 mars et 4 mai 2015 que l'environnement immédiat de la maison de X… est constitué de maisons d'habitation ou hangars agricoles de faible hauteur, et que surtout s'il existe une ligne haute tension implantée depuis plusieurs années dans le secteur concerné celle-ci ne se situe pas à proximité immédiate de la maison de X….
Il ressort de l’étude des photographies figurant au constat d'huissier du 30 octobre 2012 que depuis la terrasse de X… il y a une vue immédiate et directe sur l'antenne relais, de même que depuis l'intérieur de la maison, ainsi même si la construction de cette antenne n'occasionne qu'une perte esthétique limitée, cela modifie indiscutablement les conditions de jouissance de l'immeuble".
Il est intéressant de noter que le secteur n’était pas remarquable mais que la présence de l’antenne relais était tellement préjudiciable au quotidien qu’on ne pouvait pas en faire abstraction. Elle a donc fort logiquement condamné l’opérateur à payer une indemnité de 10.000 euros.
3° Le juge pourrait même ordonner des mesures atténuant le préjudice esthétique
Le juge judiciaire peut en cas de préjudice esthétique, peut ordonner la mise en place d’une couverture paysagère pour une meilleure intégration de l’antenne-relais dans son environnement (Voir Cass. civ. 2, 29 nov. 1995, nº 93-18.036 ; Cass. civ. 2, 24 fév. 2005, nº 04-10.362).
4° Et quid de la perte d’harmonie du village dans tout cela ?
Les habitants d'un village qui souffrent de l’implantation d’une antenne relais pourraient tirer profit d’une ancienne jurisprudence civile qui a reconnu que la responsabilité du propriétaire auteur de la construction litigieuse peut aussi être engagée en cas de préjudice esthétique lié à des travaux incompatibles avec l’environnement d’un village ancien et dont l’aspect inesthétique entraîne une dépréciation des propriétés voisines (Cour d’appel de de Poitiers - ch. civile 03, 31 janvier 2007 / n° 04/03208, et Cour d’appel de Paris 8ème ch. A, 29 mai 2008, RJDA 2008, n° 10).
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement.