Délit de tromperie et « dieselgate » : quels risques pour les constructeurs ?


Par Laurent GIMALAC, Docteur en droit, Lauréat et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.




Le communiqué de presse de la société Renault en juin 2021, concernant sa mise en examen pour délit de tromperie, relance sur le plan national l’affaire du dieselgate.

Cette affaire tire son origine d'un logiciel qui permettait de fausser les résultats des contrôles d'émissions de gaz polluants effectués durant la phase d'homologation des véhicules à l'insu des acquéreurs.

La notion de système de contrôle des émissions, et celle de dispositif de validation figurent expressément dans un règlement européen du 20 juin 2007. Le tribunal de grande instance de Paris avait sollicité la cour de justice par une demande de décision préjudicielle afin d' interpréter ces deux notions et leur donner toute leur substance.

La Cour de Justice avait précisé que le règlement imposé aux constructeurs l'objectif de garantir la limitation effective des émissions au tuyau arrière d’échappement tout au long de la vie normale de véhicules dans des conditions d'utilisation normale (Cour de justice de l'Union européenne, 2ème Chambre, Arrêt du 17 décembre 2020, Affaire nº C-693/18).

Un logiciel qui permettrait aux constructeurs de contourner les contrôles, et de bénéficier de résultats non conformes à l’usage normal du véhicule pourrait être considéré comme « faussé » et non conforme aux objectifs européens.

Un tel dispositif comporterait une circonstance aggravante puisque l'utilisation des véhicules serait rendue plus dangereuse pour la santé de l'homme et de l'animal à cause des gaz des d'échappement des moteurs diesel qui ont été classés comme cancérigène par le centre international de recherche sur le cancer.

Si la justice s'est montrée relativement timide dans un premier temps vis-à-vis des demandes d'expertise judiciaire devant le juge civil (Voir par ex. Cour d'appel d'Aix-en-provence, Arrêt du 21 novembre 2019, Répertoire général nº 18/17561), il semble qu'un virage soit pris en faveur d'une répression pénale au titre du délit de tromperie qui est institué par le code de la consommation.


L’article L. 213-1 du code de la consommation, dans sa version applicable jusqu’au 18 mars 2014, prévoyait :

« Sera puni d’un emprisonnement de deux ans au plus et d’une amende de 35 000 euros au plus ou de l’une de ces deux peines seulement quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers :

1º Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;

2º Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ;

3º Soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre. »


L’article L. 213-1 de ce code, dans sa version applicable du 19 mars 2014 au 30 juin 2016, a augmenté les sanctions encourues :

« Sera puni d’un emprisonnement de deux ans au plus et d’une amende de 300 000 euros quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers :

1º Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;

2º Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ;

3º Soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre.


Le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. »


L’article L. 213-2 dudit code, dans sa version applicable jusqu’au 18 mars 2014, prévoit des circonstances aggravantes  :


« Les peines prévues à l’article L. 213-1 sont portées au double :

1º Si les délits prévus audit article ont eu pour conséquence de rendre l’utilisation de la marchandise dangereuse pour la santé de l’homme ou de l’animal ;

2º Si le délit ou la tentative de délit prévus à l’article L. 213-1 ont été commis :

a) Soit à l’aide de poids, mesures et autres instruments faux ou inexacts ;

b) Soit à l’aide de manœuvres ou procédés tendant à fausser les opérations de l’analyse ou du dosage, du pesage ou du mesurage, ou tendant à modifier frauduleusement la composition, le poids ou le volume des marchandises, même avant ces opérations ;

c) Soit enfin à l’aide d’indications frauduleuses tendant à faire croire à une opération antérieure et exacte. »


C’est sur le fondement de ces articles que des perquisitions avaient été autorisées par le juge des libertés en vue de rechercher la preuve de ces pratiques prohibées. Consciente du danger, la société Renault avait d'ailleurs formé un pourvoi contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Versailles en date du 25 2018 qui avait confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention. Mais la cour de cassation  avait rejeté les moyens tirés de l’illégalité de la mesure  (Cour de cassation, Chambre criminelle, Arrêt nº 143 du 4 mars 2020, Pourvoi nº 18-84.071) ce qui aurait la possibilité de poursuites ultérieures.


On peut donc présumer que ce sont ces « preuves » résultant des perquisitions qui ont fondé la récente mise en examen de la société « Renault » pour tromperie.

Cela n’empêchera pas toutefois un débat juridique devant le tribunal judiciaire de Paris pour savoir si cette tromperie qui est nécessairement un acte intentionnel porte bien sur un élément substantiel du véhicule, et si l’utilisation du logiciel ou de lignes de code permettant de passer les contrôles constitue une manoeuvre affectant la nature ou les qualités substantielles du véhicule vendu… notamment au regard des exigences européennes (Règl. UE nº 2016/1628 du 14 sept. 2016 sur les limites d'émission pour les gaz polluants et les particules polluantes et la réception par type pour les moteurs à combustion interne).


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