Par Me Laurent Gimalac, Avocat spécialiste et docteur en droit privé.
L'essor des politiques de réhabilitation des friches industrielles et la volonté de limiter l'artificialisation des sols ont intensifié l'attention portée à la pollution des terrains, en particulier dans le cadre des transactions immobilières. Le notaire, en sa qualité d'officier public et garant de la sécurité juridique des actes qu'il instrumente, est ainsi de plus en plus confronté aux risques liés à la contamination des sols.
Si la jurisprudence admet depuis longtemps l’existence d’un devoir général d’information et de conseil pesant sur le notaire, un pan plus spécifique de cette obligation tend à se développer : celui du devoir d’investigation lorsqu’un bien immobilier est susceptible d’être affecté par une pollution. Cette obligation est-elle conditionnée par la présence de soupçons ? Le notaire peut-il être tenu responsable d’une pollution découverte après la vente, en l’absence de tout indice apparent ? Enfin, la notion de « pollution par présomption », reposant sur la proximité d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) ou d’une friche industrielle, constitue-t-elle un élément suffisant pour engager la responsabilité du notaire ?
Ces interrogations trouvent un écho particulier dans des affaires récentes où des notaires ont été tenus responsables pour ne pas avoir alerté les acquéreurs sur un risque environnemental non explicitement signalé par le vendeur.
1. Le cadre du devoir d’investigation du notaire en matière de pollution
Le notaire n’a pas l’obligation de visiter les biens qu’il authentifie ni de procéder à des expertises techniques. Cependant, sa mission de conseil implique de vérifier la véracité des déclarations des parties lorsque des éléments objectifs sont de nature à éveiller des soupçons.
Ainsi, il est admis qu’en présence d’indices révélant un risque de pollution, le notaire doit entreprendre des investigations supplémentaires. Ce devoir a notamment été consacré par la Cour de cassation dans le cadre des ventes de biens ayant accueilli une activité classée, où l’article L. 514-20 du Code de l’environnement impose au vendeur une obligation d’information sur les risques environnementaux connus. À ce titre, la jurisprudence considère que le notaire, garant de l’efficacité de l’acte, doit s’assurer que l’acquéreur a été correctement informé et qu’il dispose de toutes les données essentielles à sa prise de décision.
Cependant, la question se pose de savoir si ce devoir d’investigation s’étend aux cas où le notaire ne dispose d’aucun élément concret suggérant une pollution du site. Peut-il être tenu responsable pour ne pas avoir alerté les parties sur un risque purement hypothétique ?
2. La responsabilité notariale en présence d’un soupçon de pollution
La jurisprudence retient la responsabilité du notaire lorsqu’il ne procède pas aux vérifications requises en présence de signaux d’alerte. Ces indices peuvent résulter :
- de l’existence d’une mention dans une base de données environnementale (BASOL, BASIAS, CASIAS) indiquant une contamination avérée ou un passé industriel du site ;
- d’une déclaration du vendeur évoquant l’exploitation passée d’une ICPE ;
- d’une localisation du bien dans un périmètre où des pollutions sont déjà recensées ;
- de l’existence d’une clause contractuelle relative à une éventuelle obligation de dépollution.
Dans ces situations, le notaire ne peut se contenter des seules affirmations du vendeur et doit prendre des mesures adaptées, telles que la consultation des bases publiques d’information, la demande de documents complémentaires ou encore le conseil aux parties de solliciter une étude de sol avant la vente.
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 20 octobre 2022 illustre cette position : les notaires ont été condamnés in solidum pour ne pas avoir alerté les acquéreurs sur la pollution d’un bien situé à proximité d’une ancienne blanchisserie industrielle. Cette décision repose notamment sur le fait qu’aucune vérification n’avait été effectuée, malgré l’existence d’une inscription au fichier BASIAS mentionnant une activité de stockage de déchets industriels.
3. L’absence de soupçon : peut-on exiger du notaire une diligence systématique ?
Un des points les plus sensibles de l’évolution jurisprudentielle concerne la responsabilité du notaire en l’absence de tout indice concret de pollution. Si la doctrine reconnaît le devoir de conseil du notaire, elle met également en garde contre un excès d’obligations qui reviendrait à faire peser sur lui une mission quasi-expertale en matière environnementale.
Dans de nombreuses décisions, la responsabilité notariale est écartée lorsqu’il est établi qu’aucun élément ne pouvait éveiller de soupçon raisonnable. Ainsi, la Cour de cassation a refusé de condamner un notaire pour ne pas avoir consulté BASOL, alors que le terrain vendu n’était mentionné sur aucune liste de sites pollués et que rien ne suggérait une exploitation industrielle antérieure (Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-18.087).
Toutefois, la tendance actuelle tend à élargir la notion de diligence attendue du notaire, en considérant que certaines informations, bien que difficilement accessibles, devraient être systématiquement vérifiées lorsqu’un bien se situe dans une zone à risque potentiel.
4. La pollution par présomption : un nouveau terrain de responsabilité pour le notaire ?
Un point particulièrement discuté en doctrine est la question de la pollution par présomption, c’est-à-dire le cas où un bien est situé à proximité d’un site industriel ou d’une installation classée. Faut-il considérer que cette simple proximité impose au notaire de diligenter des recherches ?
Les juridictions sont partagées sur ce point. Si certaines décisions ont pu exonérer le notaire au motif qu’aucune obligation légale ne lui impose de vérifier systématiquement les sites voisins, d’autres retiennent sa responsabilité en considérant qu’il aurait dû, à tout le moins, alerter les parties sur la nécessité de procéder à des vérifications complémentaires.
Dans l’affaire précitée de Grézieu-la-Varenne, la cour d’appel a ainsi jugé que le notaire aurait dû consulter BASIAS et mentionner aux acquéreurs la possibilité d’une contamination par migration des polluants. Or, cette obligation pose problème en pratique : en milieu urbain, rares sont les terrains qui ne sont pas situés à proximité d’un ancien site industriel, ce qui pourrait conduire à une inflation des diligences attendues du notaire.
Conclusion : un devoir d’investigation à encadrer
L’extension progressive du devoir d’investigation du notaire en matière de pollution environnementale révèle une évolution jurisprudentielle en faveur d’une protection accrue des acquéreurs. Toutefois, la multiplication des obligations mises à la charge du notaire pourrait aboutir à une insécurité juridique et à un alourdissement excessif de sa responsabilité.
Il appartient donc aux juridictions de définir des critères clairs permettant d’équilibrer les exigences de transparence et la nécessité de ne pas faire peser sur le notaire une charge excessive. Une approche pragmatique, fondée sur la présence d’indices objectifs et l’accessibilité des informations, semble indispensable pour éviter que le devoir d’investigation ne se transforme en une obligation de deviner l’existence d’une pollution invisible.
Ainsi, si la proximité d’un site industriel peut constituer un élément justifiant un questionnement accru, elle ne saurait à elle seule fonder une présomption automatique de responsabilité notariale, sauf à vider de leur sens les principes de proportionnalité et de prévisibilité du droit.
Me Laurent GIMALAC, Avocat et docteur en droit privé,
Lauréat de l’Université.