Par Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste en droit de l’environnement.
Dans le cadre d'une catastrophe naturelle, ou d'un événement local qui entraîne des dégâts matériels et des pertes humaines, il existe deux tentations totalement opposées.
Soit se courber sous le courroux des cieux et se prémunir pour l’avenir, ce qui implique que la main de l'homme ne soit pas en cause, soit rechercher désespérément un responsable lequel peut-être difficile à identifier. S’agit-il effet de l'État, d’une collectivité territoriale ? Dans quelle mesure celle-ci aurait-elle pu commettre une erreur, une faute, une négligence qui engage sa responsabilité ? Quelle est la nature de sa responsabilité : est-elle pénale ou administrative ?
Toutes ces questions méritent des éclaircissements. Tant il est vrai qu'il est difficile pour le requérant ordinaire qui n'est pas conseillé de se frayer un chemin dans cette casuistique juridique et juridictionnelle.
I - LE RECOURS AU JUGE REPRESSIF : UNE BONNE IDÉE POUR PUNIR EN CAS DE DOMMAGES AUX PERSONNES
Le juge judiciaire ne peut pas connaître des activités de l’administration qui relèvent de la compétence du juge administratif. Mais il existe une exception notable en faveur du juge pénal dans le rôle était jusqu’alors marginal dans ce type de contentieux.
Ces dernières années on assiste à une véritable montée en puissance du juge pénal notamment à l’occasion d’une affaire retentissante dans lesquelles des maires ont été mis en examen et parfois même condamnés à la suite de négligence.
La saisine du juge pénal permet de disposer du travail du juge d'instruction et donc le relais institutionnel d'un magistrat qui va être chargé de rechercher les éléments de preuve qui font défaut.
1°/ Le juge répressif sera compétent pour juger de toute action dirigée contre un agent qui aurait commis un délit pénal.
La faute pourra consister en un manquement à l'obligation de sécurité. Plusieurs articles du code général des collectivités territoriales mettre en effet à la charge du maire des obligations de sécurité. Il est notamment chargé de la police de la tranquillité, de la sécurité, et de la salubrité. Il faut donc être déclarée pénalement responsable en cas de risque naturel voir technologique. Le juge pénal pourra retenir la qualification d’homicides ou blessures involontaires.
Néanmoins la loi du 13 mai 1996 est venue restreindre la responsabilité pénale pour le délit d’imprudence ou de négligence puisqu'elle pose le principe suivant lequel le délit doit être apprécié concrètement aussi bien pour les fautes d'imprudence ou de négligence que dans les cas d'une inobservation des lois et règlements en matière de sécurité.
Mais il est également possible d’engager la responsabilité des agents publics, sur la base d’un manquement à des obligations spécifiques. Il existe en effet des polices spéciales qui doivent être mises en œuvre par les collectivités comme par exemple la police de urbanisme, la police des établissements recevant du public, la police des baignades, la police des édifices menaçant ruine.
Par exemple, la préfecture doit mettre en œuvre un zonage pour les zones à risque et la responsabilité peut donc être partagée entre les collectivités et l’État. Il sera envisageable de mettre en examen les autorités compétentes qui ont délivré des permis de construire dans des zones à risques.
La négligence de l'État peut résulter également d'un simple retard d'application de la mise en œuvre des plans de prévention des risques.
2°/ Les élus locaux devront particulièrement se méfier du délit de mise en danger d’autrui.
Ce délit est une innovation du code pénal qui prévoit que le fait d'exposer directement autrui un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence, imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement.
On trouve peu d'exemples de condamnation répressives. L’affaire la plus retentissante est un jugement rendu par le tribunal de grande instance des Sables d’Olonne du 12 décembre 2014. Dans ce jugement très motivé, le tribunal a en effet condamné l’ancien maire de la faute sur mère et son ex adjoint à l’urbanisme aux peines les plus lourdes jamais prononcées contre un élu local pour des fautes involontaires. Le tribunal a considéré que les fautes des élus constituaient des fautes personnelles les obligeant à indemniser les parties civiles.
Il est probable que dans le cadre des inondations récentes qui sont survenues à Biot ou à Mandelieu en 2015, une plainte soit un jour prochainement déposée de ce chef par les victimes ou ayants droits. Mais il sera nécessaire de démontrer la faute de négligence par exemple dans la politique d'urbanisme effrénée de la ville en zone inondable, soit dans l'absence d'avertissement clair du risque d'inondation au moment où les éléments se sont déchaînés.
II - UNE SOLUTION PLUS ANCIENNE ET ENCADRÉE : LA SAISINE DU JUGE ADMINISTRATIF POUR OBTENIR REPARATION DES DOMMAGES MATERIELS
Une indemnisation peut-être demandée par la victime auprès des pouvoirs publics et s’ils refusent, la saisine du juge administratif peut permettre d’obtenir des résultats concrets.
Il existe déjà une jurisprudence bien établie suivant laquelle la responsabilité de l'administration ne peut être engagée que si ses ouvrages ou son action ont augmenté les conséquences du dommage. Voir en ce sens, Conseil d'État 11 janvier 1967.
A - LES OBLIGATIONS POSITIVES DE L’ETAT ET DES COLLECTIVITES
Inclure le risque dans les documents d’urbanisme :
Les personnes publiques ont l’obligation de tenir compte du risque inondation dans les documents et autorisations d'urbanisme. Les communes ont l'obligation d'inscrire ce risque dans les documents et les autorisations d'urbanisme. Si le maire accorde un permis de construire ou ne le soumet pas à des prescriptions spéciales dans une zone inondable dont il a connaissance, il commet une faute de nature engager la responsabilité publique (Voyez en ce sens, Conseil d’État 2 octobre 2002).
Entretenir le système d’évacuation des eaux :
Il a été également jugé en présence d’un événement particulièrement intense et exceptionnel que la responsabilité de la collectivité pouvait être engagée au motif d’une insuffisance et d’un défaut d’entretien du système d’évacuation des eaux (Voyez en ce sens l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Nantes du 25 mai 1993).
L’État doit garantir le libre écoulement des flots sur les cours d'eau domaniaux. C'est lui également qui est seul compétent pour accorder des autorisations de travaux d'ouvrages sur le cours d'eau. Sa responsabilité peut donc être engagée de ce chef. Notamment en cas de carence de sa part.
Exercer ses pouvoirs de police si elle n’est pas propriétaire :
Si le cours d’eau appartient au domaine privé d'une personne publique ou d'une personne privée l'État est responsable uniquement de la police des cours d'eau. Sa responsabilité peut donc être engagée s'il a refusé de mettre en œuvre cette police spéciale s'il est par exemple démontré que le préfet n'a pas pris les dispositions nécessaires pour assurer le respect de la réglementation.
Ne pas entraver l’écoulement des eaux par ses travaux publics :
Les personnes publiques ont également l’obligation de ne pas provoquer ou aggraver les inondations du fait de travaux d’ouvrages publics (travaux de remembrement qui accentuent les effets des inondations etc.).
Prévoir et annoncer les crues :
L’État a pour mission de prévoir et de surveiller les crues. Il est possible pour les victimes d'inondations de se retourner contre le service d'annonce des crues c'est-à-dire contre l'État.
La responsabilité du maire peut également être engagée selon différentes circonstances.
Il doit s’assurer par exemple que les élèves d’un collège ne puisse rejoindre leur domicile dès lors que le service de ramassage scolaire est interrompu à cause des pluies diluviennes (Voir en ce sens l'arrêt du Conseil d'État du 14 mai 1986).
Mais la négligence des propriétaires privés est aussi prise en compte pour atténuer la responsabilité de la collectivité :
Enfin pour conclure, il convient de préciser que l’imprudence ou la négligence des propriétaires privés peuvent également atténuer la responsabilité des collectivités territoriales ou de l'État sans la supprimer. C’est cas par exemple d’un permis de construire qui avait pourtant été délivré sans les prescriptions spéciales relatives à des risques d'inondations. L’imprudence commise par les propriétaires en ne vérifiant pas si la parcelle avait été exposée aux crues du cours d’eau voisin était de nature à atténuer la responsabilité de l’Etat (Voir en ce sens l’arrêt du Conseil d'État du 2 octobre 2002).
B - L’OBLIGATION POUR LES PROPRIETAIRES PRIVÉS DE SE PROTÉGER
Sous réserve de ce qui précède il subsiste une absence d’obligation pour les personnes publiques effectuer des travaux de protection des propriétés privées contre l’action naturelle des eaux pluviales et les inondations.
Ce principe a d’abord été affirmé vis-à-vis de l'État puis vis-à-vis des collectivités territoriales.
Ainsi, les travaux de protection contre les inondations les travaux incombent aux propriétaires eux-mêmes.
Mais si de tels ouvrages ont été exécutés spontanément par une collectivité territoriale sa carence dans leur entretien peut justifier l’engagement de sa responsabilité (Voyez en ce sens conseil d’État 23 février 1973).