Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement.
La protection de la biodiversité en France et en Europe s'articule autour de plusieurs textes législatifs et stratégies à différents niveaux : national, européen et international.
En France, la première loi protégeant la biodiversité date de 1906, ayant été suivie et complétée par des textes majeurs tels que la loi sur la protection de la nature du 10 juillet 1976, la loi de 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages, et la loi de 2006 concernant les parcs nationaux et les parcs naturels marins. Un jalon important a été la loi du 9 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Cette loi introduit plusieurs principes juridiques fondamentaux, tels que le principe du pollueur-payeur, le principe de non-régression en matière de protection environnementale, et le principe de solidarité écologique, favorisant une approche intégrée de la préservation et de la restauration de la biodiversité (Source: Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires).
Au niveau européen, l'Union européenne a adopté en 2011 une stratégie pour protéger et améliorer l'état de la biodiversité en Europe jusqu'en 2020. Cette stratégie aligne les engagements de l'UE avec ceux de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique et vise à réduire les pressions sur la nature à travers six objectifs principaux, notamment la mise en œuvre complète des directives « Oiseaux » et « Habitats », la préservation et la restauration des écosystèmes et de leurs services, et la lutte contre les espèces exotiques envahissantes.
Au niveau international, la Convention sur la diversité biologique (CDB), adoptée en 1992 dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies, constitue le cadre général pour la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique. Les 20 objectifs d'Aichi, adoptés lors de la CDB, forment le « Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 », et sont organisés en cinq buts stratégiques visant à intégrer la diversité biologique dans la société, réduire les pressions directes sur elle, et renforcer les avantages tirés de la biodiversité et des services écosystémiques.
Ces textes et stratégies constituent la base de la protection de la biodiversité en France et en Europe, illustrant l'approche multi-niveaux adoptée pour répondre à ce défi environnemental majeur.
Il reste à voir dans quelle mesure les tribunaux vont intégrer ces objectifs dans leur jurisprudence.
I - Décision majeure rendue en 2023 sur la responsabilité de l'Etat
Un jugement du tribunal administratif de Paris daté du 29 juin 2023, reconnaît la responsabilité de l'État dans l'effondrement de la biodiversité, liée notamment à la gestion des pesticides. Ce jugement est considéré comme historique car il établit un préjudice écologique dû à la contamination des sols et des eaux par les pesticides et reconnaît des manquements de l'État dans le respect des objectifs de réduction de l'utilisation des pesticides. Le juge a également établi un lien de causalité entre les carences de l'État et le préjudice écologique, enjoignant le gouvernement à prendre des mesures pour réparer et prévenir l'aggravation des dommages.
La décision du tribunal administratif de Paris en juin 2023, reconnaissant la responsabilité de l'État dans l'effondrement de la biodiversité lié à l'utilisation des pesticides, est perçue comme un progrès significatif, mais elle présente également des limites.
D'un côté, cette décision est historique car elle établit un lien entre les carences de l'État et le préjudice écologique. Elle marque une reconnaissance judiciaire de la responsabilité de l'État dans la protection de l'environnement et la biodiversité, et met en lumière l'importance du principe de précaution. Cela pourrait ouvrir la voie à une prise de conscience et à des actions plus poussées pour la protection de l'environnement.
D'un autre côté, des critiques ont été formulées quant à l'absence de mesures concrètes et immédiates imposées à l'État pour réparer ce préjudice. Certains observateurs, comme l'avocat spécialiste du droit de l'environnement Arnaud Gossement, pointent du doigt l'absence de réparation et le manque de remise en cause des procédures d'évaluation et de suivi des pesticides. De plus, le tribunal a reconnu des carences fautives de l'État mais a jugé que le lien de causalité entre ces insuffisances et le préjudice écologique n'était pas certain, ce qui limite la portée de la condamnation.
En résumé, bien que cette décision soit un jalon important dans la reconnaissance juridique des préjudices écologiques, elle soulève des questions sur l'efficacité des mesures de réparation et la nécessité de revoir les procédures de contrôle et de régulation des pesticides.
II - Une décision qui fait suite à d’autres précédents judiciaires qui ont contribué à une meilleure protection de la biodiversité :
1. Décision du Conseil d'État sur les chasses traditionnelles : En 2021, le Conseil d'État a jugé que les autorisations de chasses traditionnelles de plusieurs oiseaux pour 2021-2022 étaient illégales, car non conformes au droit européen sur la protection des oiseaux. Cette décision fait suite à une suspension en urgence des chasses traditionnelles en 2021. La Commission européenne a également adressé un avis motivé à la France concernant ces chasses, mettant en avant leur non-conformité avec la directive Oiseaux de l'UE.
2. Avis du Conseil d'État sur les dérogations à la protection des espèces : En décembre 2022, le Conseil d'État a rendu un avis majeur clarifiant la notion de raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) et d'uniformisation de la méthode d'analyse par la jurisprudence administrative. Cet avis exige une évaluation rigoureuse des impacts des projets sur les espèces protégées avant d'accorder des dérogations.
3. Arrêt du Conseil d'État sur le projet Val Tolosa : En 2022, le Conseil d'État a confirmé l'annulation du permis de construire pour le projet Val Tolosa, en raison de l'insuffisance des mesures de protection des espèces protégées.
4. Protection du Grand Cormoran par le Conseil d'État : En novembre 2022, le juge des référés du Conseil d'État a rejeté une requête visant à augmenter les quotas de prélèvement des grands cormorans, préservant ainsi cette espèce.
5. Décisions de justice en faveur de la biodiversité au Tribunal de Marseille : En janvier 2023, des décisions de justice ont été rendues sanctionnant des délits commis au cœur du Parc national des Calanques. Ces décisions concernaient des cas de braconnage, de dépôts sauvages de déchets et de transport illégal de passagers en mer.
6. Demande d'avis consultatif à la Cour internationale de justice : En mars 2023, une résolution a été adoptée demandant à la CIJ de clarifier les obligations des États en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que les conséquences juridiques pour les États causant des dommages importants au système climatique et à d'autres éléments de l'environnement.
Ces décisions illustrent une tendance croissante à utiliser le droit pour renforcer la protection de la biodiversité et pour responsabiliser les acteurs impliqués dans sa dégradation. Elles montrent également l'importance de l'harmonisation des législations nationales avec les directives européennes et internationales en matière de protection environnementale.
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement.