Réserve héréditaire : une protection qu’il est difficile de contourner?

Par Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste Docteur en droit privé




La réserve héréditaire permet de protéger les héritiers en empêchant le « de cujus » de les écarter de sa succession.

La France reste pour le moment attachée à cette protection et ne souhaite pas la supprimer à brève échéance.

Interrogée sur l’avenir de la réserve héréditaire (qui est rapportée à l’article C. civ., art. 913), la garde des Sceaux a rappelé qu’il n’est pas envisagé d’en modifier la portée (v. Rép. min. à QE n° 118960, JOAN Q. 7 févr. 2012, p. 1118, RLDC 2012/91, En bref, p. 56) et ce, malgré la ratification du règlement sur les successions internationales.

Pour autant, cela n’a pas dissuadé certaines personnes d’essayer de contourner cette sacro-sainte règle avec plus ou moins de bonheur. On verra en effet que la jurisprudence veille au strict respect des droits des héritiers réservataires.


I - LE LEG DOIT RESPECTER LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE


Un leg ne saurait justifier le contournement des règles successorales, et notamment empiéter sur la réserve.


Un arrêt de la Cour de cassation a été rendu au visa de l’art. 913 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006 lequel indique qu’aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi.


La Cour casse l’arrêt de la cour d’appel rappelant que l’on ne peut renoncer tacitement à ses droits d’héritier réservataires en présence d’un leg :


"Pour confirmer le jugement ayant débouté M. X de sa demande, après avoir constaté qu'il avait demandé personnellement le règlement du montant des sommes faisant l'objet du legs à l'organisme en charge de leur gestion, l'arrêt d'appel retient que si M. X entend faire protéger son droit d’héritier réservataire pour limiter les effets du legs à la quotité disponible, il n'a pas entendu user de cette faculté lors des opérations de liquidation de la succession de sa mère de sorte qu'il ne peut s'en prévaloir dans cette instance alors que la succession de sa mère est close et qu'il l'a acceptée. En se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que M. X n’avait pas mis les biens légués à la disposition de la communauté, de sorte qu’il ne pouvait en être déduit qu'il eût renoncé au droit d'exiger le cantonnement du legs à la quotité disponible, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui en découlaient" (Cass. Civ. 1re, arrêt n° 850 du 11 sept. 2013, pourvoi N° 12-11.694)


II - LE CALCUL DE LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE EST AUSSI D’ORDRE PUBLIC


Un autre moyen astucieux de contourner la règle serait d’adopter des règles de calcul plus favorables à l’héritier devant rapporter sa donation à la masse partageable.

Mais là encore, la jurisprudence veille et refuse toute entorse au règlement.

En l’espèce, l’acte notarié de donation stipulait, dans un paragraphe intitulé «  apport" : "les parties conviennent que les valeurs comprises dans la présente donation seront évaluées à la date de ce jour pour l'imputation et le calcul de la réserve auxquels il y aura lieu éventuellement de procéder lors du règlement de la succession du survivant des donateurs".

La cour d’appel de Douai rappelle avec fermeté qu’une telle clause est nulle pour violation des dispositions d’ordre public de l’art. 922 du Code civil lequel impose, pour le calcul de la réserve, que les biens objets de la donation soient fictivement réunis aux biens de la succession d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession (Cour d'appel de Douai, Ch. 1, sect. 1, 28 août 2014, RG 13/04221).

On ne saurait donc être trop prudent en essayant de contourner les règles de succession, un contentieux risque de naître de la volonté de privilégier un héritier par rapport à un autre si les dispositions du code civil ne sont pas scrupuleusement respectées.

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