Protection des idées dans le secteur de la lingerie

Par Laurent Gimalac, Ancien Professeur à l’ISEM (ESMOD Paris) et à SUP DE LUXE (Groupe EDC, Paris) et Avocat 


La mode appartient à tous... Etre copié, c’est la rançon de la gloire... A les entendre, bon nombre de créateurs du secteur de la mode sont devenus fatalistes et ne croient plus vraiment à une réelle sauvegarde juridique de leurs idées et des manifestations de leur esprit ingénieux. En réalité, à l’instar d’autres créations de l’esprit, la création saisonnière de l’habillement (pour reprendre la terminologie du législateur) bénéficie d’une reconnaissance juridique et par la même d’un dispositif de protection.

La lingerie, une œuvre de l’esprit...

Force est de rappeler que l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) qui contient la liste des œuvres de l’esprit vise expressément (tout comme la convention de Berne) les créations saisonnières de l’habillement et de la parure. Le code précise que sont réputées entrer dans cette définition, « les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment (...) la lingerie...». Il ne s’agit néanmoins que des créations susceptibles d’être protégées en raison de leur « originalité». Un terme qui reste encore difficile à appréhender, la mode empruntant souvent beaucoup aux cultures existantes ou ayant existé par le passé.

Une parure est considérée comme un modèle...

La création dans l’habillement bénéficie également de la protection légale sur les dessins et modèles qui s’applique à tout dessin nouveau, « à toute forme plastique nouvelle, à tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle” (L. 511-1 du CPI). La jurisprudence lorsqu’elle se réfère à ce texte confond très souvent le critère de la nouveauté avec celui de l’originalité alors qu’il ne s’agit pas exactement de la même chose. Elle introduit une difficulté supplémentaire la nouveauté étant plus facile à apprécier que l’originalité qui a une connotation subjective.

Dans les deux cas de figure, le style, l’apparence doit se détacher de la simple fonction d’usage : une action en contrefaçon est par exemple rejetée lorsque le modèle « n'est pas une création artistique, mais une création purement utilitaire dont l'originalité réside dans un système de repli en petites dimensions, assurant toutefois le maintien du plissage » (Cass. crim., 10 oct. 1961 : Bull. crim. n° 391 ; JCP G 1961, IV, 157).

Les procédés techniques inventifs peuvent-être brevetés...

Les procédés techniques nécessaires à l’élaboration des modèles sont également dignes de protection. Le dépôt d’un brevet de fabrication pour un nouveau modèle de lingerie n’est cependant pas une pratique courante car il suppose la réunion de plusieurs conditions : une activité inventive, originale, et susceptible d’une exploitation industrielle. Tel est pas le cas par exemple d’un concept révolutionnaire de slip à poche horizontale pour homme. En revanche, le savoir-faire, comme par exemple « les données contenues dans les fichiers informatiques ... constituent une oeuvre de l'esprit originale bénéficiant de la protection du droit d'auteur » (Cass. 1re civ., 25 janv. 2000).

Une jurisprudence qui condamne les comportements déloyaux et les contrefaçons :

Ces dispositions légales permettent aux entreprises du secteur de la lingerie d’engager des procédures judiciaires afin de faire respecter leurs droits privatifs (action en contrefaçon de marque, de brevet, de modèle...) ou tout simplement pour sanction des comportements déloyaux de concurrents indélicats (action en concurrence déloyale, action en parasitisme) qui se traduisent par une perte de clientèle. Une saisie-contrefaçon permettra également d’interdire la vente des articles illégaux sur le marché.

Lorsque les dossiers sont bien préparés, les sanctions tombent. Ainsi, la contrefaçon d’une marque de lingerie constitue un délit passible d’une peine d’emprisonnement et/ou d’une amende. Récemment, une société a été condamnée pour avoir imité le nom d’une célèbre marque de lingerie française en exploitant un site internet pouvant créer dans l’esprit des consommateurs une confusion. Certes, le nom du site était orthographié différemment mais la ressemblance phonétique était évidente (TGI Paris, 30 avr. 2003, Affaire Chantelle).

Un procédé inédit d’ouverture extérieure à l’horizontale d’un slip pour homme imité par une société concurrente a fait l’objet en 2002 d’un

jugement devant le tribunal de commerce de Marseille qui a finalement accordé une première indemnité de dédommagement à l’entreprise poursuivante laquelle se plaignait d’une imitation non autorisée de son invention brevetée (150.000 euros). Les juges ont également ordonné l’arrêt de la fabrication et de la commercialisation du modèle qui a été qualifié de contrefaçon.

Enfin, il a été jugé qu’un modèle de sous-vêtement consistant en un ensemble soutien-gorge et slip confectionné en dentelle pour partie en nid d’abeille et pour partie en motifs fleuris, les pétales de fleurs ourlant la bordure des échancrures, était protégeable par le droit d’auteur. L’imitation de ce modèle constitue donc une contrefaçon même s’il existe de légères différences sur la copie (les pétales de fleurs qui ne sont pas de la même taille...)

L’espoir est donc permis aux victimes des copies illicites mais elles ne doivent toutefois pas perdre de vue qu’une transaction est souvent préférable à un long procès ... à condition qu’elle soit rédigée avec circonspection ! 

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