La notion d’ouvrage dans la garantie décennale.


Par Laurent Gimalac Avocat spécialiste et docteur en droit privé.


La notion d'ouvrage en matière de garantie décennale est centrale dans la jurisprudence relative à la responsabilité des constructeurs. Cependant, le Code civil français ne fournit pas une définition précise de ce que constitue un "ouvrage", laissant ainsi aux tribunaux le soin de préciser cette notion à travers une création prétorienne évolutive. La diversité des décisions rendues par la Cour de cassation illustre les critères principaux utilisés par les juges pour déterminer si un élément peut être qualifié d'ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil, englobant ainsi la responsabilité décennale des constructeurs.


1. Application des techniques de construction


L'un des critères essentiels retenus par la jurisprudence pour qualifier un élément d'ouvrage est l'utilisation des techniques de construction. Ainsi, une station d'épuration, dont la construction fait appel à des techniques de travaux de bâtiments, peut être considérée comme un ouvrage au sens de l'article 1792 (Cass. civ. 3ème 21 novembre 2019, n°18-21931). Ce critère montre l'importance de la nature technique des travaux réalisés pour la qualification d'ouvrage.


2. Caractère dissociable ou non de l'ouvrage


La jurisprudence distingue également entre les éléments d'équipement dissociables et ceux qui ne le sont pas pour l'application de la garantie décennale. Par exemple, une chape liquide a été considérée comme un élément d’équipement dissociable et donc non couvert par la garantie décennale (Cass. civ. 3ème 26 novembre 2015, n°14-19835), tandis qu'un enduit assurant une fonction d’étanchéité, non destiné à fonctionner, a été jugé constitutif d’un ouvrage relevant de cette garantie (Cass. civ. 3ème 13 février 2020, n°19-10249).


3. La nature et la fonction de l'élément


La fonction de l'élément dans l'ouvrage joue un rôle déterminant dans sa qualification. Ainsi, des éléments comme les enrochements (Cass. civ. 3ème 24 mai 2011, n°10-17106) ou un talus (Cass. civ. 3ème 24 février 1999, n°10-17106) ont été qualifiés d'ouvrages en raison de leur contribution à la solidité ou à la destination de l'ensemble du bâtiment.


4. Les travaux de réparation et leur importance


Les travaux de réparation ou de modification légers ne sont généralement pas considérés comme des ouvrages. La Cour de cassation a souligné que des travaux très succincts de révision de couverture ne constituent pas des travaux de construction au sens de l'article 1792 du Code civil (Cass. civ. 3ème 20 janvier 2015, n°13-21122). Ce critère illustre l'importance de l'ampleur et de la nature des travaux dans la qualification d'un élément en tant qu'ouvrage.


Conclusion


La notion d'ouvrage en matière de garantie décennale est définie par la jurisprudence au cas par cas, en fonction de critères tels que l'utilisation des techniques de construction, le caractère dissociable de l'élément, sa fonction dans l'ensemble de l'ouvrage, ainsi que l'importance des travaux réalisés. Cette approche flexible permet d'adapter la notion d'ouvrage aux spécificités de chaque cas d'espèce, tout en offrant un cadre juridique pour la responsabilité décennale des constructeurs.

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