La responsabilité du vendeur pour omission d’une servitude non apparente : Analyse de l’arrêt de la Cour d’appel de Dijon du 6 novembre 2018.


Par Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste et Docteur en droit privé.


Dans un arrêt marquant du 6 novembre 2018, la Cour d’appel de Dijon a tranché en faveur d’un acheteur, la SCI Devin, ayant découvert l'existence d'une servitude de canalisation d'assainissement non signalée dans l’acte de vente par le vendeur, la SCI Morro Montceau les Mines. Cet arrêt est riche en enseignements sur l’obligation d’information du vendeur et sur les limites de l’invocation des clauses de non-garantie lorsqu’elles visent à exonérer celui-ci de sa responsabilité.

Les faits et le contexte juridique

Par acte notarié du 13 juin 2013, la SCI Morro a vendu un bâtiment à usage de dépôt à la SCI Devin. L’acte de vente stipulait que le bien était vendu « en l’état », sans garantie pour d'éventuelles servitudes. Cependant, postérieurement à l’achat, la SCI Devin a découvert la présence d’une servitude de canalisation d’assainissement sur le terrain, ainsi que des zones polluées dues à la présence de cuves enfouies contenant des hydrocarbures. Cette découverte a eu des conséquences importantes sur la faisabilité du projet de la SCI Devin, obligeant l’acquéreur à effectuer des travaux coûteux de dévoiement de canalisation et de dépollution.

La SCI Devin a donc assigné la SCI Morro en réparation du préjudice subi, arguant que cette dernière avait manqué à son obligation d’information en omettant de mentionner la servitude dans l’acte de vente. La question posée était de savoir si le vendeur pouvait échapper à sa responsabilité en invoquant la clause de non-garantie, ou s’il devait répondre de son manquement.

L’obligation d’information du vendeur

La base légale sur laquelle repose cette décision est avant tout l’obligation d’information. Cette obligation trouve son fondement dans l’article 1112-1 du Code civil, qui impose au vendeur de fournir toutes les informations déterminantes pour le consentement de l’acheteur, notamment les caractéristiques essentielles du bien vendu. En vertu de cette obligation, le vendeur doit révéler toutes les informations dont il a connaissance et qui sont susceptibles d’affecter l’usage ou la valeur du bien, en particulier lorsqu’il s’agit de servitudes non apparentes.

En l’espèce, la Cour a retenu que la servitude de canalisation constituait une charge significative sur le bien et que la SCI Morro, qui en avait connaissance, aurait dû en informer l’acheteur. La cour d’appel a estimé que cette omission constituait une faute contractuelle du vendeur. Le simple fait pour le vendeur de taire une information cruciale, alors qu’il connaissait la servitude, suffisait à engager sa responsabilité.

La clause de non-garantie : une limite insuffisante face à la faute du vendeur

La SCI Morro avait tenté d’exonérer sa responsabilité en invoquant une clause de non-garantie incluse dans l’acte de vente, qui précisait que le bien était vendu « en l’état ». Cependant, cette clause ne pouvait avoir d’effet dans ce cas précis. En effet, la Cour d’appel a rappelé que, si une telle clause permet au vendeur de se prémunir contre des vices cachés, elle ne peut pas s’appliquer lorsqu’il s’agit d’une faute de dissimulation intentionnelle d’une servitude dont le vendeur avait connaissance.

Ainsi, même si l’acte de vente contenait une clause exonératoire, la Cour a considéré qu’une servitude non apparente, non déclarée par le vendeur, ne pouvait être couverte par cette clause, car il s’agissait d’une faute du vendeur, et non d’un simple vice caché. Cette jurisprudence vient confirmer que les clauses de non-garantie ne peuvent servir à couvrir une dissimulation volontaire ou une négligence caractérisée.

Le dol du vendeur et la bonne foi contractuelle

Bien que la Cour ne qualifie pas expressément cette dissimulation de dol, il convient de s'interroger sur cette notion. En effet, le dol se définit comme le fait, pour une partie, d'induire l'autre en erreur par des manœuvres ou par réticence dolosive, c'est-à-dire en lui cachant volontairement une information. Dans cette affaire, le vendeur, un professionnel, avait la connaissance certaine de l'existence de la servitude et a néanmoins affirmé dans l'acte qu'aucune servitude n'existait. Bien que la Cour ne fasse pas mention d'un dol à proprement parler, l’analyse montre que la SCI Morro a manqué à son devoir de loyauté et de bonne foi contractuelle en omettant une information essentielle.

Les conséquences pour l’acheteur et les recours possibles

La Cour a donc jugé que la SCI Devin était fondée à réclamer des dommages-intérêts pour compenser les frais de dévoiement de la canalisation et de dépollution du site. Ce préjudice économique résulte directement de la faute du vendeur, ayant manqué à son obligation d’information. L’acquéreur avait alors deux possibilités :

  • Exiger la résiliation de la vente, sur le fondement de l’article 1638 du Code civil, en raison de la présence d’une servitude non déclarée d’importance ;
  • Demander une indemnisation pour couvrir le coût des travaux de dévoiement de la canalisation, solution finalement retenue, étant donné que l’acheteur souhaitait conserver le bien.

La Cour a confirmé cette solution en indiquant que si la SCI Devin avait eu connaissance de cette servitude, elle aurait pu négocier le prix en conséquence, voire renoncer à l’achat.

En conclusion : une jurisprudence protectrice des droits de l’acheteur

Cet arrêt de la Cour d’appel de Dijon réaffirme la force de l’obligation d’information du vendeur, en particulier dans le cadre de transactions immobilières. Cette jurisprudence confirme que le vendeur ne peut pas se dérober à cette obligation, même en insérant une clause de non-garantie dans l’acte de vente. Le manquement à cette obligation engage sa responsabilité et peut conduire à la résiliation de la vente ou à l’octroi de dommages-intérêts.

La décision de la Cour d’appel illustre par ailleurs que le vendeur professionnel, même lorsqu’il vend à un autre professionnel, doit respecter des exigences strictes de transparence et d’information. Cette affaire est donc particulièrement significative pour les acquéreurs et les praticiens du droit immobilier, en rappelant que les clauses de non-garantie ne sont pas une protection absolue et ne sauraient couvrir une négligence ou une réticence du vendeur.

Me Laurent GIMALAC, Avocat et docteur en droit privé,

Lauréat de l’Université. 


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