Établissements recevant du public dans l'enceinte d’une ICPE : incompatibilité de principe ou possibilité de dérogations ?


Par Laurent GIMALAC, Docteur en droit, Lauréat et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



1. Définitions légales.


Une installation classée pour la protection de l'environnement n’est pas une entreprise comme les autres, si fait l’objet d’un classement sur une nomenclature, c’est parce que selon la définition légale, elle peut générer des inconvénients ou des risques pour :


- la commodité du voisinage

- la santé, la sécurité et la salubrité publiques

- l’agriculture

- la protection de la nature, de l’environnement et des paysages 

- l’utilisation rationnelle de l’énergie

- la conservation des sites et des monuments ainsi que le patrimoine archéologique


Toutefois les « inconvénients »  ne sont pas les mêmes suivant le type d'installation. Il peut y avoir de simples installation de stockage (catégorie entrepôt 1510) ou dans le cas extrêmes, à une installation de type SEVEDO qui présente un risque important d’explosion.


La définition d'un établissement recevant du public est précisée à l'article R. 123-2 du code de la construction et de l'habitation : 

« constituent des établissement recevant du public tous bâtiments, locaux et enceintes dans lesquels des personnes sont admises, soit librement, soit moyennant une rétribution ou une participation quelconque, ou dans lesquels sont tenues des réunions ouvertes à tout venant ou sur invitation, payantes ou non. Sont considérées comme faisant partie du public toutes les personnes admises dans l'établissement à quelque titre que ce soit en plus du personnel. »

Les ERP sont classés en fonction de l'effectif du public qu'ils reçoivent (1re catégorie : effectif de plus de 1 500 personnes ; 2e catégorie : effectif de 700 à 1 500 personnes ; 3e catégorie : effectif de 300 à 700 personnes ; 4e catégorie : effectif du seuil à 300 personnes ; 5e catégorie : effectif inférieur au seuil. Le seuil des effectifs est fixé par type d'exploitation par un arrêté du 22 juin 1990) et de la nature de l'exploitation. 


En pratique l’application de cette qualification à des cas concrets relève parfois d’une subtile casuistique : sont qualifiés d’ERP, la station-service comprenant un magasin de vente (CE, 13 avril 1983, n° 32420).  En revanche, la qualification d’ERP n’a pas été retenue pour les espaces extérieurs non clos d'une station-service (CAA Bordeaux, 20 décembre 2011, n° 11BX00342) ou le garage (CE 10 février 1992, n° 96966) ou la résidence pour étudiants (CAA Bordeaux, n° 12BX00649, 21 mai 2013) contrairement à la résidence de tourisme de 379 lits dans son ensemble (CAA Douai, n° 00DA00611, 20 décembre 2001).


De plus, il existe des dispositions spécifiques concernant :

   - les locaux soumis au droit public comme les établissements d'enseignement, établissements de santé, musées (voir CCH, art. R. 123-15 et CCH, art. R. 123-17 et arrêtés particuliers ;

- les campings (D. N° 68-134, 9 févr. 1968, modifié) ;

- les salles de spectacles (Arr. 25 juin 1980, modifié).

- les parcs de stationnement couverts et garages : la réglementation varie en fonction de la surface du parc de stationnement ou du nombre de véhicules qui peut être accueilli;

- les aéronefs (Instr. 11 sept. 1979 complétée en dernier lieu par instruction du 2 avr. 1985) et les bateaux à passagers (Arr. 2 sept. 1970).


2. Confrontation ou cohabitation des deux types de règles  ?


Les établissements recevant du public que l'on qualifie de l'acronyme ERP doivent donc permettre à un public élargi, d’accéder et d'utiliser les locaux en toute sécurité, sans être exposés à un risque grave. Tandis que la logique de l’ICPE est de limiter l’exposition aux risques des tiers qui sont les personnes étrangères au fonctionnement de l’entreprise. 


Les ERP et les ICPE semblent ne pas pouvoir interagir ou cohabiter, pourtant en pratique, les situations sont nettement moins tranchées. 


Dans le cas par exemple d'un magasin qui dispose d'un entrepôt (classé ICPE), on va devoir confronter les deux logiques règlementaires. A priori, l'accueil du public est interdit dans les installations classées : il va donc falloir distinguer le local qui va recevoir le public, des bâtiments de stockage de marchandises, répertoriés dans la nomenclature. Pour ces entrepôts soumis à la législation ICPE, il n'y aura qu'un accès restreint aux employés et fournisseurs.


La question de la confrontation des deux réglementations va se poser dans d’autres ças plutôt nombreux. Par exemple sur le site d'un établissement de santé de type ICPE, il faudra distinguer les zones d'accueil du public et les sites classés, qui seront séparés par des dispositifs de sécurité comme par exemple des murs coupe-feu, des dispositifs de rétention et anti incendie.


Mais il existe également des démarches communes. Par exemple dans les ERP, les IGH et les ICPE, la réglementation impose la mise en place d'un service de sécurité formé et entraîné en fonction des risques à combattre. Toutefois en ce qui concerne le risque incendie, le matériel ne sera pas nécessairement le même, dans un ERP ou dans une ICPE.


3. La mise en oeuvre des règles de sécurité ERP au cas général et aux cas spécifiques d’une cohabitation avec un site classé ICPE


Le règlement de sécurité approuvé par l'arrêté du 25 juin 1980 fixe le détail des règles applicables à tous les ERP, et celles applicables à chaque type d’établissement. Il prévoit des règles de  conception du bâtiment (de manière à permettre l'évacuation rapide et en bon ordre de la totalité des occupants, l’intervention des secours et la limitation de la propagation de l’incendie, les matériaux et les éléments de construction tant pour les bâtiments que pour les aménagements intérieurs doivent présenter, en ce qui concerne leur comportement au feu, des qualités de réaction et de résistance appropriées aux risques courus).


Il précise également que le stockage, la distribution et l'emploi de produits explosifs ou toxiques, de tous liquides particulièrement inflammables et de liquides inflammables soumis à autorisation ou enregistrement en application de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) sont interdits dans les locaux et dégagements accessibles au public, sauf dispositions contraires précisées dans le règlement de sécurité,


L’arrêté du 25 juin 1980 sur les règlements de sécurité des ERP envisage clairement la  cohabitation entre ERP et ICPE (art. C0 6) en créant une catégorie particulière  : 

"§ 2. Un établissement recevant du public ou un tiers sont dits à risques particuliers dans les cas suivants :

- ils sont définis comme tels dans la suite du présent règlement ;

- ils abritent, dans leurs locaux ou leurs parties contigus, une ou plusieurs installations classées, au sens de la loi relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, en raison notamment des risques d'incendie ou d'explosion ;

- ils sont considérés comme tels après avis de la commission de sécurité lorsqu'ils comportent notamment des risques d'incendie ou d'explosion associés à la présence d'un potentiel calorifique élevé et de matières très facilement inflammables.

Dans les autres cas, l'établissement recevant du public ou le tiers est à risques courants".


Ainsi, les réserves des magasins font l’objet de mesures spécifiques prévues par le § 2 (supra) qui dispose que les locaux et dégagements non accessibles au public doivent faire l’objet d’un examen spécial de la commission de sécurité.


Il existe aussi des dispositions prévoyant des règles de distance concernant le véhicule transportant des marchandises dangereuses par exemple une distance minimale est exigée de 50 m de tout établissement recevant du public (marchandises de la classe 1 autres que celles classées en division 1.4).


4. Quid si une ERP doit être ouverte dans l’enceinte même de l’ICPE ? 


L’hypothèse d’une confusion entre l’enceinte de l’ICPE et de l’ERP semble être réduite si l’on se fie à l’esprit des textes.

En effet, suivant l’article L. 512-1, la délivrance de l'autorisation, pour ces installations de type ICPE, peut être subordonnée notamment à leur éloignement des habitations, immeubles habituellement occupés par des tiers, et des établissements recevant du public,

Si tel est le cas, il nous paraît peu probable d’une ERP puisse ensuite s’installer dans l’enceinte de l’ICPE car le but est justement de ne pas créer un sur-risque.

Si rien n’a été prévu, on peut imaginer par exemple qu’une partie des entrepôts est désaffectée et reconvertie en une toute autre activité accueillant du public.

Dans ce cas, il faut se rapporter à l’étude de de danger de l’ICPE pour vérifier que l’activité ERP est compatible, et en tout état de cause, en référer au préfet pour vérifier que l’autorisation donnée à l’ICPE n’exclut pas l’installation d’une ERP.

Il est probable dans ce cas, qu’une commission de sécurité soit missionnée pour vérifier que les règles de sécurité soient respectées pour l’accueil d’un public.


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