Par Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste et docteur en droit.
Le droit de passage est un mécanisme essentiel en matière immobilière, permettant d’assurer l’accessibilité d’un fonds enclavé ou la continuité d’un usage établi. Dans certains cas, ce droit s’exerce au sein de corridors, passages délimités entre deux bâtiments ou le long de limites séparatives. Cependant, des difficultés surgissent lorsque ces corridors disparaissent à la suite de travaux réalisés par le propriétaire du fonds servant, qui conteste alors l’existence d’une véritable servitude. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Reims le 15 septembre 2020 illustre parfaitement cette problématique en posant la question de la reconnaissance et du maintien d’un droit de passage établi de longue date.
Cet article s’attachera à examiner dans quelles conditions un corridor peut être qualifié de servitude de passage (§1), quelles sont les conséquences juridiques de sa disparition (§2), et enfin, quelles sanctions peuvent être envisagées en cas d’atteinte illégale à ce droit (§3).
1. L’identification d’un corridor comme servitude de passage
1.1. Les critères d’identification d’une servitude conventionnelle
Aux termes de l’article 686 du Code civil, les servitudes peuvent être établies par convention entre propriétaires, à condition qu’elles soient attachées aux fonds et non aux personnes. La Cour d’appel de Reims a confirmé dans son arrêt que la servitude de passage invoquée par les demandeurs avait bien été créée par un titre, à savoir un acte notarié datant de 1914, mentionnant explicitement l’existence d’un « corridor commun ».
La décision rappelle ainsi qu’un corridor peut être considéré comme une véritable servitude si :
- Il est mentionné dans un titre (acte notarié, acte de vente, relevé de publicité foncière) ;
- Il bénéficie au fonds dominant et grève le fonds servant de manière permanente ;
- Il permet un usage stable et nécessaire à l’accessibilité du fonds dominant.
Dans l’affaire jugée, la Cour a validé l’existence de la servitude en s’appuyant sur des documents authentiques et des mentions cadastrales.
1.2. L’influence des modifications successives sur la reconnaissance de la servitude
Une question centrale du litige concernait la modification de l’assiette du passage : en raison de travaux, le corridor initial avait disparu. Toutefois, les juges ont estimé que cela n’éteignait pas la servitude, dès lors qu’elle avait fait l’objet d’un déplacement validé par accord entre propriétaires successifs.
L’article 701 du Code civil prévoit que si l’assiette du passage devient plus contraignante pour le fonds servant, son propriétaire peut en proposer une nouvelle, sous réserve qu’elle soit aussi commode pour le fonds dominant. En l’espèce, la Cour a confirmé que la modification était opposable aux nouveaux propriétaires, dès lors qu’elle avait été matérialisée dans des actes notariés.
2. La disparition du corridor : conséquences juridiques
2.1. Le principe du maintien de la servitude malgré la disparition du passage physique
L’arrêt de la Cour d’appel de Reims illustre un principe fondamental : la disparition matérielle d’un passage ne fait pas disparaître la servitude, sauf si une extinction est légalement constatée. Selon l’article 703 du Code civil, une servitude ne peut s’éteindre que par :
- La réunion des deux fonds en une seule propriété ;
- Le non-usage pendant 30 ans ;
- La renonciation expresse du propriétaire du fonds dominant.
Dans l’espèce jugée, bien que le corridor initial ait été supprimé par des travaux, les éléments cadastraux et notariés ont permis d’établir que le droit de passage subsistait et devait être respecté.
2.2. Les obligations du propriétaire du fonds servant
En application de l’article 701 du Code civil, le propriétaire du fonds servant ne peut entraver l’exercice du droit de passage. Dans cette affaire, il avait fermé à clé un accès, empêchant ainsi l’usage du passage. La Cour a confirmé que cette action était fautive et contraire aux droits du propriétaire du fonds dominant.
Dans une telle hypothèse, plusieurs conséquences s’attachent au non-respect du droit de passage :
- Obligation de rétablir l’accès ;
- Condamnation à une astreinte par jour de retard dans l’exécution ;
- Condamnation au paiement de dommages et intérêts pour entrave à un droit réel.
3. Les sanctions applicables en cas de contestation abusive ou d’entrave au droit de passage
3.1. L’obligation de rétablir l’accès sous astreinte
Lorsque le fonds servant entrave l’exercice d’un droit de passage, le propriétaire du fonds dominant peut obtenir du juge l’injonction de rétablir l’accès sous peine d’astreinte. Dans l’arrêt étudié, la Cour a rappelé que la servitude était opposable aux nouveaux propriétaires et leur a ordonné de rendre l’accès possible.
3.2. La condamnation à des dommages et intérêts pour entrave abusive
Si l’obstruction au passage est volontaire et constitue un trouble manifestement abusif, des dommages et intérêts peuvent être alloués. En l’espèce, les demandeurs avaient sollicité une réparation financière pour résistance abusive, mais la Cour a rejeté cette demande en l’absence de preuve d’une intention de nuire. Toutefois, dans d’autres affaires, des montants substantiels peuvent être accordés si l’entrave entraîne un préjudice avéré (exemple : impossibilité d’accéder à une résidence secondaire).
3.3. Les frais de procédure supportés par la partie fautive
Enfin, l’arrêt rappelle que la partie succombante supporte les dépens et les frais irrépétibles en vertu de l’article 696 du Code de procédure civile. Dans cette affaire, les propriétaires du fonds servant ont été condamnés in solidum à payer les frais d’appel des demandeurs, une sanction classique en matière de servitudes contentieuses.
Conclusion
La jurisprudence rappelle avec constance que la disparition matérielle d’un corridor servant de droit de passage ne fait pas disparaître la servitude si celle-ci est établie par titre. L’affaire jugée par la Cour d’appel de Reims illustre les enjeux juridiques liés à de telles situations : l’identification d’une servitude conventionnelle, la contestation de son existence par les nouveaux propriétaires et les obligations pesant sur le fonds servant.
Ainsi, avant d’entreprendre des travaux affectant un passage, il est essentiel pour les propriétaires de s’assurer de l’absence de servitude ou d’obtenir l’accord des bénéficiaires. À défaut, ils s’exposent à des injonctions de rétablissement et à des condamnations financières. Cette affaire met en lumière l’importance de la vigilance notariale et cadastrale lors des transactions immobilières, afin d’éviter des contentieux souvent longs et coûteux.