Exemples concrets de mise en œuvre d’une procédure d’alerte au niveau de la société mère pour prévenir sa responsabilité environnementale

Par Laurent Gimalac, Ancien Professeur à l’ISEM (ESMOD Paris) et à SUP DE LUXE (Groupe EDC, Paris) et Avocat 


La procédure d’alerte, souvent prévue aux articles L. 234-1 et suivants du Code de commerce ou intégrée à des dispositifs de compliance et de gouvernance interne (chartes éthiques, procédures internes, plans de vigilance), peut constituer un outil efficace pour éviter que la société mère ne soit tenue pour responsable d’un manquement environnemental commis par sa filiale. Dans ce qui suit, nous présentons quelques exemples concrets d’initiatives et de décisions prises en amont, grâce à l’alerte lancée au niveau de la société mère, permettant de prévenir, de corriger ou de limiter l’impact environnemental de certaines activités de la filiale.

1. Mise en place d’une cellule “risk management” et d’un dispositif d’audit environnemental interne

Exemple :

  • La société mère crée une cellule “risk management” dédiée, comprenant des spécialistes de l’environnement, du droit et de la compliance. Cette cellule se voit confier la mission d’examiner régulièrement les activités de chaque filiale afin de détecter d’éventuels dysfonctionnements ou risques de pollution.
  • Lorsqu’un rapport interne signale la présence de rejets industriels dépassant les seuils autorisés dans l’une des filiales, la cellule en informe immédiatement la direction de la société mère, déclenchant ainsi une procédure d’alerte.
  • Sur la base de cette alerte, la société mère peut alors ordonner un audit environnemental d’urgence chez la filiale concernée, faire appel à un expert indépendant, et imposer un plan de mise en conformité (mise à niveau des installations, révision des process de production, investissement dans des technologies de dépollution, etc.).

Décisions et effets :

  • La société mère peut exiger de la filiale la modification des procédés de fabrication ou la mise en place de systèmes de traitement des rejets.
  • En cas d’inaction de la filiale ou de défaillance de sa direction, la société mère remplace les dirigeants de la filialeou supervise de plus près les décisions stratégiques.
  • Grâce à ce mécanisme, la non-conformité est corrigée avant qu’elle ne génère un contentieux ou un dommage environnemental majeur, ce qui réduit considérablement le risque de voir la responsabilité de la société mère engagée.

2. Système d’alerte et de dénonciation interne (“whistleblowing”) pour les salariés et sous-traitants

Exemple :

  • La société mère met en place un dispositif interne de signalement (plateforme sécurisée ou adresse e-mail dédiée), permettant à tout salarié de la filiale ou à tout sous-traitant de révéler des faits susceptibles de constituer une infraction environnementale (stockage illicite de produits chimiques, enterrement de déchets toxiques, etc.).
  • Lorsqu’un ingénieur de la filiale constate, par exemple, que les normes de stockage des déchets dangereux ne sont pas respectées et que la direction de la filiale tarde à agir, il utilise la plateforme de signalement.
  • Ce signalement, transmis directement à la direction de la société mère, déclenche la mise en œuvre d’une procédure d’alerte : enquête interne, recoupement des informations et, si nécessaire, saisie des autorités compétentes.

Décisions et effets :

  • Suspension immédiate de l’activité incriminée le temps de réaliser les vérifications (ex. stockage temporaire des substances dans des installations homologuées).
  • Formation d’un comité de crise composé de juristes et d’experts en environnement pour définir un plan correctif (assainissement, mise en conformité).
  • La rapidité de réaction permet à la société mère de démontrer devant une juridiction éventuelle sa diligence et sa bonne foi, atténuant ainsi le risque qu’on lui impute un manquement fautif.

3. Vérification approfondie en amont d’opérations de fusion, d’acquisition ou de restructuration (due diligences)

Exemple :

  • Avant de procéder à la fusion-absorption d’une filiale ou de racheter une entreprise tierce destinée à être intégrée au groupe, la société mère met en œuvre une due diligence environnementale renforcée.
  • Cette analyse met en évidence l’existence d’un site industriel potentiellement pollué, exploité par la filiale cible. Des manquements sont relevés (absence d’autorisations ICPE, non-respect des prescriptions préfectorales de rejet des eaux usées, etc.).
  • À la suite du rapport d’alerte élaboré par les auditeurs, la société mère décide soit de renégocier les clauses de garantie environnementale dans le contrat de fusion, soit d’imposer un protocole de réhabilitation du site avant la finalisation de l’opération.

Décisions et effets :

  • Inclusion de garanties de passif environnemental à la charge de l’ancienne direction de la filiale ou de la société absorbée, ce qui protège la société mère d’éventuelles poursuites ultérieures.
  • Mise en place d’un plan de correction (évaluation de la pollution, mise en conformité avec les normes de traitement des rejets, etc.) dont la réalisation est une condition essentielle à la clôture de l’opération de fusion.
  • Ainsi, la société mère se prémunit contre tout transfert de responsabilité pénale ou civile lié à des infractions environnementales antérieures, conformément au récent revirement de jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-869.55).

4. Procédure d’alerte activée par le commissaire aux comptes ou un organe de contrôle interne

Exemple :

  • Le commissaire aux comptes (CAC), dans l’exercice de sa mission, découvre que la filiale pratique une sous-évaluation budgétaire des coûts de traitement de ses déchets chimiques. Il s’inquiète du risque de déséquilibre financier pouvant entraver la capacité de la filiale à assumer ses obligations de dépollution (avec une possible insuffisance d’actif).
  • Le CAC informe les dirigeants de la filiale, lesquels ne prennent aucune mesure. Conformément à ses obligations légales, le CAC adresse ensuite un rapport à la société mère (ou déclenche la procédure d’alerte si les conditions de l’article L. 234-1 et suivants du Code de commerce sont réunies).
  • La société mère, mise devant le fait accompli, prend rapidement la décision d’injecter les fonds nécessaires(augmentation de capital, prêt intragroupe) pour assainir la situation de la filiale, évitant ainsi la survenance d’un contentieux et surtout la contamination d’un site.

Décisions et effets :

  • Rattrapage de la sous-évaluation du passif environnemental de la filiale.
  • Mise en place d’un plan de financement dédié (constitution de provisions, établissement d’une garantie bancaire) afin de couvrir les risques de pollution.
  • Limitation de la responsabilité de la société mère, en prouvant qu’elle a agi à la suite de l’alerte et qu’elle a tout mis en œuvre pour éviter l’aggravation du dommage.

5. Comité environnemental mixte (société mère / filiales) et plan d’action coordonné

Exemple :

  • La société mère institute un comité environnemental qui réunit périodiquement les représentants des différentes filiales. Chaque filiale doit présenter un rapport sur les risques encourus et les mesures prises pour y faire face (suivi des émissions de CO₂, traitement des eaux usées, respect de la réglementation ICPE, etc.).
  • Si l’une des filiales présente un bilan préoccupant (par exemple, niveau d’émissions de polluants atmosphériques supérieur aux seuils réglementaires), le comité déclenche la procédure d’alerte prévue au niveau du groupe, adressant une mise en demeure à la direction de la filiale pour qu’elle agisse dans un délai raisonnable.
  • À la suite de l’alerte, la société mère peut prendre la décision d’externaliser ou de cesser l’activité la plus polluante, ou encore d’investir dans de nouveaux filtres et systèmes de dépollution.

Décisions et effets :

  • Coordination renforcée entre la société mère et ses filiales, évitant l’isolement de la filiale fautive.
  • Rédaction d’un plan d’action environnemental commun pour l’ensemble du groupe, assorti d’un calendrier précis et de sanctions internes en cas de non-respect.
  • Preuve d’un management actif de la société mère et d’une volonté de prévenir les risques dès leur signalement, ce qui réduit les chances que sa responsabilité soit retenue en cas de contentieux.

Conclusion

La mise en place d’une procédure d’alerte efficace permet à la société mère de surveiller et de corriger rapidement les pratiques à risque au sein de ses filiales, tout en démontrant sa bonne foi et sa diligence auprès des autorités ou des juridictions compétentes. Cette vigilance se matérialise par :

  • La création de cellules spécialisées en environnement et en compliance ;
  • L’instauration d’un dispositif de signalement interne (whistleblowing) ;
  • La réalisation systématique de due diligences préalables aux opérations de fusion-acquisition ;
  • Le contrôle régulier de la filiale par des audits et rapports d’experts ;
  • La réactivité en cas de détection d’un dysfonctionnement (financement d’urgence, mise en conformité, remplacement d’équipes dirigeantes).

En procédant ainsi, la société mère réduit considérablement les risques de voir sa responsabilité civile, pénale ou financière engagée pour les agissements fautifs de sa filiale en matière environnementale, dans le cadre fixé par les articles L. 162-1 et suivants du Code de l’environnement, L. 512-17 dudit Code, et L. 225-102-1 et L. 233-5-1 du Code de commerce. Elle anticipe également l’éventuel transfert de responsabilité pénale en cas de fusion-absorption, comme l’a récemment consacré la jurisprudence (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-869.55).


Me Laurent Gimalac, Docteur en droit, ancien chargé de cours à l’Université,

Avocat spécialiste.


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