Par Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste et docteur en droit.
Il est interdit d’aggraver la servitude d’écoulement des eaux pluviales par des ouvrages ou par un fait de l’homme, sans indemniser le propriétaire du fonds servant de son préjudice. Mais il existe cependant des stations particulières qui justifient une atteinte à ce principe.
1° Le principe de la fixité de la servitude et ses limites
On a coutume de dire que c’est le principe de fixité qui s'applique aux servitudes d'eaux pluviales des fonds inférieurs qui sont assujettis envers le plus élevé à recevoir les eaux qui en découlent naturellement. Le principe en est fixé par l’article 640, alinéa 1er du Code civil.
Toutefois, l'article suivant du Code civil, l'article 641, prévoit une exception à ce principe de fixité. Si l'écoulement naturel des eaux pluviales s'aggrave de manière anormale et que cela cause un préjudice excessif au propriétaire du fonds inférieur, celui-ci a le droit de demander une indemnité au propriétaire du fonds supérieur. L'idée est de compenser les dommages causés par cette aggravation de la servitude naturelle.
2° Caractérisation de l’aggravation
Il est important de noter que l'aggravation doit être anormale, c'est-à-dire dépasser les limites normales de l'écoulement naturel des eaux pluviales. De plus, le propriétaire du fonds inférieur doit prouver le lien de causalité entre cette aggravation et les dommages subis.
L’aggravation peut résulter soit d'une modification du fonds dominant par des travaux par exemple, soit d'une modification du cours des eaux pluviales.
En général, elle résulte de travaux d’aménagement qui entraîne une imperméabilisation du sol. Par exemple un revêtement bétonné ou goudronné, ou encore la création d’un talus qui dirige les eaux vers le fonds servant. Les modifications volontaires du cours des eaux pluviales constitue également une aggravation.
3° La contrepartie prévue par le code civil en cas d’aggravation
En cas d'aggravation anormale de la servitude d'écoulement des eaux pluviales, le Code civil prévoit une contrepartie pour le propriétaire du fonds inférieur. Selon l'article 641 du Code civil, ce propriétaire a droit à une indemnité de la part du propriétaire du fonds supérieur, responsable de cette aggravation.
L'indemnité vise à compenser les préjudices subis par le propriétaire du fonds inférieur en raison de cette aggravation de la servitude. Cela peut inclure des dommages matériels tels que des inondations, des détériorations de terrains, des perturbations de la végétation, ou d'autres impacts négatifs sur la propriété.
Si le Code civil institue bien une indemnité, il n’exclut pas que la réparation puisse être effectuée en nature comme par exemple par l’intermédiaire de travaux de cessation du ruissellement aggravé ou des travaux de remise en état.
Bien que l'indemnité financière soit la forme de compensation la plus courante, il est théoriquement possible que d'autres formes de compensation puissent être envisagées, telles qu'une obligation de faire ou de réaliser certains travaux pour remédier à l'aggravation de la servitude.
Toutefois, le propriétaire du fonds servant ne pourra être contraint pour sa part à réaliser un ouvrage sur son propre fonds (Voir en c sens, la solution qui était retenu par la Cour d'appel de Chambéry le 24 février 2009 et confirmée par la Cour de cassation le 29 septembre 2010).
Les juges restent souverains pour apprécier l'existence ou pas d'une aggravation de la servitude. Et dans ce type de contentieux, les juges statuent généralement sur la base d'un rapport d'expertise judiciaire.
Si ce rapport indique que l’aggravation des écoulement visible résulte de phénomène d’érosion naturelle, il n'y aura pas de dédommagement dû au fonds servant. En revanche des ouvrages construit sur le fond dominant, la création d'un nouveau portail, une nouvelle canalisation pour les eaux pluviales avec une buse d'un diamètre insuffisant, pourront être constitutifs d'un trouble anormal du voisinage qui implique une réparation pour le fonds servant.
4° La réparation des dégâts par l’action en responsabilité civile
La responsabilité du propriétaire du fonds supérieur peut être engagée dans certaines circonstances en cas d'inondations du fonds inférieur. Voici quelques situations où la responsabilité peut être établie :
- Absence de travaux d'écoulement des eaux pluviales : Si le propriétaire du fonds supérieur n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer un drainage approprié des eaux pluviales, et que cela entraîne des inondations sur le fonds inférieur, sa responsabilité peut être engagée.
- Défaut d'entretien : Si le propriétaire du fonds supérieur néglige l'entretien régulier des systèmes de drainage existants, comme les canalisations ou les tranchées, et que cela conduit à des inondations sur le fonds inférieur, sa responsabilité peut être mise en cause.
- Modifications du terrain : Si le propriétaire du fonds supérieur effectue des travaux ou des aménagements qui modifient le cours naturel des eaux de pluie, provoquant ainsi des inondations sur le fonds inférieur, sa responsabilité peut être engagée. Cela peut inclure des actions telles que la construction d'une digue ou la modification d'un cours d'eau.
Il est important de noter que la responsabilité du propriétaire du fonds supérieur peut être établie en fonction des principes généraux de responsabilité civile, tels que la négligence ou le trouble anormal de voisinage.
La responsabilité civile du fait des choses que l'on a sous sa garde, également connue sous le nom de responsabilité du gardien, peut aussi s'appliquer en cas d'inondations causées par un objet ou une installation placée sous la garde d'une personne. Cela dépendra des circonstances spécifiques de l'affaire et de la relation entre le gardien et la chose qui a causé les inondations.
Selon l'article 1242 du Code civil français, le gardien d'une chose est responsable des dommages qu'elle peut causer, que la chose soit animée (par exemple, un animal) ou inanimée (par exemple, une canalisation ou un réservoir). Cette responsabilité peut être engagée si trois conditions sont remplies :
- Une chose : Il doit y avoir une chose (objet ou installation) qui est placée sous la garde du défendeur.
- Un dommage : Il doit y avoir un dommage causé par cette chose. Dans le cas des inondations, le dommage serait les dégâts causés par l'eau qui s'est échappée et a causé des perturbations ou des dommages sur le fonds inférieur.
- Un lien de causalité : Il doit exister un lien de causalité direct entre la chose et le dommage. Cela signifie que le défaut, le mauvais entretien ou toute autre action liée à la chose a directement conduit aux inondations et aux dommages résultants.
Ainsi, si une personne est considérée comme le gardien d'une canalisation ou d'un système de drainage qui a mal fonctionné, entraînant des inondations sur un fonds inférieur, sa responsabilité civile du fait des choses peut être engagée.
5° L’hypothèse d’une responsabilité mutuelle ou collective et méthode du juge :
Il n’est pas rare que la responsabilité de l’aggravation de la servitude incombe non pas à un seule propriétaire mais à plusieurs, y compris parfois le plaignant lui-même !
Ce sera par exemple le cas, du propriétaire situé sur le parcelle d’amont qui reproche au propriétaire de la parcelle située en aval d’avoir bouché les barbacanes de son mur de clôture, mais qui a contribué lui-même à l’imperméabilisation de son terrain par différents ouvrages, ou à la redirection des eaux pluviales vers son voisin.
La Cour de cassation a admis la possibilité d’une responsabilité collective (Civ. 3e, 31 oct. 2007) sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil : « Et attendu […] qu’ayant retenu que l’EARL avait fait d’importants apports de terres sur les terrains exploités […] et que les berges du fossé avaient été à nouveau détériorées par des travaux de l’EARL avec ouverture par M. Z de brèches favorisant l’écoulement des eaux et des boues des champs de la SCI vers le ruisseau et la propriété X, de sorte que les pluies violentes […] avaient rendu le chemin et les abords de la maison X difficilement praticables, la cour d'appel […] a retenu que les risques et dommages des consorts X » étaient liés « à des imprudences et négligences fautives des exploitants qui, en remaniant [le fonds], en avaient supprimé partiellement certains inconvénients mais au détriment de leurs voisins » ; […] « Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que les consorts X avaient inopportunément placé un pilier de portail sur leur fossé et canalisé ponctuellement les eaux par une buse d'un diamètre insuffisant et que la création d'un lotissement avait aggravé l'afflux des eaux », en sorte que « les désordres subis par les consorts X » n'étant pas « entièrement imputables à la SCI et à l'EARL, la cour d'appel a souverainement apprécié le montant dû par ceux-ci aux consorts X au titre des préjudices accessoires subis par ces derniers, compte tenu de la part qu'ils avaient prise dans la dégradation du chemin ».
6° Le cas particulier de la mise en cause d’une collectivité locale et de travaux publics
L’aggravation de la servitude peut également résulter de travaux publics. Comme par exemple la suppression d’un talus existant, ou la création d’une route, ou son élargissement. Les fonds situés en aval peut être inondés, ou sérieusement affectés par ces modifications intervenues en amont.
Si le juge d’instance est naturellement compétent pour régler les contentieux en rapport avec l’écoulement des eaux pluviales, il ne le sera pas le cas si les désordres résultent de travaux publics : dans ce cas c’est le juge administratif qui a reçu compétence pour traiter ces différends et éventuellement pour indemniser les victimes.
C’est ainsi que la cour de cassation l’a jugé dans un arrêt du 3 juillet 1996 :
« Mais attendu que la cour d’appel ayant relevé que l'aggravation de la servitude d'écoulement des eaux grevant les terrains litigieux, étaient imputable à l'exécution de travaux publics, intervenus en vertu de décisions administratives, s'est déclarée à bon droit incompétente, sans être tenue de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge administratif se soit prononcé sur la légalité de ces décisions".
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit privé,
Avocat spécialiste en droit de l’environnemen