La difficile définition des parties communes à jouissance privative en copropriété : critères, fondements et conséquences juridiques

Par Me Laurent Gimalac, Avocat spécialiste et docteur en droit privé.


En droit de la copropriété, la qualification des parties communes à jouissance privative constitue un sujet de difficultés juridiques récurrentes. Si leur existence est aujourd'hui consacrée par la loi, leur nature exacte et leurs effets restent sujets à interprétation et discussions. En effet, il s'agit d'un droit paradoxal conférant à un copropriétaire un usage exclusif sur une partie commune, ce qui semble aller à l'encontre du principe d'indivision des parties communes.

Cet article se propose d'examiner la difficulté de définition des parties communes à jouissance privative en étudiant d'abord les critères de qualification posés par la loi et la jurisprudence, avant d'examiner les conséquences pratiques et juridiques de cette qualification pour les copropriétaires, notamment en termes de responsabilités.

1. Une qualification encadrée mais incertaine : les critères de définition

1.1. Une qualification légale récente et incomplète

Jusqu'à la loi ELAN (n° 2018-1021 du 23 novembre 2018), la notion de parties communes à jouissance privative relevait essentiellement de la jurisprudence. Désormais, l'article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965 consacre leur existence en les définissant comme :

"Les parties communes affectées à l'usage ou à l'utilité exclusifs d'un lot. Elles appartiennent indivisément à tous les copropriétaires. Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d'un lot."

Ainsi, deux critères cumulatifs doivent être remplis :

  • L'affectation à l'usage exclusif d'un lot (critère substantiel),
  • La mention expresse dans le règlement de copropriété (critère formel, article 6-4 de la loi de 1965).

Cependant, cette définition demeure incomplète, notamment sur la nature du droit conféré : s'agit-il d'un droit réel ou d'un simple droit d'usage personnel ?

1.2. Une reconnaissance jurisprudentielle fluctuante

La Cour de cassation a fluctué sur la nature juridique de ce droit. Dans un premier temps, elle a reconnu un caractère réel et perpétuel ( Cass. 3e civ., 4 mars 1992, n° 90-13.145), confirmé en 2007 (Cass. 3e civ., 6 juin 2007, n° 06-13.477). Toutefois, cette qualification ne fait pas l'unanimité, car elle semble en contradiction avec le principe d’indivision des parties communes.

Le droit de jouissance privative ne confère pas un droit de propriété, mais empêche les autres copropriétaires d'exercer leur droit de jouissance sur la partie concernée. Il s'agit donc d'un droit hybride, oscillant entre un droit réel accessoire et un simple droit d'usage.

2. La mise en œuvre en copropriété : comment identifier les parties communes à jouissance privative ?

2.1. La nécessité d'une mention expresse dans le règlement de copropriété

L'article 6-4 de la loi de 1965 impose que l'existence des parties communes à jouissance privative soit mentionnée expressément dans le règlement de copropriété. Cette exigence a pour objectif de garantir la transparence et d'éviter des contestations ultérieures.

Toutefois, pour les copropriétés mises en place avant le 1er juillet 2022, la loi 3DS du 21 février 2022 a prévu une neutralisation des effets de l'article 6-4, permettant de conserver des droits de jouissance privative non expressément mentionnés dans le règlement.

3. Les conséquences juridiques et la question des responsabilités

3.1. La responsabilité du syndicat et des copropriétaires

La responsabilité du syndicat des copropriétaires et celle du titulaire du droit de jouissance privative peuvent coexister en cas de dommages causés par ces parties communes. Selon la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 26 janv. 2022, n° 20-23.614), la responsabilité du syndicat n'exclut pas la responsabilité d'un copropriétaire si les dommages proviennent d'aménagements qu'il a réalisés.

En outre, lorsque des travaux non autorisés sont effectués sur des parties communes à jouissance privative et causent un préjudice, la responsabilité peut être engagée tant à l'égard du copropriétaire concerné que du syndicat si celui-ci a manqué à son obligation de surveillance (Cass. 3e civ., 25 janv. 2023, n° 22-12.874).

3.2. Risques encourus en cas de modification ou de dégradations

Le copropriétaire bénéficiant d'un droit de jouissance privative doit veiller à ne pas dégrader la partie concernée. Il est responsable de l'entretien des aménagements qu'il y réalise, et il ne peut en aucun cas modifier la destination des lieux sans autorisation. Par exemple, un copropriétaire disposant de la jouissance privative d'un jardin commun ne peut pas y installer une piscine ou y construire une véranda sans obtenir l'accord de l'assemblée générale des copropriétaires. De même, un copropriétaire bénéficiant de la jouissance exclusive d'une terrasse ne peut pas y poser une structure fixe comme une pergola sans approbation préalable. En cas de manquement, il s'expose à des sanctions pouvant aller jusqu'à l'obligation de remise en état et au paiement de dommages-intérêts en cas de préjudice causé aux autres copropriétaires ou au syndicat.

Ainsi, en cas de dommages causés aux autres copropriétaires ou aux tiers, il pourra être tenu responsable sur le fondement de l'article 1240 du Code civil (responsabilité délictuelle).

Conclusion

La reconnaissance des parties communes à jouissance privative repose sur une définition hybride. Si elles confèrent un droit d'usage exclusif, elles n'exonèrent pas leurs titulaires de responsabilités importantes, tant vis-à-vis du syndicat que des autres copropriétaires.


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