Par Me Laurent GIMALAC, Docteur en droit et Avocat spécialiste en droit de l'environnement.
Introduction
L'obligation précontractuelle d'information, prévue à l'article 1112-1 du Code civil, impose à chaque partie au contrat de divulguer à l'autre partie les informations déterminantes pour son consentement. Dans le cadre des cessions de titres, cette obligation revêt une importance particulière. Cet article examine la nature de cette obligation, son application aux cessions de titres, et son impact, avec une attention particulière sur la décision de la Cour de cassation du 18 décembre 2019 (n° 18-12.536).
1. Définition et portée de l'obligation précontractuelle d'information
L'obligation précontractuelle d'information impose à chaque partie de fournir à l'autre les informations cruciales dont elle a connaissance et qui sont déterminantes pour le consentement de l'autre partie. Cette obligation vise à éviter toute asymétrie d'information qui pourrait fausser le consentement et la formation du contrat.
2. Application aux cessions de titres
Dans les cessions de titres, cette obligation est particulièrement cruciale en raison de la nature des informations en jeu, souvent complexes et déterminantes pour la valorisation de l'entreprise cédée.
Pourquoi cette obligation concerne-t-elle les cessions de titres ?
- Asymétrie d'information : Les cédants possèdent généralement des informations détaillées sur la situation financière et les perspectives de l'entreprise, informations que l'acquéreur ne peut obtenir que par le biais des déclarations du cédant.
- Détermination du prix : Le prix de cession est souvent basé sur des indicateurs financiers spécifiques, tels que l'EBITDA. Toute manipulation ou omission de ces données peut conduire à une évaluation erronée de l'entreprise.
3. Remise en cause de la cession pour manquement à l'obligation d'information
Le non-respect de cette obligation peut entraîner des conséquences graves, telles que la remise en cause de la cession.
Cas de remise en cause
- Erreur vice du consentement : Si l'acheteur peut prouver que l'absence d'information a vicié son consentement, la cession peut être annulée.
- Responsabilité délictuelle : Le manquement à l'obligation d'information peut engager la responsabilité du cédant, qui devra réparer le préjudice subi par l'acheteur.
Efficacité pour l'acheteur
Le non respect de l'obligation précontractuelle d'information est souvent plus facile à prouver que le dol, car elle ne nécessite pas de démontrer une intention de tromper, mais simplement l'absence de communication d'une information déterminante.
4. Évolution de la jurisprudence
Décision de la Cour de cassation du 18 décembre 2019 (n° 18-12.536)
Dans cette décision, la Cour de cassation a jugé que la violation de l'obligation d'information, dans le cadre d'une garantie de passif, n'entraînait pas automatiquement la déchéance de la garantie si cela n'était pas expressément prévu dans la convention.
Contexte de l'affaire
Les cédants, Z B et M. E Y, avaient conclu une convention de garantie d'actif et de passif lors de la cession de leurs titres à la société Financière de la Santé. La société cessionnaire a invoqué la garantie pour compenser un passif lié à des redressements fiscaux, mais les cédants ont contesté, arguant que l'obligation d'information n'avait pas été respectée.
Décision de la Cour
La Cour de cassation a confirmé que l'absence d'information n'était pas sanctionnée par la déchéance de la garantie en l'absence de stipulation expresse dans la convention. Elle a jugé que la cour d'appel avait correctement interprété les termes de la convention sans les dénaturer.
Importance de prévoir les sanctions
Cette décision souligne l'importance pour les parties de stipuler clairement les sanctions en cas de manquement à l'obligation d'information. Sans stipulation expresse, la violation de cette obligation peut seulement donner lieu à des dommages-intérêts, ce qui est souvent moins dissuasif et moins protecteur pour l'acquéreur.
Évaluation des préjudices
Les tribunaux adoptent une approche rigoureuse pour évaluer les préjudices découlant de la non-divulgation d'informations, souvent en termes de perte de chance. Dans l'affaire de 2019, la compensation demandée par la cessionnaire a été partiellement acceptée, mais la précision de l'évaluation reste un défi.
Conclusion
L'obligation précontractuelle d'information joue un rôle crucial dans les cessions de titres, garantissant que l'acquéreur dispose de toutes les informations nécessaires pour un consentement éclairé. La décision de la Cour de cassation du 18 décembre 2019 illustre la nécessité de prévoir explicitement les sanctions pour manquement à cette obligation dans les conventions de garantie. Pour l'acquéreur, cette obligation constitue un moyen efficace de protection, bien que l'absence de sanctions claires puisse limiter les recours disponibles. L'évolution de la jurisprudence met en lumière l'importance de la précision contractuelle pour éviter les litiges et protéger les intérêts des parties.
Références
- Cour de cassation (com.), 18 décembre 2019, n° 18-12.536 (F-D)
- Code civil, art. 1112-1 et 1130.
- Doctrine : Thibault de Ravel d'Esclapon, « De la sanction d'une méconnaissance de l'obligation d'information contenue dans une garantie de passif », Revue des sociétés 2020.
- Jurisprudence complémentaire : Civ. 1re, 25 juin 2002 ; Com. 20 oct. 2009 ; Com. 10 juill. 2012.
Me Laurent Gimalac, Docteur en droit de l’environnement,
Avocat spécialiste en droit de l’environnement.