Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.
L’action pour trouble anormal du voisinage peut-elle être préventive ?
Jusque là réservée aux troubles et nuisances déjà constatés par attestations ou procès-verbal d’huissier de justice, l’action pour trouble anormal du voisinage semble trouver un nouveau terrain de développement à travers l’action préventive.
L’intérêt d’une telle possibilité n’est plus à démontrer : ainsi un projet de construction en soi, peut constituer un risque avéré pour le voisin qui va perdre une jolie vue, ou qui va subir du fait des travaux des nuisances importantes.
Il était déjà admis qu’un voisin puisse puisse engager une action civile parallèlement à une action administrative contre le permis de construire mais les cas concernaient des constructions en cours d’édification, les troubles étant réels et actuels.
La Cour de cassation a adopté une position de plus en plus audacieuse en reconnaissant la prise en compte du simple risque de dommage. Des décisions de la Cour ont établi que l'exposition à un risque de dommage pouvait constituer un trouble anormal de voisinage. Cependant, il convient de noter que ces décisions concernaient des cas où les probabilités de réalisation du dommage étaient élevées.
Il convient de citer, par exemple, un arrêt en date du 24 février 2005, la Cour de cassation va beaucoup plus loin. Il était reproché au voisin d’entreposer des meules de paille en limite de son terrain et à proximité d’une maison d’habitation appartenant au plaignant. Or ces meules étaient particulièrement inflammables et il existait donc un risque d’incendie… (Voir l'arrêt rendu par la Cour de Cassation, 24 février 2005, n° 04-10362). La Cour considère qu’un simple risque même non réalisé peut constituer un trouble anormal de voisinage, et de ce fait elle valide l’idée d’une action préventive à travers cette action judiciaire. Elle confirme l’arrêt rendu par la Cour d’appel qui avait ordonné la suppression du stock de paille.
On trouvait la trace d’un tel raisonnement dans des affaires plus anciennes, et notamment dans un arrêt en date du 25 mars 1991 dans lequel, la Cour de cassation a considéré qu’un risque d’éboulement et de chute de rochers auquel étaient exposés des riverains en aval pouvait constituer un trouble anormal de voisinage, ce qui obligeait le propriétaire des sols situés en amont d’y mettre fin en réalisant des travaux.
On se doit de citer également un autre arrêt « dans la même veine » rendu le 5 février 2004 concernant un propriétaire qui se plaignait d’avoir subi un certain nombre de dégradations sur son fonds, causées par la chute d’arbres plantés sur le terrain voisin. Il invoquait un risque d’aggravation de son dommage, car d’autres arbres menaçaient de s’effondrer sur son fonds, mais il s’agissait d’un dommage non encore réalisé et d'un risque certain…
Certains juges du fond ont été encore plus audacieux en reconnaissant l'existence d'un trouble anormal de voisinage dans des affaires d'implantation d'antennes relais de téléphonie mobile. Ils ont considéré que l'exposition non consentie à un risque, même si ce risque était scientifiquement incertain, constituait un trouble anormal de voisinage.
Ainsi, le tribunal de grande instance de Toulon a eu l’occasion de mettre en application cette nouvelle « théorie » au sujet de l’implantation des antennes relais. Il a retenu l’existence d’un trouble anormal de voisinage dès lors que l’exposition au risque n’est pas consentie et même si la réalité de celui-ci n’est pas scientifiquement démontrée (tribunal de grande instance de Toulon, jugement du 20 mars 2006). Ainsi, il retient l’existence d’un tel trouble au motif qu’« il ne peut être imposé à un voisin, contre son gré, l’exposition à un risque, même hypothétique, avec la seule alternative de devoir déménager s’il se refuse à assumer ce risque ».
Dès qu’un risque sérieux existe, il est donc possible de demander la cessation de ce risque par l’action pour troubles anormaux du voisinage. Cette évolution de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage, d'une fonction de réparation à une fonction de prévention, est une tendance importante à suivre. Les décisions à venir, notamment celles de la Cour de cassation, seront cruciales pour déterminer l'étendue de cette évolution et son impact sur la prévention des dommages causés par des activités potentiellement nuisibles.
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement.