Par Laurent GIMALAC, Docteur en droit, Lauréat et Avocat spécialiste en droit de l’environnement.
Alors même que nous cherchons à rendre le droit de l’environnement plus effectif par les procédures civiles d’exécution, certaines règles du droit de l’environnement organisent la protection de certains biens ou sommes contre l’exécution forcée.
Le droit de l’environnement peut apparaître comme un obstacle à l’exécution civile lorsqu’il organise l’insaisissabilité de certains biens, comme les sommes consignées en garantie financière pour les activités polluantes (article L. 171-8 du code de l’environnement). Cette insaisissabilité relative poursuit cependant une finalité d’intérêt supérieur : préserver les ressources destinées à la réparation de l’environnement. Si elle limite la prérogative des créanciers ordinaires, elle n’empêche pas l’exécution au bénéfice de l’environnement lui-même. Elle illustre ainsi l’émergence d’un ordre public écologique qui tend à primer sur la logique patrimoniale classique
I. Le principe : le droit commun de l’exécution forcée vise en théorie tous les biens du débiteur
En matière civile, l’article 2284 du code civil dispose que :
"Quiconque s'est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir."
Et le code des procédures civiles d'exécution organise la saisie de ces biens pour forcer l'exécution.
Logique classique : le patrimoine est le gage commun des créanciers.
Mais ce principe connaît des exceptions : certains biens sont insaisissables par nature ou par effet de la loi.
II. L’exception environnementale : exemple de l'article L. 171-8 du code de l’environnement
Examinons précisément le texte :
Article L. 171-8 C. env. :
"Les sommes consignées dans le cadre des garanties financières prévues pour l'exercice d'activités ou d'installations susceptibles de porter atteinte à l'environnement sont insaisissables par les créanciers du titulaire de l'autorisation ou de la déclaration, à l'exception des créanciers de l'environnement et des créanciers bénéficiaires de ces garanties."
✔️ Ce texte concerne les sommes consignées au titre des garanties financières environnementales, par exemple pour :
- La gestion post-exploitation des déchets,
- La réhabilitation des carrières,
- La cessation d’activité d’une ICPE.
✔️ Ces sommes sont expressément protégées contre la saisie par des créanciers ordinaires, car elles ont pour finalité exclusive la remise en état des sites et la prévention des risques environnementaux.
➡️ On protège ainsi l'intérêt supérieur de l'environnement contre les aléas de la situation financière du débiteur.
Remarque très importante :
Cette insaisissabilité n'est pas générale, elle est ciblée :
- Les "créanciers de l’environnement" et les bénéficiaires des garanties peuvent saisir ces sommes.
- Autrement dit, l’exception vise à sanctuariser ces sommes pour l'environnement, mais non pour le débiteur.
III. Analyse juridique : un obstacle apparent, mais une logique de protection de l'intérêt supérieur
✔️ Il s'agit d’un obstacle "salutaire", car il vise à :
- Préserver les fonds destinés à la protection ou à la réparation de l’environnement,
- Éviter que des créanciers classiques (banques, fournisseurs, etc.) ne viennent détourner des sommes affectées à la sécurisation environnementale.
✔️ Cette règle participe d’une logique de "pré-affectation environnementale" des ressources du débiteur.
En pratique :
- Oui, le droit de l’environnement bloque la saisie par les créanciers ordinaires,
- Mais non, il ne fait pas obstacle à l’utilisation des sommes pour l’objet prévu : remettre en état.
➡️ Ce n’est pas une insaisissabilité absolue, mais relative : une insaisissabilité au service de la finalité écologique.