Préjudice écologique : l’arrêt fondamental de la cour de cassation du 16 novembre 1982.

Par Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste en droit de l'environnement.


L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 novembre 1982 (pourvoi n° 81-15.550) constitue une étape significative dans la reconnaissance du préjudice moral subi par les associations de protection de l'environnement en raison d'atteintes à la faune protégée.

Contexte de l'affaire

Le Centre Ornithologique Rhône-Alpes (C.O.R.A.), une association dédiée à l'étude et à la protection des oiseaux, a assigné l'Association Communale de Chasse Agréée (A.C.C.A.) de Saint-Martial en réparation du préjudice causé par la mort d'un balbuzard-pêcheur, un rapace protégé, abattu lors d'une chasse organisée sur le territoire de l'A.C.C.A. L'enquête n'ayant pas permis d'identifier le ou les chasseurs responsables, le C.O.R.A. a dirigé son action contre l'A.C.C.A., alléguant un manquement à ses obligations de surveillance et d'information.

Décisions des juridictions inférieures

Le tribunal d'instance a retenu la responsabilité de l'A.C.C.A. pour faute, en raison de l'autorisation donnée à des chasseurs non adhérents sans vérification adéquate ni information sur les espèces protégées, et l'a condamnée à verser des dommages-intérêts au C.O.R.A. L'A.C.C.A. a formé un pourvoi en cassation, contestant notamment la compétence des juridictions judiciaires et l'existence d'une faute en l'absence de texte imposant les vérifications reprochées.

Position de la Cour de cassation

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, confirmant la décision du tribunal d'instance. Elle a jugé que l'A.C.C.A. avait commis une faute en autorisant des chasseurs non adhérents sans contrôle suffisant, et en omettant d'informer les participants sur la protection légale du balbuzard-pêcheur. La Cour a également reconnu que le C.O.R.A., en raison de son objet statutaire, subissait un préjudice moral direct et personnel du fait de la destruction de l'oiseau protégé.

Analyse juridique

Cet arrêt est notable pour plusieurs raisons :

  1. Responsabilité des associations de chasse : La Cour a affirmé que les A.C.C.A. ont une obligation de surveillance et d'information concernant les espèces protégées. Le manquement à ces obligations peut engager leur responsabilité civile en cas de destruction d'espèces protégées sur leur territoire.
  2. Préjudice moral des associations environnementales : La reconnaissance par la Cour du préjudice moral direct et personnel subi par une association de protection de l'environnement en raison de l'atteinte à son objet statutaire constitue une avancée jurisprudentielle. Cette décision a ouvert la voie à une meilleure protection juridique des intérêts environnementaux défendus par ces associations.
  3. Lien de causalité : La Cour a établi un lien de causalité entre les fautes de l'A.C.C.A. (défaut de surveillance et d'information) et le préjudice subi par le C.O.R.A., même en l'absence d'identification précise du ou des auteurs du tir.

Portée de l'arrêt

Cet arrêt a renforcé la responsabilité des associations de chasse en matière de protection des espèces protégées et a consolidé la légitimité des associations environnementales à agir en justice pour défendre leur objet statutaire. Il a également contribué à l'évolution de la jurisprudence vers une reconnaissance plus large du préjudice écologique, en posant les bases de la réparation des atteintes à l'environnement indépendamment des intérêts patrimoniaux ou personnels.

En somme, l'arrêt du 16 novembre 1982 a marqué une étape importante dans la protection juridique de l'environnement en France, en reconnaissant le préjudice moral des associations environnementales et en affirmant la responsabilité des associations de chasse en matière de préservation des espèces protégées.


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