Par Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste en droit de l'environnement.
La décision du Tribunal de grande instance de Narbonne du 4 octobre 2007 (n° 935/07) a marqué une étape importante dans l’évolution de la reconnaissance du préjudice écologique pur. Voici ses principaux apports :
1. Reconnaissance du préjudice écologique pur
Le TGI de Narbonne a reconnu pour la première fois un préjudice écologique individualisé, distinct des préjudices moral ou matériel subis par des personnes physiques ou morales. Cette décision a ouvert la voie à une prise en compte directe des atteintes à l’environnement en tant que tel, indépendamment des impacts sur les intérêts humains.
Enjeux :
- Cette décision rompt avec la tradition consistant à diluer les atteintes environnementales dans d’autres catégories de préjudices (par exemple, le préjudice moral des associations).
- Elle consacre l’idée que l’environnement possède une valeur intrinsèque, nécessitant une réparation spécifique.
2. Application du droit commun pour les atteintes à l’environnement
Le tribunal a statué sur le fondement du droit civil classique, démontrant que, même en l’absence de dispositions spécifiques dans le Code civil à cette époque, le préjudice écologique pouvait être pris en compte. Cela a démontré la souplesse du droit civil pour répondre aux nouveaux enjeux environnementaux.
3. Responsabilité des pollueurs
Dans cette affaire, le TGI a mis en avant le principe de responsabilité des auteurs des dommages environnementaux, en soulignant leur obligation de réparer les atteintes causées à l’environnement. Cette approche s’inscrit dans le cadre des principes généraux de la responsabilité civile :
- Fait générateur : L’acte ou l’omission ayant causé le dommage.
- Préjudice autonome : Une atteinte directe à l’environnement.
- Lien de causalité : La relation entre le fait générateur et le préjudice.
4. Impact doctrinal
La décision a fortement influencé la doctrine, qui a salué cette reconnaissance audacieuse du préjudice écologique pur. Elle a renforcé les arguments en faveur d’une codification spécifique pour le préjudice écologique, contribuant ainsi à l’élaboration de la loi de 2016.
Références doctrinales :
- L’approche du tribunal a été analysée par des auteurs comme Laurent Neyret, qui a plaidé pour une autonomisation complète du préjudice écologique.
- Elle a également été rapprochée des principes européens, notamment ceux contenus dans la directive 2004/35/CEsur la responsabilité environnementale.
5. Préparation à la consécration législative
Bien que le TGI de Narbonne n’ait pas eu de base législative spécifique pour statuer, sa décision a anticipé les articles 1246 à 1252 du Code civil, introduits par la loi du 8 août 2016, qui consacrent le préjudice écologique comme une atteinte non négligeable aux éléments ou fonctions des écosystèmes.
6. Conclusion
La décision du TGI de Narbonne du 4 octobre 2007 a été pionnière dans la reconnaissance judiciaire du préjudice écologique pur. Elle a apporté :
- Une reconnaissance de l’environnement en tant que victime autonome de dommages.
- Une prise de conscience de l’importance d’un régime juridique spécifique pour répondre aux atteintes écologiques.
- Une impulsion décisive à la codification du préjudice écologique en 2016.
En somme, cette décision a contribué à inscrire durablement le préjudice écologique dans le paysage juridique français et à le faire évoluer vers une protection accrue de l’environnement.