Introduction
Le domaine privé des communes regroupe un ensemble de biens immobiliers que ces dernières peuvent céder à des personnes privées. Cette cession, encadrée par la législation, soulève des enjeux importants tant pour la collectivité que pour les tiers bénéficiaires. La problématique principale est de savoir sous quelles conditions une commune peut céder ses biens et dans quelles circonstances cette décision peut être retirée. Cet article se propose d'examiner le cadre juridique applicable et d'analyser les conséquences d'une délibération créatrice de droits, en s'appuyant sur la jurisprudence récente.
I. Le cadre juridique de la cession des biens du domaine privé d'une commune
1. Les principes posés par le Code général des collectivités territoriales (CGCT)
La cession des biens du domaine privé d'une commune est régie par les dispositions du Code général des collectivités territoriales (CGCT). L’article L. 2122-21 du CGCT précise que :
« Sous le contrôle du conseil municipal et sous le contrôle administratif du représentant de l’État dans le département, le maire est chargé, d’une manière générale, d’exécuter les décisions du conseil municipal et, en particulier :
(…)
7° De passer dans les mêmes formes les actes de vente, échange, partage, acceptation de dons ou legs, acquisition, transaction, lorsque ces actes ont été autorisés conformément aux dispositions du présent code ; »
Ainsi, pour céder un bien de son domaine privé, la commune doit d’abord obtenir l’autorisation du conseil municipal. Le maire, en tant que représentant exécutif, est ensuite chargé de mettre en œuvre cette décision.
2. La distinction entre acte préparatoire et acte créateur de droits
Toutefois, la nature juridique de la délibération du conseil municipal peut varier : elle peut être un simple acte préparatoire, préparant la cession sans encore l'engager définitivement, ou un acte créateur de droits, engageant la commune vis-à-vis d’un tiers. Cette distinction est cruciale car elle détermine si et dans quelles conditions la commune peut revenir sur sa décision. Il est souvent difficile, même pour les juristes, de différencier ces deux types d’actes.
II. Les conséquences juridiques d'une délibération créatrice de droits
1. L’engagement du maire
Lorsqu’une délibération est qualifiée d’acte créateur de droits, elle engage la commune et le maire dans la réalisation de la vente. C’est ce qu’a rappelé la Cour administrative d'appel (CAA) de Marseille dans un arrêt du 24 janvier 2011 (n°10MA00109), où elle a jugé que la délibération du conseil municipal validant la vente d’un terrain, en définissant précisément la chose et le prix, constituait un acte créateur de droits. En effet, la délibération n’était subordonnée à aucune condition et autorisait explicitement le maire à signer tous les actes nécessaires à sa mise en œuvre. Ainsi, le maire n’avait d’autre choix que de respecter la décision du conseil municipal.
2. Les conditions de retrait de la délibération
Cependant, même lorsqu'une délibération crée des droits, elle peut être retirée sous certaines conditions. La jurisprudence administrative, et notamment la décision précitée de la CAA de Marseille, a établi que le retrait d'une décision créatrice de droits n'est possible que dans un délai de quatre mois suivant sa prise, et seulement si la décision est illégale. Les motifs de convenance administrative, tels que la volonté du nouveau conseil municipal de conserver la maîtrise foncière d’un terrain, ne suffisent pas pour justifier un tel retrait au-delà de ce délai.
III. Cas exceptionnels et jurisprudence récente
1. Retrait en cas de fraude
Un cas particulier permet toutefois de retirer une décision créatrice de droits sans délai : celui où la décision a été obtenue par fraude. Dans cette hypothèse, le principe est que la décision administrative n'a jamais créé de droits au profit du bénéficiaire. Le Conseil d'État, dans un arrêt du 30 mars 2016 (n°395702), a ainsi jugé qu'une décision obtenue par fraude pouvait être retirée à tout moment.
2. Jurisprudence récente
La jurisprudence récente a confirmé l’importance de ces principes. Par exemple, dans une décision du 15 mars 2017 (n°393407), le Conseil d'État a rappelé que si une délibération n'est pas retirée dans le délai légal de quatre mois, elle devient définitive, empêchant ainsi la commune de renoncer à la vente. Cette jurisprudence est fondamentale pour garantir la sécurité juridique des transactions immobilières impliquant des collectivités territoriales.
Conclusion
En résumé, la cession des biens du domaine privé d'une commune est soumise à un cadre juridique strict. Une fois que le conseil municipal a adopté une délibération créatrice de droits, celle-ci engage la commune et ne peut être retirée que dans des conditions strictes et dans un délai limité. Les tiers bénéficiaires de telles décisions doivent donc être vigilants, notamment en attendant l’expiration du délai de retrait de quatre mois, pour éviter que la commune ne revienne sur sa décision. Enfin, en cas de fraude, la commune conserve la possibilité de retirer l’acte à tout moment, ce qui souligne la nécessité d’une transparence totale dans ces procédures.Me Laurent GIMALAC
Avocat spécialiste, Docteur en droit, Ancien chargé de cours à l’UNSA.