Ouverture d’un centre de traitement de déchets : que peuvent faire les collectivités et les voisins pour s’y opposer ? 2

Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement. 


La création d'un centre de traitement des déchets n'est pas une mince affaire. Elle suppose l'élaboration d'un dossier complexe, qui va être soumis la plupart du temps à une autorisation environnementale. 


1°/ Un statut juridique complexe

Les stockages de déchets constituent une catégorie d'installations classées particulière. Ces installations sont soumises à la législation spéciale des installations classées (ICPE) ainsi que la  la législation relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux. 

Ce qui implique une accumulation de textes divers à leur égard.

Ainsi on trouvera des dispositions s’appliquant aux centres à plusieurs reprises dans le code de l’environnement  :

— l'article L. 512-4 du Code de l'environnement ; les articles L. 512-14 et suivants du Code de l'environnement ; l'article L. 515-14 du Code de l'environnement ; l'article L. 516-1 du Code de l'environnement ;

— les articles L. 541-2 et suivants du Code de l'environnement ;

— les articles R. 541-42 et suivants du Code de l'environnement, relatifs au contrôle des circuits de traitement des déchets ;

— les articles R. 541-7 et suivants du Code de l'environnement, relatifs à la classification des déchets ;

— les articles R. 512-2 et suivants, R. 512-19, R. 512-34, R. 515-24 et R. 516-1 du Code de l’environnement.


Mais aussi dans plusieurs arrêtés pris en application du Code de l’environnement :

— l'arrêté du 6 juin 2018, NOR : TREP1800801A, relatif aux prescriptions générales applicables aux installations de transit, de regroupement, tri ou préparation en vue de la réutilisation des déchets relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique no 2711 (déchets d'équipements électriques et électroniques), 2713 (métaux ou déchets de métaux non dangereux, alliage de métaux ou déchets d'alliage de métaux non dangereux), 2714 (déchets non dangereux de papiers, cartons, plastiques, caoutchouc, textiles, bois) ou 2716 (déchets non dangereux non inertes) de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;

— l'arrêté du 6 juin 2018, NOR : TREP1800782A, relatif aux prescriptions générales applicables aux installations de transit, de regroupement, tri ou préparation en vue de la réutilisation des déchets relevant du régime de la déclaration au titre de la rubrique no 2711 (déchets d'équipements électriques et électroniques), 2713 (métaux ou déchets de métaux non dangereux, alliage de métaux ou déchets d'alliage de métaux non dangereux), 2714 (déchets non dangereux de papiers, cartons, plastiques, caoutchouc, textiles, bois) ou 2716 (déchets non dangereux non inertes) de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement.

La liste n’est pas limitative, et il est difficile de faire aujourd’hui l’inventaire de toutes ces règles.


2°/ Des effets à prendre en compte au niveau local 


Cette installation peut générer des nuisances à l'égard du voisinage immédiat, et ce dernier doit pouvoir connaître ses droits afin de pouvoir le cas échéant participer à la procédure d’autorisation ou d’opposer à la réalisation du projet.

Quand le projet a un impact sur l'ensemble d'une commune ou plusieurs communes réunies, il n'est pas rare que les mairies organisent des réunions auprès de leurs administrés afin de leur donner des indications sur la nature des équipements en cause, et pour recueillir un sentiment général sur leur acceptabilité par la population.

Il sera très utile dans un premier temps d'examiner l'étude d’impact qui doit être remise par l’exploitant dans son dossier.

Dans la mesure où la procédure d'autorisation suppose la réalisation d'une enquête publique, les administrés seront également bien avisés d'intervenir auprès du commissaire enquêteur pour faire leurs observations. En effet, l’article L. 512-2 du Code de l’environnement, dispose que l’autorisation d’exploiter « est accordée par le préfet, après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du présent code relative aux incidences éventuelles du projet sur les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 ».

Leurs observations et critiques seront consignées par le commissaire enquêteur qui rendra ensuite un avis favorable, favorable avec réserve ou un avis défavorable.

Certes, l'autorité décisionnaire qui est le préfet n’est pas tenue de suivre cet avis dans sa prise de décision. Toutefois, les tiers auront ensuite la possibilité d'invoquer le moyen tiré de l’irrégularité de l’enquête publique devant le tribunal administratif (CAA Lyon, 17 août 2010, n° 09LY01165, Sté SFAG).

Les tentatives pour faire annuler les autorisations en raison de l'irrégularité de l’enquête publique ne sont pas toujours couronnées de succès : ainsi, il a été jugé que l’avis émis par la commission d’enquête était suffisamment motivé, dès lors que les conclusions de cet organisme « tiennent compte des observations du public, et notamment des préoccupations relatives à la pollution de la nappe phréatique », et qu’il a émis « son avis favorable sous trois conditions tenant à l’obtention de l’avis favorable d’un hydrogéologue agréé, à la mise en place d’un programme de suivi des puits des particuliers et à la compatibilité du projet avec le futur plan local d’urbanisme de la commune » (CAA Marseille, 11 juillet 2011, n° 09MA02014, Comité de Sauvegarde de Clarency-Valensole).


3°/ Application du PLU et en cas de nécessité de changement des règles d’urbanisme locales pour accueillir le projet avec le PIG (projet d’intérêt général)


L’article L. 123-5 du Code de l’urbanisme consacre l’opposabilité des dispositions du POS/PLU aux projets d’ouverture d’installations classées soumises à autorisation. Il dispose : « Le règlement et ses documents graphiques sont opposables à toute personne publique ou privée pour l’exécution de tous travaux, constructions, plantations, affouillements ou exhaussements des sols, pour la création de lotissements et l’ouverture des installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan ».

Il en résulte que l’exploitation d’une installation classée soumise à autorisation ne peut être autorisée que si elle est compatible avec les dispositions du POS/PLU (CE, 30 juin 2003, SARL Protime, CAA Bordeaux, 22 févr. 2007, nº 02BX00376, Sté Le Colombier Thoiry Parc).

Toutefois, un projet peut-être qualifié d’intérêt général par arrêté préfectoral (PIG) selon l’article R. 121-4 du Code de l’urbanisme et cela afin d'être pris en compte dans le document d’urbanisme. Celui-ci doit alors être rendu compatible avec ledit projet.

Mais si la commune ou l’EPCI compétent refuse de le faire et de ne procède pas à la révision ou à la modification du PLU, le préfet de département pourra alors se substituer au conseil municipal pour engager et approuver, après avis du conseil municipal et enquête publique, la révision ou la modification du plan.

En matière contentieuse, il s’est posé la question de savoir si une commune voisine avait qualité ou intérêt pour attaquer un PIG.

Un Tribunal administratif a rejeté une telle demande, après avoir soulevé d’office le moyen tiré du défaut d’intérêt pour agir de la commune au motif que cette dernière ne justifiait pas d’un intérêt pour agir en se bornant à faire état de la proximité du projet litigieux (Req. nº 1102124).

Le Conseil d’État a précisé dans l’arrêt du 4 juin 2012, SARL du parc d’activités de Blotzheim et SCI Haselaecker, que : « un arrêté portant déclaration d’un projet d’intérêt général s’impose aux documents d’urbanisme des personnes publiques auxquelles il est notifié ; qu’en revanche, ce n’est que par la modification de ces documents qu’il a des effets juridiques sur l’utilisation des sols, et que par suite, il n’est pas directement opposable aux autorisations d’urbanisme » ( BJDU 2012, p. 347, concl. D. Botteghi ; Dr. Adm. 2012, comm. nº 87, note S. Traoré).


4°/ Le recours des tiers 


S’agissant  des autorisations de mise en service d’une installation classée, l’article R. 514-3-1 du Code de l’environnement prévoit qu’elles peuvent être soumises à la juridiction administrative « par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l’installation présente pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 (...) ». 

Une association peut agir pour contester une autorisation administrative mais à condition de remplir plusieurs conditions.

En effet, suivant  l’article L. 142-1 du Code de l’environnement : « Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci ».

Encore faut-il que l’association puisse justifier d’un intérêt à agir ce qui suppose que son objet social prévoit de manière suffisamment précise qu’elle agisse pour protéger l’environnement dans l’espace géographique considéré et pour contrer un projet d’installation. Par exemple, il a été jugé que l'objet social défini à l’article 1er des statuts de l’association « Chasse, pêche, nature et traditions » ne confère pas à cette dernière un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation d’une autorisation d’exploiter une unité de traitement de déchets industriels). Une association qui a un champ d’action géographique trop large se verra refuser la reconnaissance d’un intérêt de nature à lui donner qualité pour demander l’annulation d’une décision administrative ayant une portée strictement locale (CE, 27 mai 1991, Fédération régionale des associations de protection de la nature c/Franck, Rec. CE, tables, pp. 1109 et 1264).

Inversement la Cour administrative de Marseille a confirmé l’intérêt à agit d’une association qui  « a notamment pour objet la défense des intérêts des habitants du quartier de Saint-Pierre, sur le territoire de la commune de Martigues et (...) la protection du site de Saint-Pierre ». Elle a considéré que cette association a « intérêt pour agir contre l’arrêté préfectoral contesté qui autorise l’exploitation d’un centre de stockage de déchets sur le territoire de la commune de Martigues à proximité dudit quartier, lequel sera nécessairement affecté par les nuisances engendrées » (CAA Marseille, 4 juillet 2011, nº 09MA00154, Communauté d’agglomération de l’Ouest de l’etang de Berre).

De même l’association devra veiller a être constituée suffisamment tôt avant l’octroi des autorisations d’urbanisme car: « une association n’est recevable à agir contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l’association en préfecture est intervenu antérieurement à l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire » (CAA Nantes, 29 juin 2012, nº 11NT00712, Association des rives du Blone pour le respect de l’environnement).

Les tiers pourront également exciper de l’illégalité du POS/PLU à l’appui d’un recours dirigé contre une autorisation d’exploiter une installation classée (CE, Sect., 7 févr. 1986, Colombet, Rec. CE, p. 29).

Une fois saisi par une personne ayant qualité pour le faire et dans les délais légaux, le juge administratif dispose de pouvoirs élargis qui relèvent du « plein contentieux ». 

Le juge  des installations classées peut prononcer l’annulation d’une autorisation s’il apparaît que les atteintes aux intérêts protégés à l’article L. 511-1 ne peuvent être prévenues par les prescriptions dont l’arrêté préfectoral qui la délivre est assorti (CAA Bordeaux, 28 juin 2007, n° 06BX01233, Sté Somera).

Il doit en effet s’assurer que le projet d’installation qui présente  "des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique » soient pris en compte dans l’autorisation et qu’ils soient prévenus par des mesures appropriées dans l’arrêté. 

Par exemple, si le projet nécessite mouvements de transport importants, le juge contrôle que "l’arrêté préfectoral litigieux a limité à un maximum de 15 mouvements par jour, avec une moyenne de 10 mouvements par jour, la circulation des véhicules assurant le transport des matériaux extraits,  l’exploitant s’est engagé à éviter le passage des véhicules devant l’école communale pendant les heures d’entrée et de sortie des enfants et de récréation ; de troisième part, eu égard à son profil et à sa largeur, la voie est de nature à permettre, dans des conditions de sécurité satisfaisantes » (CAA Lyon, 2 août 2011, n° 10LY01674, Association pour le développement durable de Rochechinard et du Royans).

De même, le juge vérifie si l’étude d’impact n’omet pas des informations essentielles et sanctionne l’étude d’impact, jointe au dossier de demande de mise en service d’une carrière, qui « ne comportait pas d’indications ni sur la proportion, dans le polyacrylamide utilisé, du monomère d’acrylamide, dont la présence n’était même pas évoquée, ni sur les effets sur la santé de ce dérivé dont le caractère dangereux est reconnu en cas de forte concentration » (CE, 26 juillet 2011, n° 322828, Sté GSM).

Le Conseil d’État s’est même reconnu dans leader du plein contentieux le pouvoir de substituer ses propres décisions à celles de l’administration (CE, 25 févr. 1876, Duboys d’Anger, Rec. CE, p. 191 ; CE, 16 janv. 1891, Sieur Tschupp, Rec. CE, p. 1), pouvoir qui a été ensuite consacré par le législateur (Loi n° 92-654,13 juill. 1992).


5°/ Une obligation de traitement ou d'élimination qui s’impose aux collectivité territoriales pour certains déchets 


La loi nº 92-646 du 13 juillet 1992 relative à l’élimination des déchets ainsi qu’aux installations classées impose aussi aux départements et aux régions d’établir des documents de planification pour la gestion de leurs déchets.

Les communes n’ont pas le choix, elles doivent traiter certains déchets par application des obligations légales spécifiques.

L’article L. 2224-13 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que les communes éliminent les déchets des ménages. C’est un impératif catégorique.

L’article L. 2224-14 précise en revanche qu’elles assurent l’élimination des autres déchets qu’elles peuvent, eu égard à leurs propriétés et aux quantités en cause, collecter et traiter sans sujétions techniques particulières.

Au-delà de ces déchets ménagers et assimilés, les collectivités territoriales doivent également récupérer les déchets de voiries et de marché ainsi que les boues de station d’épuration gérées dans le cadre du service public de l’assainissement. 

Pour les déchets industriels banals, les communes ne doivent assurer leur élimination que lorsqu’elles procèdent à leur collecte avec les ordures ménagères ou lorsqu’elles mettent en place un service spécifique.

Derrière le terme d’élimination des déchets ménagers,  il faut comprendre la mise en place de tout un processus également défini par la règlementation :  l’article L. 541-2 du Code de l’environnement la précise qu’elle « comporte les opérations de collecte, transport, stockage, tri et traitement nécessaires à la récupération des éléments et matériaux réutilisables ou de l’énergie, ainsi qu’au dépôt ou au rejet dans le milieu naturel de tous autres produits dans des conditions propres à éviter les nuisances ».

La charge de cette élimination est tellement forte que certains communes sont contraintes de la gérer via des structures inter communales (voir  transferts de compétences en matière de déchets ménagers sont régis par l’article L. 2224-13 du CGCT).



Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,

Avocat spécialiste en droit de l’environnement.



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